« trahir », définition dans le dictionnaire Littré

trahir

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trahir

(tra-ir ; au XVIe siècle, Palsgrave, p. 19, recommande de prononcer l'h aspirée) v. a.
  • 1Proprement, livrer par perfidie, et, en général, faire une perfidie à quelqu'un. Qui trahit tous nos dieux aurait pu vous trahir, Corneille, Poly. III, 2. Monsieur ajouta encore deux ou trois conditions aussi engageantes, que j'ai oubliées, avec des opprobres contre la Rivière, qui le trahissait, me dit-il, pour les deux autres, et qui les trahissait pourtant tous trois, Retz, Mém. t. II, liv. III, p. 186, dans POUGENS. Le roi d'Angleterre est toujours trahi, même par ses propres officiers, Sévigné, 496. Les gardes fidèles de nos rois [les Ecossais] trahissent le leur [Charles Ier], Bossuet, Reine d'Angleterre. Moi ! je pourrais trahir le Dieu que j'aime ! Racine, Esth. II, 9. Une femme [Cléopâtre] à qui Antoine avait sacrifié le monde entier le trahit, Montesquieu, Rom. 13. Quiconque est soupçonneux invite à le trahir, Voltaire, Zaïre, I, 5.

    Absolument. Qui promet de trahir peut manquer de parole, Corneille, Othon, v, 6. Je crois qu'à mon exemple, impuissant à trahir, Il hait à cœur ouvert ou cesse de haïr, Racine, Brit. v, 1.

  • 2Manquer à ce que l'on doit à quelqu'un, sacrifier ses intérêts. Vous m'avez de César confié la jeunesse… Mais vous avais-je fait serment de le trahir ? Racine, Brit. I, 2. De quel droit sur vous-même osez-vous attenter ?… Vous offensez les dieux auteurs de votre vie ; Vous trahissez l'époux à qui la foi vous lie ; Vous trahissez enfin vos enfants malheureux, Que vous précipitez sous un joug rigoureux, Racine, Phèdre, I, 3.

    Trahir les intérêts de quelqu'un. Trahir les intérêts ne signifie dans notre langue que mal conduire, oublier les intérêts de quelqu'un, nuire à ses intérêts, non pas être perfide et traître, Voltaire, Louis XV, 34.

    Trahir la confiance de quelqu'un, manquer à la confiance qu'il a en nous. La mort de Bing, coupable ou non, annonçait d'une manière terrible à ceux qui servaient la nation, le sort qui les attendait, s'ils trahissaient la confiance qu'on avait en eux, Raynal, Hist. phil. x, 15.

  • 3Être infidèle en amour, en amitié. Lui [Pyrrhus] qui me fut si cher et qui m'a pu trahir ! Racine, Andr. II, 1. Penses-tu qu'en effet Zaïre me trahisse ? Voltaire, Zaïre, IV, 5. Isabelle, fille de Philippe le Bel, femme galante, jalouse de son mari, qu'elle trahissait, Voltaire, Mœurs, 75.
  • 4Agir contre, en parlant de devoirs, de sentiments, d'obligations. Mais ce serait trahir tout ce que je leur dois, Que leur promettre un cœur, quand il n'est plus à moi, Corneille, Œd. I, 3. Morbleu ! c'est une chose indigne, lâche, infâme, De s'abaisser ainsi jusqu'à trahir son âme ! Molière, Mis. I, 1. Je ne viens pas ici justifier la créature devant son créateur ; je trahirais l'humilité de l'une, j'offenserais la vérité de l'autre, Fléchier, Duch. d'Aiguillon. Ainsi les uns trahissaient l'empereur par une préoccupation de religion ; l'autre trahissait sa religion par la passion qu'il avait de devenir empereur, Fléchier, Hist. de Théod. III, 5. Je vais trahir ma gloire et montrer ma faiblesse, Quinault, Rol. I, 5. Je ne puis estimer ces dangereux auteurs Qui… Trahissant la vertu sur un papier coupable…, Boileau, Art p. IV. Ils [les janissaires] ne trahiraient pas l'honneur de tant d'années, Racine, Baj. I, 1. Un enfant est peu propre à trahir sa pensée, Racine, Ath. II, 6. J'ai si souvent trahi là-dessus mes promesses, Massillon, Avent, Délai. L'excès de mon zèle m'a fait trahir mon devoir, Lesage, Diable boit. 4. Ce serait trahir la mémoire de Corneille que de ne pas imiter la candeur avec laquelle il se juge lui-même : on doit la vérité au public, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Horace, v, sc. dern.

    Trahir la vérité, parler contre la vérité. Et parce que j'en use avec honnêteté, Et ne le veux trahir, lui, ni la vérité, Molière, Mis. v, 1. M'avez-vous vu, monsieur, trahir la vérité dans quelque occasion que ce fût ? Beaumarchais, Mère coupable, III, 8.

    Trahir ses sentiments, parler contre ses sentiments. Ce sont des sentiments que je ne puis trahir ; Je ne veux point de rois qui sachent obéir, Corneille, Nicom. III, 2. Si vous êtes touché de la vertu et de la justice, pourquoi trahir là-dessus vos sentiments ? Massillon, Carême, Resp. hum.

  • 5Trahir quelqu'un, révéler son secret. Ah ! malheureux Arcas, ta m'as trahi, Racine, Iph. IV, 4.

    Trahir le secret d'autrui, le révéler. Quoique je sois jeune, j'ai déjà vieilli dans l'habitude de ne dire jamais mon secret, et encore plus de ne trahir jamais, sous aucun prétexte, le secret d'autrui, Fénelon, Tél. III.

