« travailler », définition dans le dictionnaire Littré

travailler

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

travailler

(tra-va-llé, ll mouillées, et non tra-va-yé) v. a.
  • 1Causer du malaise, de la souffrance physique. Êtes-vous travaillé de la lycanthropie ? Régnier, Sat. X. Pouvons-nous n'apercevoir pas ce que nous perdons sans cesse avec les années ? le repos et la nourriture ne sont-ce pas de faibles remèdes de la continuelle maladie qui nous travaille ? Bossuet, Mar.-Thér. Sans cesse elle est travaillée par des peines insupportables, Bossuet, Anne de Gonz. Quelque léger dégoût vient-il le travailler…, Boileau, Sat. x. La médecine [donnée par le médecin Philippe] le travailla [Alexandre] de telle sorte que les accidents qui s'ensuivirent fortifièrent l'accusation de Parménion, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VI, p. 222, dans POUGENS. La fièvre le travaillait quand nous partîmes, avec le médecin par-dessus, Marivaux, le Legs, sc. 14.

    Fig. Puisque par vos conseils la France est gouvernée, Tout ce qui la travaille aura sa guérison, Malherbe, IV, 2.

  • 2Tourmenter, inquiéter. Un oracle m'assure, un songe me travaille, Corneille, Hor. IV, 4. L'ambition ne me travaille point ; je ne crains guère de choses, et ne crains aucunement la mort, La Rochefoucauld, Portrait. De quel démon est donc leur âme travaillée ? Molière, le Dép I, 6. Ne trouvez-vous donc pas que l'inquisition est une manière bien sûre et bien commode pour travailler ses ennemis, quelque innocents qu'ils soient ? Pascal, Prov. XI. Quand je considère, mes sœurs, les diverses agitations de l'esprit humain et tant d'occupations différentes qui travaillent inutilement les enfants des hommes, Bossuet, Vêture prêchée le jour de la Nat. de la Ste Vierge, Préambule. Mais pourquoi vainement travailler ma vieillesse ? Pourquoi pour un ingrat me tourmenter sans cesse ? Baron, Andrienne, v, 5. L'inquiétude qui me travaillait ne me permettant pas de demeurer dans la chapelle, j'en sortis, Lesage, Guzm. d'Alf. VI, 4. Les Grecs nous parlent toujours de ce grand nombre de citoyens qui travaillent la république, Montesquieu, Esp. XXIII, 26.

    Se travailler l'esprit, l'imagination, s'inquiéter, se tourmenter.

  • 3Occuper, préoccuper. Et de tous les pensers qui travaillent son âme…, Malherbe, I, 4. Dans ces saints empressements de la charité qui travaillaient l'âme du P. Bourgoing d'une pieuse inquiétude pour les membres affligés de Jésus-Christ, Bossuet, Bourgoing. Mon esprit… ne se résoudrait jamais à se jeter parmi tant d'horreurs… mais en même temps, chrétiens, un autre soin me travaille ; ce n'est pas un ouvrage humain que je médite, Bossuet, Reine d'Anglet.
  • 4Agiter, exciter au mécontentement, à la révolte. Travailler les esprits, le peuple, l'armée.
  • 5Travailler un pays en finance, se disait pour exercer avec rigueur les droits du fisc. J'ai fait quelques progrès par mon expérience Dans l'art de travailler un royaume en finance, Voltaire, Poëmes, Finances.
  • 6Travailler un cheval, le manier ou le fatiguer.

    Travailler un cheval aux quatre coins ou de quart en quart, lui faire faire un tour à chaque coin du carré de la volte, en marquant toujours ce même carré sans s'arrêter.

    Travailler un cheval ferme à ferme, manier un cheval sans bouger de place, comme au piaffer.

    Travailler un cheval dans la main ou de la main à la main, le changer de main ; le conduire par le seul effet de la bride.

  • 7Façonner la pierre, un métal, etc. Les Mexicains et les Péruviens savaient fondre et travailler l'or avant l'arrivée des Espagnols, et ils ne connaissaient pas le fer, Buffon, Hist. min. introd. Œuv. t. VII, p. 37. Un miroir dont la surface serait égale à celle d'un autre, brûlerait à dix lieues à peu près aussi bien que le premier brûlerait à dix pieds, s'il était possible de le travailler sur une sphère de quarante lieues, comme on peut travailler l'autre sur une sphère de quarante pieds, Buffon, ib. p. 193.

    Les boulangers disent dans un sens analogue : travailler la pâte.

    Il se dit semblablement des agents naturels. Cette époque où le feu, et le feu seul, pénétrait et travaillait le globe, Buffon, Min. t. VI, p. 163.

