« tourmenter », définition dans le dictionnaire Littré

tourmenter

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tourmenter

(tour-man-té) v. a.
  • 1Faire souffrir quelque tourment corporel, quelque supplice. Et depuis tant de temps que nous les tourmentons [les chrétiens], Les a-t-on vus mutins ? les a-t-on vus rebelles ? Corneille, Poly. IV, 6. Jeta dans les prisons ou envoya en exil, ou fit tourmenter cruellement un assez grand nombre de personnes, Fontenelle, Oracl. II, 3.
  • 2Causer de la douleur en parlant d'une maladie ou de tout autre accident. La goutte le tourmente. Nous étions tourmentés de cousins.
  • 3 Fig. Donner des peines d'esprit. Il faut surtout observer de ne pas tourmenter sa tête, Bossuet, Lett. Corn. II. Ce n'est point le présent que je crains, c'est le passé qui me tourmente, Rousseau, Hél. IV, 1. Un désir inquiet tourmentait ma jeunesse, P. Lebrun, Pallas, II, 3. Ô mon fils ! les hommes ont vécu pendant plusieurs siècles dans une ignorance qui ne tourmentait point leur raison, Barthélemy, Anach. ch. 30.

    Absolument. Maudite jalousie ! poursuivit-il, plus cruelle encore pour ceux qui tourmentent que pour ceux qui sont tourmentés ! Hamilton, Gramm. 9.

    Tourmenter sa vie, se donner bien de la peine de corps et d'esprit. Oui, je suis las de tourmenter ma vie, Voltaire, Enf. prof. III, 3.

  • 4Importuner, harceler. Cet homme me tourmente avec ses visites. Ses créanciers le tourmentent. Cessez de tourmenter une âme infortunée, Racine, Mithr. III, 5. Je ne puis croire que vous cherchiez à le tourmenter [J. J. Rousseau] dans sa solitude, où il est déjà assez malheureux par sa santé, par sa pauvreté, et surtout par son caractère, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 3 janv. 1765.

    Terme de manége. Tourmenter son cheval, le châtier, ou l'inquiéter mal à propos. Le roi [Louis XIII] prit amitié pour Saint-Simon, à cause… qu'il ne tourmentait pas trop ses chevaux, Tallemant, Louis XII.

  • 5Agiter violemment. La mer tourmenta longtemps notre vaisseau. Ce cheval tourmente son cavalier. Il [le vent] frappe, élève, abaisse et tourmente les ondes, Delille, Trois règn. II.
  • 6Déjeter. La sécheresse dessèche les futailles, les tourmente, et fait transsuder le vin, Genlis, Maison rust. t. III, p. 303, dans POUGENS.
  • 7Forcer. Et, tourmentant sa voix pour appeler son frère, Lui pardonne des yeux et meurt, Gilbert, Mort d'Abel, ch. VII.
  • 8Travailler avec effort. Les champs te prodiguaient leurs tributs volontaires : Il faudra tourmenter un avare terrain, Delille, Parad. perdu, x.
  • 9Tourmenter un auteur, un texte, vouloir leur faire dire autre chose que ce qu'ils disent. Une chose qui me surprend toujours également, c'est l'infatigable et cruel acharnement à tourmenter Tacite pour trouver des torts à Sénèque, Diderot, Cl. et Nér. I, 52.
  • 10 Terme d'art et de littérature. Retravailler de telle façon que l'effort se fasse sentir. L'artiste a tant consulté, si changé, si tourmenté sa composition, que je ne sais plus ce qu'il en reste, Diderot, Salon de 1767, Œuv. t. XIV, p. 121. Boileau a tourmenté cet endroit de son poëme [le Lutrin] ; il avait mis d'abord un horloger à la place du perruquier ; il trouva que le personnage n'était pas assez comique, il changea et ne fit pas mieux, Marmontel, Œuv. t. IX, p. 175.

    Terme de peinture. Tourmenter des couleurs, les frotter après les avoir couchées. Tourmenter un dessin, le surcharger de traits.