    Avec un nom de personne pour régime indirect et un nom de chose pour régime direct, révéler à, par trahison. Mais surtout cachez-lui ce que je fais pour vous… Que je vous puisse encor trahir son artifice, Et, pour mieux vous servir, rester à son service, Corneille, la Pl. roy II, 1. Cléopâtre a lieu d'attendre ce jour-là à faire confidence à Laonice de ses desseins et des véritables raisons de tout ce qu'elle a fait ; elle [Laonice] eût pu trahir son secret aux princes, ou à Rodogune, si elle l'eût su plus tôt, Corneille, Rod. Examen.

  • 6Payer d'ingratitude. Commençons un combat qui montre par l'issue Qui l'aura mieux de nous ou donnée ou reçue [la vie] : Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler, Corneille, Cinna, v, 3.
  • 7Déceler. Un cri, un geste involontaire, un mot échappé trahissent le sentiment, la pensée qu'on voudrait cacher. Elle m'a cru vainqueur… Et soudain sa colère a trahi son amour, Corneille, Cid, v, 7. Sa douleur a trahi les secrets de son âme, Et ne vous permet plus de douter de sa flamme, Corneille, ib. IV, 5. La rougeur de son front trahissait sa pensée, Voltaire, Sémir. II, 1.
  • 8En parlant des choses, ne pas seconder, rendre vain, décevoir. S'il est pour me trahir des esprits assez bas, Ma vertu pour le moins ne me trahira pas, Corneille, Cinna, I, 4. Hélas ! tout me trahit, et ma puissance est vaine ! Quinault, Arm. v, 4. Vous n'auriez pas survécu à un accident qui eût trahi là-dessus vos précautions et vos artifices, Massillon, Avent, Jug. univ. Si le clergé se flatta que la paix le rétablirait dans ses possessions, les événements trahirent ses espérances, Raynal, Hist phil. IV, 17.

    Ma parole a trahi ma pensée, mon intention, elle l'a mal traduite. (La parole, acte volontaire, traduit mal la pensée ; mais un mot échappé involontairement la décèlerait ; voy. plus haut, au n° 7.)

  • 9Faire défaut à. Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire… Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ! Corneille, Cid, I, 7.
  • 10Se trahir, v. réfl. Agir contre ses propres intérêts. Dussé-je me trahir, Puisque vous le voulez, je jure d'obéir, Corneille, D. Sanche, I, 3. Vous-même, en ma faveur, vous voulez vous trahir ! Racine, Phèdre, II, 2.
  • 11Découvrir par imprudence ou par hasard ce qu'on voulait tenir caché. Ah ! je respire enfin, et ma joie est extrême Que le traître une fois se soit trahi lui-même, Racine, Bajaz. IV, 5. Songez à vos promesses, craignez de vous trahir dans cette première entrevue, Genlis, Veillées du château t. II, p. 79, dans POUGENS.

    Révéler le secret l'un de l'autre. Mais, en obéissant, ne nous trahissons pas, Racine, Mithr. I, 5.

REMARQUE

Corneille a employé trahir à dans le sens de sacrifier à : Et, mettant différence entre ces deux coupables, J'ai trahi la justice à l'amour paternel, Corneille, Poly. III, 3. Il a dit aussi se trahir à pour se livrer à : Souffrir qu'il se trahisse aux rigueurs de mon sort, Corneille, Hér. IV, 1.

HISTORIQUE

XIe. s. Traït vos ad ki à guarder vos out, Ch. de Rol. XCI.

XIIe s. Se j'en travail [souffre], je n'en sai qui blasmer, Fors ses douz ieus et son simple viaire, Dont li mien sont traïs en l'esgarder, Couci, II. Douce dame, d'orgueil vous deffendez, Ne trahissiez vos biens [qualités] ne vos biautez, ib. XIV.

XIIIe s. Lors pristrent conseil privéement pour lor seigneur traïr, Villehardouin, XCVII. [toi] Qui ainsi m'as traïe de traïson cruel, Berte, XXVI. Blanchefleur traïrai [j'empoisonnerai] en pomme ou en cerise, ib. LXXVI. Et Blanchefleurs s'escrie : haro ! traï, traï, ib. LXXXIX.

XVe s. Quand les seigneurs de France veirent leur logis ardoir et ouirent le ery, ils coururent vers leurs logis, crians : trahy, trahy, Froissart, liv. v, p. 97, dans LACURNE.

XVIe s. Mais paravant je luy voy Douter le mutin suysse Qui avoit trahy sa foy, Du Bellay, J. III, 41, recto. Les mouvements forcez de nostre visage nous trahissent aux assistants, Montaigne, I, 97. Il trahit aux Russiens Visilicie, grande et riche cité, Montaigne, III, 247. Antigonus n'a pas esté seul, qui a dit qu'il aimoit ceulx qui trahissoient, et avoit en haine ceulx qui avoient trahi, Amyot, Rom. 26. Ilz conspirerent de trahir la chose publique aux barbares, Amyot, Arist. 32. Il [Antoine] se retira dedans la ville, criant que Cleopatra l'avoit trahy à ceulx contre qui il avoit entrepris et fait la guerre pour l'amour d'elle, Amyot, Anton. 98. Quand l'espoir, riant à mes yeux, De mon cœur vous trahit la porte, Desportes, Œuv. p. 273.

ÉTYMOLOGIE

Prov. trahir ; cat. trair ; anc. espagn. traer ; portug. trair ; ital. tradire ; du lat. tradere, livrer, corrompu par la bouche romane en tradire, de tra, indiquant transmission, et dere, pour dare, donner.