« arracher », définition dans le dictionnaire Littré

arracher

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

arracher

(a-ra-ché) v. a.
  • 1Enlever de terre avec les racines, et, par extension, ôter ou enlever quelque chose qui adhère. Arracher les plantes, les mauvaises herbes. Arracher la vigne, un arbre. Il se fit arracher une dent. Arracher les yeux, les oreilles, la langue, la queue. On arrachait les affiches.

    Fig. et familièrement. Je lui ai arraché une dent, en parlant d'un avare à qui on a soutiré de l'argent.

  • 2Employer effort, violence pour ôter, pour faire lâcher, faire quitter, faire sortir, au propre et au figuré. On lui arracha le poignard des mains. Arracher quelqu'un des mains des ennemis. Arracher la victoire à l'ennemi. Il ne put jamais arracher de sa mémoire les injures qu'il avait reçues. Arrachez de votre cœur la passion de l'argent. On lui arrachera le pouvoir. Arracher un prêtre de l'autel. On arracha ce citoyen de chez lui. Je l'ai arraché d'avec elle. Je viens voir si l'on peut arracher de ses bras Cet enfant dont la vie alarme tant d'États, Racine, Andr. I, 1. Le cruel ne la prend que pour me l'arracher, Racine, ib. III, 1. Le ciel, dit-il, m'arrache une innocente vie, Racine, Phèd. V, 6. Tu n'auras pas regret de m'arracher la vie, Molière, l'Étour. II, 7. Vous seul vous lui pouvez arracher cette envie, Racine, Bérén. IV, 7. Je te voudrais moi-même en arracher l'envie, Corneille, Cid, IV, 2. Arrache-lui du cœur ce dessein de mourir, Corneille, Cinna, III, 5. Belle Charlotte, je vous aime de tout mon cœur ; et il ne tiendra qu'à vous que je vous arrache de ce misérable lieu, Molière, le Fest. II, 2. Ils m'arrachent d'un trône où votre choix m'élève, Corneille, Agésil. V, 4. Je ne vois plus en lui les restes de mon sang, S'il m'arrache du trône et la met en mon rang, Corneille, Rod. V, 1. La reine Bérénice Vous arrache, seigneur, du sein de vos États, Racine, Bérén. I, 2. Un désordre éternel règne dans son esprit, Un chagrin inquiet l'arrache de son lit, Racine, Phèd. I, 2. Une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil, Racine, Brit. II, 2.

    Arracher le cœur, causer une vive affliction. Voilà ce qui me fit écrire cinq à six lignes qui m'arrachaient le cœur, Sévigné, 329.

  • 3Tirer quelque chose de quelqu'un, obtenir avec peine. Arracher de l'argent à quelqu'un. Elle arrachait des pleurs même aux indifférents. Arracher les réponses une à une. On ne peut lui arracher un mot. La plèbe arracha cette loi aux patriciens. Les mauvais succès sont les seuls maîtres qui peuvent nous reprendre utilement et nous arracher cet aveu d'avoir failli qui coûte tant à notre orgueil, Bossuet, Reine d'Angl. Ces soupirs que la tristesse m'arrache, Massillon, Affl. Les larmes que ce souvenir lui arrache, Massillon, Mort. Ainsi vous retombez dans les mêmes alarmes Qui vous ont dans la Grèce arraché tant de larmes, Racine, Mithr. II, 1. Ne te fais pas arracher les mots de la bouche, Molière, Fourb. I, 1. Quelques années s'écoulèrent, sans que les deux vieillards [Chactas et le prêtre] lui pussent arracher son secret, Chateaubriand, René, 166. Je t'ai même puni de l'avoir arraché [mon secret], Racine, Mithr. IV, I. Vous m'avez arraché cet affreux sacrifice, Voltaire, Alz. I, 4. Mes bienfaits, mon respect, mes soins, ma confiance Ont arraché de vous quelque reconnaissance, Voltaire, Zaïre, IV, 6. Ce secret m'importune, il faut que je l'arrache, Voltaire, Mérope, IV, 1. Tandis que des soldats, de moments en moments, Vont arracher pour lui des applaudissements, Racine, Brit. IV, 4. Je ne puis arracher du creux de ma cervelle Que des vers plus forcés que ceux de la Pucelle, Boileau, Sat. VII.
  • 4Détourner de ; faire échapper à. La vieillesse m'arrache aux affaires. L'espoir du butin les arrachait aux travaux de la terre. Arracher quelqu'un à ses travaux. On l'arracha à une mort imminente. … Vous seul vous m'avez arrachée à cette obéissance où j'étais attachée, Racine, Mithr. IV, 4.
  • 5S'ar racher, arracher à soi. Il s'arrachait les cheveux.

