« travail », définition dans le dictionnaire Littré

travail

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

travail

(tra-vall, ll mouillées, et non travaye) s. m.
  • 1Nom donné à des machines plus ou moins compliquées, à l'aide desquelles on assujettit les grands animaux, soit pour les ferrer, quand ils sont méchants, soit pour pratiquer sur eux des opérations chirurgicales. Vous connaissez mes chevaux, ils sont fort beaux ; celui qui s'appelle le Favori était au travail ; on lui faisait le poil de l'oreille, ne vous en déplaise, il s'est mis en furie ; on a voulu lui rendre sa liberté ; il s'est jeté comme un furieux par-dessus les barres, et s'est crevé le cœur, Sévigné, 460.

    Au plur. Des travails.

  • 2 Par extension du sens d'instrument qui assujettit, gêne, fatigue ; c'est le sens primordial comme le montre l'historique. (En cette acception, le pluriel est travaux, tra-vô ; l'x se lie : des travô-z immenses.) Mais ce sensible outrage Se mêlant aux travaux d'un assez long voyage…, Molière, Sgan. 10. Rare et fameux esprit [Molière], dont la fertile veine Ignore, en écrivant, le travail et la peine, Boileau, Sat. II. Pensez-vous que ces cœurs, tremblants de leur défaite… Cherchent avidement sous un ciel étranger La mort et le travail pire que le danger ? Racine, Mithr. III, 1. Mais une dure loi, des dieux mêmes suivie, Ordonne que le cours de la plus belle vie Soit mêlé de travaux, Rousseau, Odes, III, 1.
  • 3Soins et soucis de l'ambition. Est-ce là le fruit du travail dont vous vous êtes consumés sous le soleil ? Bossuet, le Tellier.
  • 4Inquiétude. Entrez dans ces raisonnements [de Pompone, conjecturant que les menaces de guerre vont se dissiper]… et ne vous mettez point si tôt en travail ; c'est dommage de perdre vos douleurs, Sévigné, à Mme de Grignan, 28 févr. 1889.
  • 5Travail d'enfant, ou, simplement, travail, douleurs de l'enfantement, ou, techniquement, succession de phénomènes violents et douloureux dont l'ensemble caractérise la fonction de l'accouchement. Quelque prétexte spécieux de pèlerinage nocturne, ou d'amie en travail d'enfant, que vous veniez de secourir, Molière, G. Dandin, III, 8. Quand on entend les cris d'une femme en travail qui sont médiocres et languissants, on dit : elle n'accouche pas encore…, Bossuet, Sermons, Tristesse des enf. de Dieu, 2. Que produira l'auteur après tous ces grands cris ? La montagne en travail enfante une souris, Boileau, Art p. III. Cette fille s'est tuée pour avoir voulu partir de Fontainebleau le même jour que le roi, quoiqu'elle fût en travail et prête à accoucher, Mme de Caylus, Souvenirs, p. 40, dans POUGENS. À des travaux affreux Lucine nous condamne, Chénier, Idylles, l'Oaristys.

    Fig. Étaient-ce [les troubles de la Fronde] les derniers efforts d'une liberté remuante qui allait céder la place à l'autorité légitime ? ou bien était-ce comme un travail de la France prête à enfanter le règne miraculeux de Louis ? Bossuet, Anne de Gonz. Si, touchés des saints exemples que je vous propose, vous laissez attendrir vos cœurs ; si Dieu a béni le travail par lequel je tâche de vous enfanter en Jésus-Christ, Bossuet, ib. Thomas est en travail d'un gros poëme épique, Gilbert, Le XVIIIe siècle.