    Populairement. Travailler les côtes à quelqu'un, le maltraiter.

  • 8Soigner, exécuter avec soin. Travailler un mémoire, une affaire. Quant aux vers, on n'en a point vu de moi que j'aie travaillés avec plus de soin, Corneille, Othon, au lecteur. Voici celle de mes tragédies que je puis dire que j'ai le plus travaillée ; cependant j'avoue que le succès ne répondit pas d'abord à mes espérances, Racine, Brit. 2e préf. M. de la Motte pense beaucoup et ne travaille pas assez ses vers ; Rousseau ne pense guère, mais il travaille ses vers beaucoup mieux, Voltaire, Lett. en vers et en prose, 8.
  • 9 V. n. Se donner de la peine pour exécuter quelque chose, faire un ouvrage. Travailler de corps, d'esprit. Travailler à la terre. Travailler à un tableau. Prends Corbie, Espagnol, prends-la, que nous importe ? Tu la rends à mon roi plus puissante et plus forte… Et s'il t'a par pitié permis une victoire, Ta victoire elle-même a travaillé pour lui, Corneille, Inscript. Reprise de Corbie. Depuis dix ans dessus l'F on travaille [à l'Académie], Et le destin m'aurait fort obligé, S'il m'avait dit : tu vivras jusqu'au G, Boisrobert, dans RICHELET. Celui-là qui se plaint qu'il travaille trop, s'il était délivré de cet embarras, ne pourrait souffrir son repos, Bossuet, Serm. Impénit. 2. Ne dites pas à ce zélé magistrat qu'il travaille plus que son grand âge ne le peut souffrir, Bossuet, le Tellier. Je sens [quand j'écris une satire] que mon esprit travaille de génie, Boileau, Sat. VII. On ne peut pas toujours travailler, prier, lire ; Il vaut mieux s'occuper à jouer qu'à médire, Boileau, Sat. X. Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, Boileau, Art p. I. Est-ce pour travailler que vous êtes prélat ? Boileau, Lutr. I. À voir les vers de Corneille si pompeux, et ceux de Racine si naturels, on ne devinerait pas que Corneille travaillait facilement, et Racine avec peine, Montesquieu, Goût, Beautés qui résultent d'un certain embarras de l'âme. Il vaut mieux mourir que de traîner dans l'oisiveté une vieillesse insipide ; travailler, c'est vivre, Voltaire, Lett. Thiriot, 8 déc. 1760. La mienne [fortune] prend un tour si diabolique à la chambre des comptes, que je serai peut-être obligé de travailler pour vivre, après avoir vécu pour travailler, Voltaire, Lett. à Mme de Bernière, 1724. Comme les Lacédémoniennes ne doivent pas travailler, elles font filer la laine par des femmes attachées à leur service, Barthélemy, Anach. ch. 42.

    Fig. et par plaisanterie. Nous sommes cinq amis que la joie accompagne, Qui travaillons ce soir en bon vin de Champagne, Regnard, le Distr. I, 6.

    Travailler en grand, travailler sur un vaste plan, d'après des idées étendues, générales.

  • 10Plus spécialement, avoir de l'occupation, de l'ouvrage, en parlant de ceux qui exercent une profession mécanique ou industrielle. Les maçons travaillent très peu en hiver. Quand on sait travailler, on craint peu la misère, Favart, Annette et Lubin, 8.

    Fig. Labranche : Et toi, Crispin, travailles-tu toujours ? - Crispin : Non ; je suis, comme toi, un fripon honoraire, Lesage, Crispin rival, 3.

  • 11 Terme de mécanique. Se dit d'une machine en mouvement et produisant un effet utile, et aussi de la vapeur.

    Il se dit, en un sens analogue, des agents naturels. Les temps où le volcan travaille et jette au dehors des vapeurs enflammées ou des matières brûlantes, Buffon, Théor. terr. Œuv. t. IX, p. 361.

  • 12 Terme de musique. Se dit d'une partie qui a beaucoup à faire.
  • 13Travailler de rivière, ramollir une peau par le moyen de l'eau.

    Travailler à la main, former le corps d'un cierge avec de la cire qui n'a pas été fondue.