    Familièrement. S'arracher les yeux, se disputer avec violence. Ils s'arrachaient les yeux.

    Fig. S'arracher une épine du pied, se délivrer d'un embarras.

    Familièrement. On se l'arrache, se dit d'une chose ou d'une personne très recherchée. On s'arrache ce livre nouveau. Je le retrouvai brillant, les dames se l'arrachaient, Rousseau, Conf. IV.

  • 6 En termes de gravure, enlever de dessus le cuivre des parties déjà gravées qu'on veut corriger.

    En termes de chapellerie, enlever, éplucher le jarre ou poil luisant qu'on remarque sur les peaux de castor.

  • 7S'arracher, v. réfl. S'éloigner, se détacher difficilement, avec peine. Je ne puis m'arracher à mes livres. Arrachez-vous d'un lieu funeste et profané, Où la vertu respire un air empoisonné, Racine, Phèd. V, 1. Je l'ai vu quelquefois s'arracher de ces lieux, Racine, Brit. II, 2. Vous ne pouvez vous arracher à la nymphe que vous aimez, Fénelon, Tél. VII. J'ai résolu de m'arracher de Paris, Voiture, Lett. 15.
  • 8 Fig. Se soustraire. S'arracher aux affronts. S'arracher au sommeil.

    PROVERBE

    Il vaut mieux laisser son enfant morveux que de lui arracher le nez ; c'est-à-dire il faut tolérer un petit mal, pour en éviter ou de peur d'en faire un plus grand.

SYNONYME

1. ARRACHER, RAVIR., Ce qui distingue ces deux mots, c'est que arracher implique résistance de celui à qui on arrache ; tandis que ravir est à la vérité un acte de violence, mais qui peut s'exercer sur des personnes ou des choses non défendues ou mal défendues.

2° ARRACHER DE, ARRACHER, à. Arracher de indique l'endroit ou la chose d'où l'on arrache ; c'est la séparation violente d'une chose d'avec une autre à laquelle elle tenait : arracher un clou d'une muraille, arracher un homme d'un lieu. Quand on arrache de, c'est la personne ou la chose que l'on arrache qui résiste. Arracher à est suivi d'un nom de personne ou d'un nom de chose personnifiée en quelque sorte, et marque que cette personne ou cette chose est le but de l'action, que c'est à elle qu'on veut ôter l'objet dont il s'agit : arracher un œil à une personne ; un enfant à sa mère ; de l'argent à un avare ; arracher quelqu'un à la mort, à la vengeance de ses ennemis. Quand on arrache à, c'est la personne ou la chose à laquelle on arrache qui résiste.

HISTORIQUE

XIIe s. Quant nostre sire esracerad tuz tes enemis de la terre, Rois, 79. Mout tost rompus et arachiez Les membres du cors [ils] vous auront, La charrette, 3070.

XIIIe s. Il ot un fevre en Normandie Qui trop bel arrachoit les denz, Barbazan, Fabliaux, dans l'Ordene de chevalerie, p. 161. Fain, qui ne voit ne blé ne arbres, Les erbes en errache pures As trenchans ongles, as dens dures, la Rose, 10189. Il y a encore un cas de crieme, dont je ne parloie pas devant, c'est de bonnes [bornes] esracier et puis rasseir, en autrui desheritant por soi aheriter, Beaumanoir, XXX, 27.

XIVe s. Il se efforça de les esracier, Oresme, Eth. 44. Li diz Adam avoit arresgié une bonne [borne] en terroir de Tours, Du Cange, arrancare.

XVIe s. Ce masque arraché, rapportant les choses à la raison et…, Montaigne, I, 118. Arracher les enfants du sommeil tout à coup et par violence…, Montaigne, I, 195. On ne me pouvoit arracher de l'oisifveté, Montaigne, I, 195. On leur arrache le cœur et les entrailles, Montaigne, I, 129. Tout cela se faict pour arracher de leur bouche quelque parole…, Montaigne, I, 242. Un soldat luy avoit arraché ce peu de bouillie qui luy restoit, Montaigne, II, 48. Elle s'arracha d'alentour de la teste son bandeau royal, Amyot, Lucull. 32. … Un dueil que le temps n'a pouvoir D'arracher de ta souvenance, Ronsard, 399.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. araigar, araizar, arasignar, esraigar ; anc. catal. arraygar ; espagn. Arraigar ; portug. arreigar. La forme arracher répond à abradicare ; la forme esrachier à exradicare, de radix, racine (comp. RACINE).