  • 6Peine qu'on prend pour faire quelque chose. Le travail du corps. Le travail de l'esprit. L'homme est né pour le travail, comme l'oiseau pour voler, Sacy, Bible, Job, v, 7. D'argent, point de caché ; mais le père fut sage De leur montrer avant sa mort Que le travail est un trésor, La Fontaine, Fabl. v, 9. Par le travail on charmait l'ennui, on ménageait le temps, on guérissait la langueur de la paresse et les pernicieuses rêveries de l'oisiveté, Bossuet, Ann. de Gonz. Après de grandes maladies causées par de grands travaux, Bossuet, le Tellier. Au moment que j'ouvre la bouche pour célébrer la gloire immortelle de Louis de Bourbon, prince de Condé, je me sens également confondu et par la grandeur du sujet et, s'il m'est permis de l'avouer, par l'inutilité du travail, Bossuet, Louis de Bourbon. Je sais qu'un noble esprit peut, sans honte et sans crime, Tirer de son travail un profit légitime, Boileau, Art p. IV. Mon père, soixante ans au travail appliqué, En mourant me laissa…, Boileau, Ép. v. Aux larmes, au travail le peuple est condamné, Racine, Ath. IV, 3. Celui qui aime le travail a assez de soi-même, La Bruyère, XI. Chacun est touché de sa patience, de son travail, de sa tranquillité, Fénelon, Tél. XI. L'homme dont il est question avait un état qui, en l'obligeant à un travail assez doux, le mettait dans le cas d'être utile, Mme de Puisieux, Ridic. à la mode, p 202, dans POUGENS. Forcez les hommes au travail ; vous les rendrez honnêtes gens, Voltaire, Pol. et lég Délits et peines, Peine de mort. La nature est inépuisable ; Et le travail infatigable Est un dieu qui la rajeunit, Voltaire, Odes, X. Le travail éloigne de nous trois grands maux, l'ennui, le vice et le besoin, Voltaire, Candide, 30. Le travail, entre autres avantages, a celui de raccourcir les journées et d'étendre la vie, Diderot, Cl. et Nér. II, 79. Le travail modéré fortifie, le travail excessif accable, Raynal, Hist. phil. XV, 4. Le travail est le pain nourricier des grandes nations, Mirabeau, Collection, t. v, p. 413. Les plaisirs du travail manquaient à l'âge d'or ; J'en hais l'oisiveté, j'en aime l'innocence, Delille, Pitié, IV. Le travail veut un but : au bout de la carrière On s'anime à sa vue et surtout on espère, Delille, Imag. VI. La force et le travail, que je n'ai point perdus, Par un peu de repos me vont être rendus, Chénier, le Mendiant. De tous les moyens qui conduisent à la fortune, les deux plus sûrs sont la persévérance et le travail, Reybaud, J. Patur. I, 16.

    Maison de travail, maison de détention où l'on fait travailler les détenus.

    Homme de travail, homme qui gagne sa vie par un métier pénible.

    Homme de grand travail, homme très laborieux.

    Terme de fauconnerie. Oiseau de grand travail, oiseau fort dans son vol, et ne se rebutant jamais.

  • 7Service auquel on soumet les animaux. Le travail [pour des chevaux] ne sera pas grand, d'aller jusqu'à la foire, Molière, l'Av. III, 5.

    Bêtes de travail, les bœufs, chevaux, etc. employés au travail.

    Terme de manége. Se dit des différents exercices du cheval.

    Travail de plate-longe, exercice auquel on assujettit généralement les élèves, dans les premières leçons.

  • 8Se dit de l'action d'une machine ou du résultat de cette action.

    Travail moteur, celui qui est développé par une force motrice ; travail résistant, celui qui est développé par une force résistante.

  • 9 Terme de mécanique. Travail élémentaire d'une force qui agit sur un point mobile, le produit de la force tangentielle par l'élément de chemin parcouru.

    Travail total de la force, la somme de ses travaux élémentaires. Quand la force est constante en grandeur et en direction, et que le point sur lequel elle agit se déplace suivant la direction de la force, son travail est égal au produit de la force par le déplacement du point. Dans ces évaluations, la force étant exprimée en kilogrammes, et le déplacement en mètres, le travail est exprimé en kilogrammètres.

  • 10Il se dit, par analogie, de l'action mécanique des agents naturels. Le fonds actuel de notre terre était la surface du globe primitif avant le travail des eaux, Buffon, Min. t. I, p. 146.
  • 11Travail à mouiller, façon qu'on donne aux peaux pour en faire du parchemin.

    Travail de rivière, préparation qu'on donne aux peaux avant de les tanner.

  • 12 Terme de vénerie. Endroit où le sanglier a remué la terre. Pas de pluriel en ce sens.
  • 13L'ouvrage même qui est le résultat du travail. Un beau travail. Afin qu'en ta vieillesse un livre en maroquin Aille offrir ton travail à quelque heureux faquin, Boileau, Sat. VIII. Un poëme excellent où tout marche et se suit N'est pas de ces travaux qu'un caprice produit, Boileau, Art poét. III.
  • 14La manière dont un ouvrage est fait. Travail exquis, délicat.

    Ce bijou est d'un beau travail, le travail en est délicat.

  • 15Manière dont on travaille, surtout en parlant des œuvres de l'esprit, de la besogne administrative. Il a le travail facile, difficile, lent, etc.
  • 16Le soin excessif que l'on apporte à quelque chose. Ses vers sentent le travail. Plus l'esprit a de liberté, Plus sa lumière est vive et pure : Le travail a souvent gâté L'ouvrage heureux de la nature, Bernis, Poés. div. p. 105, dans POUGENS.
  • 17Ouvrage qui est à faire, ou qui est actuellement en cours d'exécution. Entreprendre un travail. On a suspendu les travaux. Donner du travail aux ouvriers. Des travaux de toutes espèces et la liberté du choix accordée à tous les citoyens, voilà la vraie source des richesses, Condillac, Comm. gouv. I, 29.
  • 18Travail libre, le travail des hommes libres, par opposition à travail servile, dans les pays à esclaves. Cette extension de la propriété devait rompre l'équilibre entre le travail libre et le travail servile jusque dans la vie des champs, Wallon, Hist. esclav. dans l'antiquité, II, 1.

