« déférer », définition dans le dictionnaire Littré

déférer

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

déférer

(dé-fé-ré. La syllabe fé prend un accent grave quand la syllabe qui suit est muette : je défère, excepté, suivant la règle anomale de l'Académie, au futur et au conditionnel : je déférerai, je déférerais) v. a.
  • 1Accorder, en parlant d'honneurs, de dignités. … Pour le peu de temps qu'il [ce grade] pourra vous durer, Il me coûtera peu de vous le déférer, Corneille, Sertor. V, 4. Et l'honneur souverain qu'ici je vous défère, Corneille, Nicom. II, 3. Quelques titres nouveaux que Rome lui défère, Néron n'en reçoit point qu'il ne donne à sa mère, Racine, Brit. I, 1. Il défère le commandement de l'armée à Polymène, Fénelon, Tél. XII. Viens, tu vois des ingrats, mais Rome te défère Les noms, les sacrés noms de père et de vengeur, Voltaire, Catil. V, 2.
  • 2Porter devant une juridiction. Les rois déféraient au peuple le jugement souverain, Bossuet, Hist. III, 6.
  • 3Traduire devant un tribunal, devant un juge. Il était arrêté prisonnier, parce que deux témoins l'avaient déféré, Vaugelas, Q. C. liv. I, ch. 1. Il défère son ennemi en évitant le nom odieux d'accusateur, Guez de Balzac, 5e Disc. sur la cour. Vous êtes obligés de déférer cet impie au parlement, Pascal, Prov. 16. L'Église procédant au jugement de ceux qui lui étaient déférés, Bossuet, Lett. 53. Pourquoi donc au sénat ne pas me déférer ? Voltaire, Catil. II, 3. Allons, dites-moi sans façon tout ce que vous pensez ; je vous promets de ne vous point battre et de ne vous point déférer au sacrificateur de Cérès, Voltaire, Dial. 29. Autant il faut de soins, d'égards et de prudence Pour ne point accuser l'honneur et l'innocence, Autant il faut d'ardeur, d'inflexibilité Pour déférer un traître à la société, Gresset, Méchant, V, 4.

    On dit dans le même sens déférer un acte, un livre, etc. Ce décret [du pape Honorius] y fut déféré [au 6e concile général], et, après avoir été lu et examiné, il fut condamné comme contenant l'hérésie des Monothélites, Pascal, Prov. 17. J'ai été un peu émerveillé que M. Séguier, ci-devant avocat général, fût venu me voir à Ferney pour me dire qu'il serait obligé de déférer l'Histoire du parlement et que Messieurs le pressaient fort, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 12 mai 1772.

    Déférer le serment à quelqu'un, s'en rapporter à ce qu'il témoigne sous serment. Le serment lui fut déféré, Patru, Plaidoyer 13, dans RICHELET. Platon dit que Rhadamante expédiait les procès, déférant seulement le serment sur chaque chef, Montesquieu, Espr. XIX, 22.

  • 4Déférer quelque chose à quelqu'un, le lui céder par condescendance. Sire, voyez César, forcez-vous à lui plaire, Et, lui déférant tout, veuillez vous souvenir Que les événements règleront l'avenir, Corneille, Pomp. II, 4.

    Vieilli en cet emploi.

  • 5 V. n. Condescendre, céder par respect. Déférez à l'ardeur de mon mal furieux, Régnier, Élég. 2. Je défère tant à votre jugement que je ne veux plus avoir mauvaise opinion de moi, Guez de Balzac, liv. I, lett. 4. Ces personnes à qui je défère, Descartes, Méth. 6. Que d'un si grand coup mon esprit abattu Défère à ses malheurs plus qu'à votre vertu, Corneille, Théod. III, 3. À vous moins déférer je croirais faire un crime, Corneille, Agésil. V, 3. Je vous défère assez pour n'en vouloir rien lire, Corneille, ib. V, 7. Encore à la nature Étéocle défère, Il se laisse gagner aux plaintes de ma mère, Rotrou, Antig. II, 2. … mes desseins pour elle, aux vôtres préférés, Sont ces puissants respects à qui vous déférez, Rotrou, Vencesl. III, 2. Ce ne sont point ici des choses où les enfants soient obligés de déférer aux pères, Molière, Avare, IV, 3. Ce n'est pas à mon cœur qu'il faut que je défère Pour entrer sous de tels liens, Molière, Psyché, I, 3. Ne devrait-il pas déférer aux anciennes lois de l'Église ? Pascal, Prov. 6. Quelqu'un se distingue ou par une plus grande vivacité, ou par une meilleure disposition du corps… les autres lui défèrent, La Bruyère, XI. C'est enfin de la même manière que je juge des facultés et des actions de mes semblables et que je défère au témoignage qu'ils me rendent en tel ou tel cas particulier, Bonnet, Œuvres, Mél. t. XVIII, p. 351, dans POUGENS.
  • 6Se déférer, être déféré, accordé. Les récompenses qui se défèrent à ceux qui les méritent.

HISTORIQUE

XVIe s. La loy defere aux prestres levitiques le jugement de lepre, Calvin, Instit. 1088. Ils lui deferoyent volontiers autant d'honneur qu'ils pouvoyent, Calvin, ib. 899. L'on jetta en prison tous ceulx qui furent en sorte quelconque deferez ou souspeçonnez, Amyot, Alc. 3. Thessalus a deferé et defere Alcibiades, d'avoir forfaict contre Cerès, Amyot, ib. 41. Platon luy defere tant, que, de tous ceulx qui ont esté beaucoup estimez et renommez à Athenes, il ne fait compte que de luy seul, Amyot, Arist. 63. Et comme Lucius le niast, Caton luy defera le serment qu'il jurast publiquement, ce dont il le chargeoit n'estre pas veritable, Amyot, Caton, 34. Mithridates marchoit après luy et se demettoit voluntairement au second lieu, en luy deferant, comme à son superieur, Amyot, Sertor. 36. Les Lacedemoniens croyent et deferent beaucoup à leurs femmes, Amyot, Agis et Cléom. 9. Je luy eusse deferé et remis ma charge entre les mains, Carloix, X, 16.

ÉTYMOLOGIE

Lat. deferre, transporter, décerner, accorder, et, de là, dans le français, le verbe étant pris absolument, le sens d'avoir de la déférence.