« enrager », définition dans le dictionnaire Littré

enrager

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

enrager

(an-ra-jé. Le g prend un e devant a ou o : j'enrageai, nous enrageons) v. n.
  • 1Être pris de la rage. Ce chien a été mordu ; il est à craindre qu'il n'enrage.
  • 2 Par extension, souffrir une douleur excessive. Il enrage du mal de dents.

    Il n'enrage pas de mentir, ou il n'enrage pas pour mentir, c'est un grand menteur, c'est-à-dire que, mentir ne lui causant aucune souffrance, il s'abandonne à toute sorte de mensonges. En même temps la renommée, Qui souvent est mal informée Et n'enrage pas pour mentir, Scarron, Virg. III. Pour le portrait de Mezzetin, La Fontaine a fait un sixain Où l'on voit cet acteur traité d'incomparable ; Si la Fontaine a cru la chose véritable, Je n'oserais le garantir : Mais je sais bien qu'étant fort porté pour la fable, Il n'enrage pas pour mentir, Gacon, Épigramme.

  • 3Être tourmenté d'un violent désir. Enrager de soif, de faim. Il enrage de jouer, de parler. Tantale enrage de manger ; De mets friands sa table on couvre, Scarron, Virg. VI.
  • 4Éprouver un violent dépit, une grande impatience. Mille fâcheux cruels, qui ne pensent pas l'être, De nos faits avec moi, sans beaucoup me connaître, Viennent se réjouir pour me faire enrager, Molière, Amph. III, 1. On sait assez que le destin Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage, La Fontaine, Fabl. VI, 18. Les valets enrageaient, l'époux était à bout, La Fontaine, ib. VII, 2. Quand vous devriez en enrager, Sévigné, 441. Quelle sérénité ! savez-vous, quand j'enrage, Que j'enrage encor plus, si l'on n'enrage aussi ? Piron, Métrom. I, 4. Ces lentes formalités de justice qui tant de fois le firent enrager [le cardinal de Retz], comme lui-même le raconte, Courier, I, 173.

    Il se construit avec de et le verbe à l'infinitif. J'enrage de me taire et d'entendre mentir, Corneille, Ment. I, 5. J'enrage de trouver cette place usurpée, Et j'enrage de voir ma prudence trompée, Molière, Éc. des f. III, 5. J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicule malgré leur qualité, Molière, Critique, 6.

    Il se construit aussi avec que et le verbe au subjonctif. J'enrage que mon père et ma mère ne m'aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences, quand j'étais jeune, Molière, Bourg. gent. II, 6.

    Fig. Il ferait enrager bête et marchand, ou la bête et le marchand, se dit d'un homme qui tracasse sur tout, qu'on ne saurait satisfaire sur rien.

    Prendre patience en enrageant, c'est-à-dire malgré soi.

REMARQUE

Enrager se construit avec l'auxiliaire avoir, quand on veut marquer l'action : le chien a enragé et s'est enfui ; avec l'auxiliaire être, quand on veut marquer l'état : le chien est enragé depuis hier.

HISTORIQUE

XIIe s. Tel duel [deuil] en ot [il], par un petit n'enrage, Ronc. p. 81. En la curt l'arcevesque vindrent li enragié ; Tut dreit devant la sale sunt descendu à pié, Th. le mart. 138. Là l'unt trait et mené li ministre enragié : Asolez [absolvez], funt il, cels qui sunt escumengié [excommuniés], E cels qui sunt par vus suspendu e lacié[liés], ib. 148.

XIIIe s. S'en venoit li lions comme beste enragie, Berte, II. Or vous dirons dou roi Ricart qui estoit en Cypre, et ot eu lettres d'Acre qui prise estoit, et en fu si courrouciés qu'à poi qu'il n'erragoit, Chr. de Rains, p. 40. [La jalousie] Qui tous jors d'autrui joie enrage, la Rose, 7442. Sa char soit or livrée as lous, Et les os as chiens enragiés ! ib. 9159.

XVe s. Là estoit le comte [de Flandre] qui les prioit et admonestoit de bien faire et de prendre la vengeance de ces enragés de Gand, Froissart, II, II, 94.

XVIe s. Ibycus les appelle Andromanes, c'est à dire enrageans [désirant] d'avoir le masle, Amyot, Lyc. et Num. comp. 6. Ilz se jetterent hors de toute raison et de toute humanité pour servir à la passion de leur furieuse haine et enragé courroux, Amyot, Cicér. 58. Les autres asseuroyent que l'eau de la mer guerissoit les enragez, si on les jette dedans ; et de faict on les mene maintenant à la mer, comme le plus asseuré remede, Guill. Bouchet, VII Serée.

ÉTYMOLOGIE

En 1, et rage ; bourguign. enraigé ; provenç. enrabiar, enratjar, enrapjar, enranjar. Il y avait aussi la forme esrager.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ENRAGER. Ajoutez :
5Enrager après, éprouver une violente passion pour. L'un enrage après les femmes, l'autre veut toujours avoir le ventre à table, Malherbe, Lexique, éd. L. Lalanne.