  • 14 Terme de marine. Deux ou plusieurs cordages travaillent ensemble ou séparément, selon que leur effort est égal et réuni ou séparé.
  • 15Il se dit du compte qu'un ministre rend au prince, qu'un commis rend au ministre, etc. Quand je reçus hier votre lettre, le roi travaillait dans ma chambre avec M. Voisin, Maintenon, Lett. au card. de Noailles, 17 nov. 1707. J'ai travaillé aujourd'hui avec M. de Chamillart pour les affaires de Saint-Cyr, Maintenon, ib. 12 oct. 1695. Il [M. de Chamillart] emploiera nos amis, et ne se fera pas un chagrin, comme M. de Louvois et son fils, de travailler avec le roi en bonne compagnie, Maintenon, Lett. à Mme de St-Géran, 2 mars, t. II, p. 154, dans POUGENS.
  • 16 Fig. Travailler pour, travailler contre, diriger ce qu'on fait pour, contre quelqu'un ou quelque chose. Et de quelle façon est-ce écouter des vœux, Qu'obliger un amant à travailler contre eux ? Corneille, Perthar. II, 2. Alexandre ne croyait pas travailler pour ses capitaines, ni ruiner sa maison par ses conquêtes, Bossuet, Hist. III, 7. Vous n'aviez sous mon nom travaillé que pour vous, Racine, Brit. IV, 2.
  • 17 Fig. Travailler à, s'occuper de, tendre à. Je travaille à le perdre [Rodrigue] et le perds à regret, Corneille, Cid, I, 3. Tout vainqueur insolent à sa perte travaille, La Fontaine, Fabl. VII, 13. Je travaille à mettre en madrigaux toute l'histoire romaine, Molière, Préc. 10. Cléone, avec horreur je m'en veux séparer [de Pyrrhus] ; Il n'y travaillera que trop bien, l'infidèle, Racine, Andr. II. Je viens de travailler à ma fortune, Lesage, Crispin rival, 1.

    Travailler à, signifie aussi s'occuper de, pour amender. Vous savez que je ne puis souffrir que les vieilles gens disent : Je suis trop vieux pour me corriger… je veux tous les jours travailler à mon esprit, à mon âme, à mon cœur, à mes sentiments, Sévigné, 7 oct. 1671.

  • 18En parlant du bois, se déjeter. Cette poutre, cette porte travaille.

    Terme de maçonnerie. Se dit d'un bâtiment mal construit dont les murs bouclent et sortent de leur aplomb.

    Dans l'exploitation des mines, il se dit d'un toit qui s'affaisse tout doucement.

  • 19Se dit des pièces d'une machine qui supportent le plus grand poids, la plus forte pression.
  • 20 Terme de marine. Supporter un grand effort, souffrir des mouvements violents qu'imposent le roulis et le tangage. Un navire travaille à l'ancre ou sous voile. Une ancre travaille, quand le câble en éprouve une tension très grande. Un cordage travaille quand il est fortement tendu par le vent, la mer, le cabestan, etc.
  • 21Son estomac travaille, il a de la peine à digérer.
  • 22En parlant du vin, des liqueurs, etc. fermenter. Quand la vigne est en fleur, le vin travaille.

    Terme de peinture. Se dit des couleurs qui changent avec le temps.

    Fig. Sa tête, son esprit travaille, il est fortement agité, préoccupé. Les malades ont des bizarreries ; on le sait, leur tête travaille, ils attachent quelquefois leur soulagement à des choses qui n'ont pas le sens commun, Diderot, Lett. à Mlle Voland, 23 sept. 1762.

  • 23Produire un revenu, en parlant d'argent placé en spéculations, en prêts, etc. Cependant notre argent [de la charge de Ch. de Sévigné] nous brûle et ne travaille point, Sévigné, 26 janv. 1683. Je travaille jour et nuit à faire travailler mon argent, afin qu'il augmente, Dancourt, 2e chap. du Diable boît. Prol. sc. 1. Oui, pour des ladres comme vous, qui ne connaissent d'autre bonheur que celui d'amasser du bien, et de faire travailler leur argent à gros et très gros intérêt, Regnard, Sérénade, 1.
  • 24Se travailler, v. réfl. Être travaillé, façonné. Cette substance ne se travaille pas facilement.
  • 25Se fatiguer. Il [Jésus] va, au péril de sa vie, chercher sa brebis égarée, il la rapporte sur ses épaules, parce que, errant de çà et de là, elle s'était extrêmement travaillée, Bossuet, 2e serm. Quinq. 1.
  • 26Faire des efforts, se tourmenter. J'eus honte de brûler pour une âme glacée, Et, sans me travailler à lui faire pitié, Restreignis mon amour aux termes d'amitié, Malherbe, VI, 32. Plus l'esprit s'y travaille [dans les œuvres de Dieu], et plus il s'y confond, Corneille, Imit. IV, 18. Elle [la grenouille] qui n'était pas grosse en tout comme un œuf, Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille Pour égaler l'animal [un bœuf] en grosseur, La Fontaine, Fabl. I, 3. Hé quoi ! dit-il, cette canaille Se moque impunément de moi ! Je vais, je viens, je me travaille, J'imagine cent tours, La Fontaine, Fabl. XI, 3. Il est guindé sans cesse, et, dans tous ses propos, On voit qu'il se travaille à dire de bons mots, Molière, Mis. II, 5. Ceux qui se travailleront de ce soin [l'immortalité de l'âme], Pascal, Pens. IX, 1, édit. HAVET. Si bien que les plus sages, après que cette première ardeur qui donne l'agrément aux choses du monde est un peu ralentie par le temps, s'étonnent le plus souvent de s'être si fort travaillés pour rien, Bossuet, Sermons, Loi de Dieu, 3.