  • 11Se tourmenter, v. réfl. Se remuer, s'agiter. Ce cheval se tourmente. Elle [l'âme] se tourmente comme dans un songe ; on veut parler, la voix ne se suit pas…, Bossuet, la Vallière. Les cris redoublés de leur conductrice [poule ayant couvé des canards] qui, du rivage, les rappelle en vain, en s'agitant et se tourmentant comme une mère désolée, Buffon, Ois. t. XVII, p. 215. Le troisième se tourmentant sur sa chaise, cherchant une bonne posture et n'en trouvant point, Diderot, Lett. à Mlle Voland, 17 août 1759.
  • 12Se déjeter. Le bois neuf se tourmente beaucoup. Il est bien difficile d'empêcher que les barreaux ne se tourmentent, quand on les trempe, Brisson, Traité de phys. t. III, p. 248.
  • 13Se donner bien de la peine, s'inquiéter. Voyez comme il est bon de se tourmenter un peu pour avoir des places, Sévigné, 17 janv. 1680. Ceux de Zurich… s'en plaignent [d'un accord sur la cène] à Luther, qui se tourmente beaucoup pour les satisfaire, Bossuet, Var. IV, 29. Elle [l'âme] se tourmente de voir son bien si détaché d'elle-même, si exposé au hasard, si soumis au pouvoir d'autrui, Bossuet, la Vallière. Vous cherchez, prince, à vous tourmenter, Racine, Mithr. II, 6. Pourquoi nous tourmenter de leurs ordres suprêmes [des dieux] ? Racine, Iphig. I, 2. Il n'y a qu'une seule chose au-dessus de leur puissance [de mes ennemis], et dont je les défie : c'est, en se tourmentant de moi, de me forcer à me tourmenter d'eux, Rousseau, Confess. X.

    Se tourmenter à. Qu'on ne se tourmente pas à chercher, comme on a fait jusqu'ici, les articles fondamentaux [de la réforme] ; voici le fondement des fondements [que le pape est l'antechrist], Bossuet, Var. XIII, 10.

    On a dit aussi : se tourmenter de. Quand je me tourmente de vouloir vous inspirer ici la même attention [à votre santé], Sévigné, 22 nov. 1679.

    Se tourmenter qui…, se tourmenter pour savoir qui… Vous vous tourmentez qui aura la première place, Bossuet, Méd. sur l'Év. la Cène, 69e jour.

HISTORIQUE

XIIe s. Tormente ceaus [ceux] qui nos grevent et nos font outraige, Machab. II, 1. Se [je] seüsse de premiers à l'enprendre [la croisade] Que li congiés [départ] me tormentast ensi…, Couci, XXIV. De ce sui au cuer dolente, Que cil [son amant] n'est en cest païs, Que si sovent me tormente, Ke je n'ai ne jeu ne ris, DAME DE FAIELE, dans Couci.

XIIIe s. Joieusement [ils] chevauchent, n'est riens qui les tormente, Berte, CXXXIV. N'aura [il n'y aura] homme en la terre qui de riens vous tormente, ib. CXI. Et Berte rentre el bois dolente et tourmentée, ib. XLVI. Gar que fortune ne t'abate, Comment qu'el te tormente et bate, la Rose, 5902. Lors li ai dit : sachiés, biau sire, Amors durement [beaucoup] me tormente, ib. 2913.

XIVe s. Il ne se muent ou deportent de leur ire, sans ce que ceulx contre lesquels il sont irez soient tormentez ou punis, Oresme, Éth. 129. Et la mer se tourmente, uns grans vens va levant, Baud. de Seb. III, 251.

XVe s. Et disoit que le diable la tourmentoit, et sailloit en l'air, crioit et escumoit, et faisoit moult d'autres merveilles, J. de Troyes, Chron. 1460.

XVIe s. Le remors qui tormente la conscience de Tibere, Montaigne, IV, 62. Il estima que la chose publique seroit moins agitée et moins tourmentée, quand elle seroit affermie et arrestêe avec ces deux cours [de justice], Amyot, Solon, 33. Le sage medecin quelquefois aussi luy donne des medecines qui le travaillent et le tourmentent, pour le guarir, Amyot, Péric. 32. Son cheval s'effraya si estrangement, et se tourmenta tant qu'il jetta le consul la teste devant par terre, Amyot, Fab. v. Estant la mer tourmentée, comme en la saison d'hvver, Amyot, Agés. 67.

ÉTYMOLOGIE

Tourment ; provenç. tormentar, turmentar ; espagn. tormentar ; ital. tormentare.