    Travail attrayant, se dit, dans le système fouriériste, du travail librement choisi, alternant, distribué par courtes séances, par séries et par groupes, tel qu'il devra être organisé dans le phalanstère.

    Travail forcé, travail auquel on ne peut se soustraire. On peut, par la commodité des machines que l'art invente ou applique, suppléer au travail forcé qu'ailleurs on fait faire aux esclaves, Montesquieu, Esp. XV, 8. La plupart [des rentiers] sont à l'abri des maladies de l'enfance, des dangers qui accompagnent certaines professions, de l'extrême misère et des travaux forcés, Décret du 23 flor. an II, Rapp. Cambon, p. 90. Si on établissait un ordre le mortalité pris parmi les soldats ou gens de mer, ou parmi les citoyens qui s'occupent aux travaux forcés, ib.

    Travaux forcés, peine afflictive et infamante à laquelle on condamne les criminels.

  • 19Il se dit des ouvrages que l'on fait pour l'embellissement, pour l'assainissement, pour l'utilité générale. Des travaux d'assainissement. Les travaux faits à Paris. Suétone nous a conservé le détail des travaux publics que Rome doit à la munificence de ces citoyens, Mongez, Instit. Mém. litt. et beaux-arts, t. II, p. 510. La nature y a repris [au Colisée, à Rome] son empire sur les travaux des hommes, et la beauté des fleurs console de la ruine des palais, Staël, Corinne, IV, 5.

    Dans les chemins de fer, travaux d'art, ponts, viaducs, etc. en un mot tout ce qui n'est pas le simple creusement de la voie.

    Travaux publics, ouvrages faits aux frais de l'État pour l'utilité publique.

    Dans la législation militaire. Travaux publics, peine infligée aux militaires qui ont déserté à l'intérieur.

    Les travaux de la campagne, l'ensemble des opérations de l'agriculture. Des philosophes célèbres, tels que Démocrite, Archytas, Épicharme, nous ont laissé des instructions utiles sur les travaux de la campagne ; et, plusieurs siècles auparavant, Hésiode les avait chantés dans un de ses poëmes, Barthélemy, Anach. ch. 59.

    Travaux, l'ensemble des opérations par lesquelles on procède à la construction.

  • 20 Particulièrement. Remuements de terre, tranchées que font les troupes pour l'attaque ou la défense d'une place, pour fortifier un camp, etc. C'est un ingénieur qui conduit ce travail. Le travail de cette nuit a été poussé jusqu'à tel endroit.

    Plus usité au pluriel. Ruiner les travaux des assiégés. Une sortie qui nettoyait la tranchée, comblait les travaux…, Hamilton, Gram. 8.

  • 21 Au plur. Examen, discussion, délibérations, en parlant d'un corps. Le parlement suspendit ses travaux. Les travaux de la commission, d'une académie.
  • 22Compte qu'un ministre rend au prince des affaires de son département, que les commis rendent aux ministres de celles qui leur ont été renvoyées. Le prince, à son travail, a décidé que… C'est l'heure de son travail avec ses commis. Le travail des ministres chez Mme de Maintenon parut avec raison la chose du monde la plus surprenante, Genlis, Mme de Maintenon, t. II, p. 112, dans POUGENS.

    En ce sens, le pluriel est travails. Ce ministre a eu plusieurs travails cette semaine avec le roi.

    On disait de certaines places dont les titulaires rendaient compte immédiatement au roi : Ces places ont le travail, donnent le travail.

  • 23 Au plur. Entreprises pénibles et glorieuses. Dis-moi ce que tu vaux, Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux, Corneille, Cinna, v, 1. Qu'est-ce donc qu'il a souhaité ce grand Alexandre, et qu'a-t-il cherché par tant de travaux et tant de peines qu'il a souffertes lui-même et qu'il a fait souffrir aux autres ? Bossuet, la Vallière. Sans que ta mort encor, honteuse à ma mémoire, De mes nobles travaux vienne souiller la gloire, Racine, Phèdre, IV, 2.

    Œuvres littéraires. Mais de les égaler à ces fameux auteurs… Et de voir leurs travaux avec la révérence Dont je vois les écrits d'un Plaute et d'un Térence, Rotrou, Saint-Genest, I, 5.

