« viande », définition dans le dictionnaire Littré

viande

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

viande

(vian-d' ; Regnier dit vi-an-d' ; c'est l'ancienne prononciation) s. f.
  • 1Toute espèce d'aliment, tout ce qui est propre à soutenir la vie (sens primitif dont il reste plusieurs traces dans la langue). Qui nous a donné cette diversité de viandes qui se succèdent l'une à l'autre selon les saisons, en telle quantité que ceux mêmes qui ne veulent rien faire trouvent de quoi vivre en ce que la terre produit fortuitement ? Malherbe, Traité des bienf. de Sénèque, IV, 5. Celui n'est délaissé qui a Dieu pour son père ; Il ouvre à tous la main, il nourrit les corbeaux, Il donne la viande aux petits passereaux, Nérée, le Triomphe de la Ligue, II, 1, 1607. Pour moi je me nourris d'une viande invisible et d'un breuvage qui ne peut être vu des hommes, Sacy, Bible, Tobie, XII, 19. Cela suffit, sans être amoureux, pour ne pouvoir dormir, sans manger presque autant d'opium que d'autre viande, Scarron, Épît. dédic. Œuv. t. I, p. 161. Un ragoût, une salade de concombre, des cerneaux et autres sortes de viandes, Sévigné, 9 août 1689. Le dîner de M. de Valavoire effaça entièrement le nôtre, non pas par la quantité des viandes, mais par l'extrême délicatesse, Sévigné, 4 mars 1672. Le roi mangeait souvent hors de chez lui, comme chez la reine, chez M le maréchal de Villeroy, son gouverneur, au palais Brion, où il faisait toujours porter une partie de sa viande, De Laborde, Émaux, p. 541. Le corps vide de nourriture en a besoin, et l'âme aussi la désire… les viandes frappent l'œil ou l'odorat, et en ébranlent les nerfs, Bossuet, Connaiss. III, 11. Prenez-vous, comme Esther, Dieu à témoin de votre nécessité, et de la haine qu'a votre âme pour les viandes profanes et pour les repas des incirconcis ? Massillon, Carême, jeûne.

    Fig. Car c'est une viande en esprit consommée, Légère à l'estomac ainsi que la fumée, Régnier, Sat. III.

    Viande de carême, le poisson salé, la morue, le hareng, le saumon, etc. et aussi les fruits secs, les figues, les raisins, etc.

    Chez le roi, la viande est servie, se disait les jours maigres comme les jours gras. On nous annonça M. Voisin, en même temps que le capitaine des gardes avertit pour la viande, Maintenon, Lett. au duc de Noailles, 26 janv. 1711. Les sommiers du garde-manger portent pour un repas la viande du roi allant par pays, Piganiol de la Force, Introduction à la description de la France, t. I, p. 288.

    On y disait aussi : aller à la viande, aller chercher les plats qu'on devait servir sur table.

    Viande creuse, mets, repas peu nourrissant. La crème fouettée est une viande creuse pour un homme de bon appétit, Dict. de l'Académie.

    Il se dit aussi des divertissements qu'on propose à une personne qui a besoin de manger. La musique est une viande bien creuse pour un homme qui a faim, Dict. de l'Académie.

    Fig. Viande creuse, chose qui n'a point de résultat, qui ne satisfait point. Ma foi, si vous songez à nourrir votre esprit, C'est de viande bien creuse, à ce que chacun dit, Molière, Fem. sav. II, 7. Elle [l'âme] se jette avec avidité sur l'objet des choses créées qui se présentent à elle, espérant se rassasier ; mais ce sont viandes creuses, qui ne sont pas assez fortes, Bossuet, Sermons, Bonté et rigueur de Dieu, 2. Je suis aussi peu curieux de vers que de prose ; tout cela est devenu viande creuse pour moi, Fénelon, t. XIX, p. 141.

    Fig. Se repaître de viandes creuses, se remplir d'imaginations chimériques.

    Fig. Ce n'est pas là ma viande, ce n'est pas là ce que j'aime, ce que je désire.

    Fig. Ce n'est pas viande pour ses oiseaux, se dit d'une chose à laquelle un homme ne peut prétendre.

    Fig. Ce n'est pas viande prête, se dit d'une chose qu'on désire, mais qu'on ne peut espérer d'obtenir de longtemps.

    C'est un mangeur de viandes apprêtées, se dit d'un homme fainéant qui aime à faire bonne chère.

  • 2 Particulièrement. En général, toutes les chairs, soit des animaux terrestres et des oiseaux, soit des poissons qui servent à la nourriture. Le saumon n'est pas une viande de malade.
  • 3Plus particulièrement encore, la chair des animaux dont on se nourrit, la portion rouge des muscles qui est la partie la plus nutritive de tous les tissus animaux. Viande de boucherie. De bonne viande. La viande est chère. Il se réjouissait à l'odeur de la viande Mise en menus morceaux et qu'il croyait friande, La Fontaine, Fabl. I, 18. Samedi 9 février 1686 : le roi dîna et soupa chez lui en particulier, parce qu'il mange de la viande et qu'il n'en veut pas manger en public, quoique malade, Dangeau, I, 293. Quinze livres de viande à 5 sous la livre, 3 livres 15 sous, Maintenon, Lett. à Mme d'Aubigné, t. I, p. 175, dans POUGENS. Il ne se sert à table que de ses mains, il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire, La Bruyère, XI. Il [Porphyre] remontre à Firmus qu'en s'abstenant de la viande et des liqueurs fortes, on conserve la santé de l'âme et du corps ; qu'on vit plus longtemps et avec plus d'innocence, Voltaire, Dict. phil. Viande. Est-il quelqu'un qui ignore que nous [paysans] ne mangeons presque jamais de viande ? hélas ! il est prouvé que, si chaque personne en mangeait, il n'y en aurait pas quatre livres par mois pour chacune, Voltaire, Pol. et lég. Requête aux magistrats. On sait que 100 kilogrammes de viande contiennent, terme moyen, 80 kilogrammes de viande chair, 20 kilogrammes d'os, et qu'ils donnent dans les hospices 400 bouillons d'un demi-litre chacun, et 50 kilogrammes de bouilli, Thenard, Traité de chim. t. III, p. 687, dans POUGENS. Le peuple en France se nourrit beaucoup de grains et consomme très peu de viande ; le peuple d'Angleterre mange beaucoup de viande et consomme peu de grains, Toulongeon, Instit. Mém. sc. mor. et pol. t. III, p. 104.