HISTORIQUE

XIe s. Cis qui custivent la terre ne deit l'um travailer [tourmenter], se de lour droite cense non, Lois de Guill. 33. Pai tantes teres [il] ad sun cors traveillet, Ch. de Rol. X. Karles se dort cum hume traveillet, ib. CLXXXI.

XIIe s. Od [avec] tei serai, et Israël te liverai, et le lignage David travaillerai, Rois, p. 280. Ne velt mie plus lonc cachier [chasser], Ne ses hommes plus travillier, Wace, Brut, 14879. Se j'en travail [souffre], je n'en sai qui blasmer, Couci, II. Merci, Amours : trop m'avez traveillé, ib. VII.

XIIIe s. Ele [la reine Blanche] aime tant son petit enfançon [Louis IX], Que ne veut pas qu'il se travaut souvent En departir l'avoir de sa maison, Hues de la Ferté, Romancero, p. 182. Cil chasteaus les traveilla mout longuement, et ne pourquant tant i sistrent que rendu leur fu…, Villehardouin, CXXXV. La royne [ils] ne vourent [voulurent] longuement traveiller [fatiguer], Berte, X. Se il ne fussent si traveillié [las] comme il estoient, H. de Valenciennes, V. Grant faim [il] avoit, si l'a mangié [un morceau] ; Molt l'avoit la mer [la navigation] traveillié, Lai de Melion. S'aucuns me preste son ceval por fere mon labor ou por cevaucier, et je le rent plus megre et plus traveillié qu'il n'estoit quant je l'empruntai, Beaumanoir, XXXVII, 4. Guillaume de Biaumont vint à li et li dit : vous vous traveillés pour nient : car le seneschal est mort, Joinville, 277. Il breoient aussi comme femmes qui traveillent d'enfant, Joinville, 237. Qui ne velt travailler, Si ait petit loier, Marcoul et Salemon, ms. de St Germ. f° 116, dans LACURNE.

XIVe s. Mains travaillées et ensanglantées de sang humain, Chr. de St Denis, t. II, f° 6.

XVe s. Ils ne firent oncques en leur vie autre chose fors que traveiller de royaume en royaume pour trouver et avoir faits d'armes, Froissart, II, III, 19. Et tant travellai et chevauchai en querant de tous costés nouvelles que…, Froissart, II, III, 1. En Angleterre, Henry, fils de Henry de Lancastre, qui travailla France, Chastelain, Éloge du duc Philippe. Quand l'imagination est travaillée de plusieurs choses, elle rend l'entendement comme tout aveugle, Bouciq. IV, 11. Pour lors avoit envoyé le roy devers l'empereur Jehan Tiercelin seigneur de la Brosse pour travailler qu'il ne s'appoinctast avec le duc de Bourgongne, Commines, IV, 3.

XVIe s. Si n'estoit point besoing de se travailler pour amasser de grandes richesses en lieu où l'opulence n'estoit aucunement utile ne prisée, Amyot, Lyc. 52. Les maulx qui ont accoustumé de travailler les hommes, Amyot, Numa, 32. La poesie d'Antimachus et la peinture de Dionysius sont bien pleines de nerfs et de vigueur ; mais on voit incontinent, que ce sont choses travaillées et faittes avec peine et labeur, Amyot, Timol. 47. Par lequel changement apperra le fonds emploié en bois servir autant que celui qui travaille en bleds, ou en vins, De Serres, 785. Une damoiselle qui travailloit fort d'une ardeur d'urine, Dial. de Tahureau, p. 159, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Travail ; provenç. trebalhar, trebailhar ; espagn. trabajar ; portug. trabalhar ; ital. travagliare. Travailler a eu le sens de voyager ; sens qui se lie à celui de peine, de fatigue ; c'est de cette acception que dérive l'anglais to travel, voyager.