    Il se dit quelquefois au singulier. Seul on s'acquitte mieux d'une grande entreprise, Le travail s'affaiblit alors qu'il se divise, Rotrou, Antig. III, 5. Hercule, respirant sur le bruit de vos coups, Déjà de son travail se reposait sur vous, Racine, Phèdre, III, 5.

    Les travaux d'Hercule les douze entreprises que la Fable lui attribue. Eurysthée et Hercule vinrent au monde le même jour ; mais, la naissance du premier ayant été avancée par la fraude de Junon, Hercule lui fut soumis, et obligé de subir, par son ordre, les douze travaux si célèbres dans la Fable, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. II, p. 494, dans POUGENS.

  • 24Élaboration. Des amphores pleines d'un vin de Chio devenu comme un baume par le long travail des ans, Chateaubriand, Mart. liv. II.

    En physiologie, mouvement vital qui produit certaines actions. Le travail périodique par lequel cette évacuation [des règles] se reproduit, Cabanis, Instit. Mém. sc. mor. et polit. t. II, p. 213.

    En pathologie, mouvement vital qui produit telle ou telle lésion. Le travail local de la tuberculisation.

    Dans le langage des convulsionnaires de Saint-Médard, les travaux, les convulsions.

HISTORIQUE

XIe s. E li wardireue si avrad pur son travail…, Lois de Guill. 32.

XIIe s. Car riens, fors moi, ne poroit endurer Les grans travaus [peines] que j'ai pour li [la] servir, Couci, X. Et si [je] me sui mis à sa volenté Que nus travaux mon desir ne rafraigne, ID. XIV. Car, se Dieu plest, encor [elle] me saura gré De mon travail et de ma longue paine, ID. ib. Les travailz de mort me unt aviruned, e les ovres Belial me unt espovented, Rois, p. 205.

XIIIe s. Ce jour ot la royne travail et peine male, Berte, XXVII. Et li plus de nos ans est travauz et douleurs, Psautier, f° 110. Moult me sanle [semble] que çou soit gas [que ce soit plaisanterie], Que vos dras vendés à detail ; D'autre mercié [marché] avés travail [souci], Fl. et Bl. v. 1722. Et si il a le congié du voier, il doit six sols de hauban au roy, se il met son travail hors de son hostel [il s'agit du travail pour les chevaux], Liv. des mét. 45.

XIVe s. [Mon cheval] Le marischal a defoulé, Et s'a son vallet affolé, Et à la force de ses reins Ha rompu deus travaus à Reins, Machaut, p. 81.

XVe s. Il y ot en l'eglise à l'obseque un travail auquel il y avoit sept cens chandelles, et sur ce travail avoit cinq bannieres, Froissart, II, II, 217. Ils guerroyerent le pape etles cardinaux, et leur firent moult de travaux, Froissart, II, III, 15. Après le jour qui est fait pour traveil, Ensuit la nuit pour repos ordonnée, Orléans, Ball. 73. Songe en complainte. Je croy que le travail qu'il [Louis XI] eut en sa jeunesse, quant il fut fugitif de son pere et fuyt soubs le duc de Bourgongne où il fut six ans, luy vallut beaucoup, Commines, I, 10. Il vivoit en grant travail ; car le roy le sollicitoit par plusieurs messagiers… [le connétable de Saint-Pol], Commines, IV, 4.

XVIe s. Elle mourut en travail, sans jamais se pouvoir delivrer de son enfant, Amyot, Thés. 24. Leurs femmes se trouvoient desjà si mal, qu'elles ne pouvoient plus nullement endurer le travail de la mer, Amyot, Rom. 1. Il gravit tant qu'il arriva avec beaucoup de travail jusques à la muraille, Amyot, Cam. 44. Il trouva les habitants travaillez de guerres civiles et de continuelles oppressions de tyrans, desquelz travaux il les garentit, Amyot, Lucull. 4. Je veux… Me livrer aux travaux de la pesante histoire, D'Aubigné, Tragiques, édit. LALANNE, p. 164. Les premiers travailles ou bancs secs qui s'estendent depuis Hableneuf [le Havre] jusques à Honfleur, le Flambeau de la navigation, p. 32, dans JAL.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, trava, travail de maréchal ; provenç. trabalh, trebalh, trebail, fatigue ; esp. trabajo, fatigue ; portug. trabalho, fatigue ; ital. travaglio, travail de maréchal et fatigue. Il est impossible de séparer travail des maréchaux et travail, peine, fatigue, pour la forme, ni même pour le sens ; car, de travail qui assujettit les animaux, on passe sans peine à travail, gêne, sens primordial (travail de labors, Job. 454). Travail se tire du prov. travar, entraver, du lat. trabs, poutre. Dans l'ancien français li travaus est au nominatif singulier, le travail, au régime.