    Viande neuve, viande qui est servie pour la première fois. Ce hachis est de viande neuve.

    Viande blanche, viande de volaille, de lapin, de veau, etc.

    Viande noire, viande de lièvre, de bécasse, de sanglier, etc.

    Grosse viande, viande de boucherie et aussi viande des gros animaux que l'on tue à la chasse. 3 décembre 1685 : Au retour de la chasse, Monseigneur nous donna un grand souper excellent, et rien que de grosses viandes, Dangeau, I, 262.

    Menue viande, la volaille, le gibier.

    Viande faisandée, hasardée, viande de gibier qui est près de se gâter.

  • 4Populairement et grossièrement, montrer sa viande, se décolleter.
  • 5Fig. En termes de dévotion, l'eucharistie. L'eucharistie était son amour ; toujours affamée de cette viande céleste, et toujours tremblante en la recevant, Bossuet, Mar.-Thér. Voilà pourquoi, dit saint Augustin, il nous a donné ce sacrement comme une viande, Bourdaloue, Dim. oct. du St-Sacrement, Dominic. t. II, p. 293.
  • 6 Terme d'alchimie. Viande du cœur, le mercure philosophal.

    Viande des morts, le mercure hermétique.

PROVERBES

La viande prie les gens, se dit de mets appétissants. Et bien que nos dîneurs mangeassent en sergents, La viande pourtant ne priait pas les gens, Régnier, Sat. x.

Il n'est viande que d'appétit, l'appétit fait trouver tout bon. Toujours manger et boire ! Dans la profusion le goût se ralentit, Il n'est, mes chers amis, viande que d'appétit, Legrand, Roi de Cocagne, I, 3.

SYNONYME

VIANDE, CHAIR. Le mot de viande porte avec lui une idée de nourriture que n'a pas celui de chair. De plus, chair ne se dit que des parties molles ; viande se dit d'une portion de substance animale mêlée de parties molles et de parties dures (Encycl.).

HISTORIQUE

XIIe s. Dunc comença sun cors durement à grever, E les grasses [grossières] viandes, chous e nes [navets] à user, Th. le mart. 97.

XIIIe s. Tuit cil qui deveurent mon pueple ausi comme viande de pain, Psautier, f° 20. Nulle viande ne nous peut venir de la mer que les Sarrazins ne nous tollissent, qui estoient plus forts que nous n'estions, Joinville, 274. Moult est en enfermeté grande Homs qui abosme sa viande [a en dégoût sa nourriture], Du Cange, abominatio.

XIVe s. Toutes viandes seches sont bonnes à tout homme, Oresme, Éth. 197. Des amis qui sont pour delettacion, peu en souffisent en la maniere que es viandes souffist un peu de salse, Oresme, ib. 287. Le pain, qui est le principal et la plus noble viande pour sustentaccion de corps humain, De Laborde, Émaux, p. 541.

XVe s. Jamais à table ne mange que d'une seule viande, c'est à savoir de la premiere à quoy il se prend, soit bouilly, ou rosty, ou poulaille, ou grosse viande, Bouciq. IV, 17. Pour ce dit ung commun proverbe : Du medecin non congnoissant en son art, de viande deux fois cuite, et de la mauvaise femme, Seigneur Dieu, veuilles nous delivrer, Nef des fols, f° 41, dans LACURNE.

XVIe s. Dieu donne viande à toute chair, Calvin, Instit. 140. On a defendu de manger chair, comme si c'eust esté une viande polluée, Calvin, ib. 1001. Viande creuse, à savoir force beste à deux pieds, H. Estienne, Apol. d'Hérod. p. 430, dans LACURNE. Touchant la viande des bœufs, de deux sortes principales s'en trouve, de verte et de seche, dont on les paistra, sous la distinction des temps, De Serres, 293. Ne m'achete point de chair, Car tant soit elle friande, L'esté je hay la viande, Ronsard, 417. Viande et boisson, perdition de maison, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 434.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. vivenda, nourriture ; ital. vivanda ; du bas-lat. vivenda, ce qui sert à vivre, de vivere (voy. VIVRE).

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

VIANDE. - REM. C'est vers la fin du XVIe siècle que viande a pris son sens spécial d'aujourd'hui : "En la cour il semble qu'on ait restreint le mot viande à la chair qui est servie à table ; car on n'y appelle pas viande le dessert, et, si à un jour de poisson quelqu'un mange de la chair, on dit qu'il mange de la viande," NICOT.