« chagrin.2 », définition dans le dictionnaire Littré

chagrin

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

chagrin [2]

(cha-grin) s. m.
  • 1Déplaisir qui peut être causé, soit par une affliction, soit par un ennui, soit par une colère. Grand, profond, noir chagrin. Chagrin cuisant, mortel. De longs, de petits chagrins. Passer son chagrin, noyer son chagrin dans le vin. J'ai de l'ambition, et mon orgueil de reine Ne peut voir sans chagrin une autre souveraine, Corneille, Sert. II, 4. S'il faut que cela soit, ce sera seulement pour venger le public du chagrin délicat de certaines gens, Molière, Préf. Crit. de l'Éc. des fem. Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre, Molière, Mis. I, 6. Les querelles, procès, faim, soif et maladie Troublent-ils pas assez le repos de la vie, Sans s'aller, de surcroît, aviser sottement De se faire un chagrin qui n'a nul fondement, Molière, Sganar. 17. Grâce à Dieu, je passe les nuits Sans chagrin, quoique en solitude… Un an se passe, et deux, avec inquiétude : Le chagrin vient ensuite, La Fontaine, Fabl. VII, 5. Tant de façons mettaient Pierre en chagrin, La Fontaine, Jum. Oui, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville, Boileau, Ép. VI. Le chagrin monte en croupe et galope avec lui, Boileau, ib. v. Jamais homme n'eut plus de chagrin que lui contre les tolérants, Bossuet, Avert. 1. Ce mal de côté me donnait bien du chagrin, Sévigné, 543. Vivez, philosophez avec vos amis ; qu'ils égayent avec vous le chagrin secret de la vieillesse, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 21 sept. 1765.
  • 2Humeur qui s'inquiète ou se tourmente. Les hérétiques, curieux ou ignorants, ont été livrés aux raisonnements humains, à leur chagrin, à leurs passions particulières, Bossuet, Var. 15. Quand il a raison, il ne faut pas lui donner de chagrin [le contrarier], Sévigné, 557. J'ai, comme Bajazet, mon chagrin et mes soins, Racine, Baj. III, 6. Mais toi, dont la valeur d'Amurat oubliée Par de communs chagrins à mon sort s'est liée, Racine, ib. IV, 7. Et jamais leurs chagrins [des sultans] ne nous laissent vieillir, Racine, ib. I, 1. J'affectai les chagrins d'une injuste marâtre, Racine, Phèd. I, 3. À la table d'Esther portez-vous ce chagrin ? Racine, Esth. III, 2. Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres, Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres, Racine, ib. On a des chagrins contre son siècle et l'antiquité en profite, Fontenelle, Socr. et Mont.

    PROVERBE

    Cent heures de chagrin ne payent pas un sou de dettes, c'est-à-dire il vaut mieux s'évertuer que de se livrer à un chagrin inutile.

SYNONYME

CHAGRIN, TRISTESSE. Le chagrin est une souffrance de l'âme, souffrance causée par une peine quelconque, par une contrariété, un désappointement, une perte, etc. La tristesse est un état de l'âme que le chagrin peut produire, mais qui peut aussi se développer de soi-même et sans accident. La mort d'une personne chérie cause un violent chagrin et jette dans une profonde tristesse. La tristesse est l'opposé de la joie et de la gaieté ; le chagrin n'a point d'opposé. Parce qu'elle est un état, la tristesse se dit des choses inanimées : la tristesse d'une harmonie, d'un site ; parce qu'il est une souffrance, le chagrin ne se dit que des personnes.

HISTORIQUE

XVe s. Il faut laisser le chalgrin importun à tout le moins à la table buvant, Basselin, XL.

XVIe s. Chagryn fait les gens aager bien tost, Palsgrave, p. 418.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. chaigrin. Ce mot est, comme on voit, nouveau dans la langue ; on ne peut donc y apercevoir que le mot chagrin, peau rude et grenue, qui, employée pour frotter, polir, limer, est devenue, par métaphore, l'expression d'une peine qui ronge (voy. CHAGRIN 1). Le patois génois a sagrinà, ronger, et sagrinâse, se ronger de colère ; ce qui met sous les yeux le procédé mental qui, de chagrin, peau rude, a fait chagrin, peine morale.