« suffisant », définition dans le dictionnaire Littré

suffisant

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

suffisant, ante

(su-fi-zan, zan-t') adj.
  • 1Qui suffit. Cette somme est suffisante pour les frais du voyage. Ces hommes sont suffisants pour défendre la place. La mémoire seule [d'un bienfait], sans que nous mettions la main à la bourse, est suffisante à nous acquitter, Malherbe, le Traité des bienf. de Sénèque, III, 2. Désobéir un peu n'est pas un si grand crime, Et, quelque grand qu'il soit, mes services présents Pour le faire abolir sont plus que suffisants, Corneille, Cid, II, 1. Avez-vous oublié, en quittant le monde, ce que le mot de suffisant y signifie ? ne vous souvient-il pas qu'il enferme tout ce qui est nécessaire pour agir ? Pascal, Prov. II. Il jouissait d'une fortune suffisante. Bon ! reprit-il, suffisante, à quoi cela va-t-il ? tout ce qui n'est que suffisant ne suffit jamais, Marivaux, Pays. parv. 4e part. Il ne faut point faire de changements dans une loi sans une raison suffisante, Montesquieu, Espr. XXIX, 16.

    Terme de philosophie. Raison suffisante, voy. RAISON, n° 11.

    Terme de théologie. Grâce suffisante, voy. GRÂCE, n° 8.

    Terme de littérature. Rimes suffisantes, celles où le son consonant est suivi d'articulations semblables : joli et ami est une rime pauvre, polir et saphir où le son de l'i se trouve des deux côtés prolongé par l'articulation r, est une rime suffisante.

  • 2Capable ; sens qui vieillit. Homme fort entendu et suffisant de tête, Régnier, Sat. IX. Je trouve Pauline bien suffisante de savoir les échecs ; si elle savait combien ce jeu est au-dessus de ma portée, je craindrais son mépris, Sévigné, 614.

    Substantivement. Moi-même en mes discours qui fais le suffisant, Régnier, Sat. IX.

  • 3Qui a de la suffisance, qui se croit capable et le témoigne par son air. L'on voit des gens brusques, inquiets, suffisants, qui, bien qu'oisifs, et sans aucune affaire qui les appelle ailleurs, vous expédient, pour ainsi dire, en peu de paroles, La Bruyère, V. Elle était simple, glorieuse, crédule, soupçonneuse, coquette, sage, fort suffisante et fort sotte, Hamilton, Gramm. IX. Ces hommes suffisants qui ont assez d'éducation et d'habitude du monde pour parler des choses qu'ils n'entendent point, Vauvenargues, Du goût. Il est ferme et non suffisant, ses manières sont libres et non dédaigneuses, Rousseau, Ém. IV.

    Substantivement. Un suffisant. Une suffisante. Le suffisant est celui en qui la pratique de certains détails que l'on honore du nom d'affaires, se trouve jointe à une très grande médiocrité d'esprit, La Bruyère, XII. Vous voulez que je trouve parfait Un petit suffisant qui n'a que du caquet ? Gresset, Méchant, IV, 6. Il fait le suffisant dans la ville et dans les endroits où il est chargé de fonctions, Bachaumont, Mém. secr. t. XXXIV, p. 199.

    Il se dit aussi de l'air, des manières. Il prend avec mon frère un ton bien suffisant, Destouches, Glor. III, 7. Qu'elle avait en général une antipathie mortelle pour les airs suffisants, Fagan, Pupille, sc. 21.

REMARQUE

On dit ordinairement suffisant à ; cependant Régnier et Molière ont dit suffisant de. Je me déchargerai d'un faix que je dédaigne, Suffisant de crever un mulet de Sardaigne, Régnier, Sat. VI. Bon Dieu ! que de discours ! Rien n'est-il suffisant d'en arrêter le cours ? Molière, le Dép. II, 7. C'est un archaïsme (voy. l'historique).

SYNONYME

SUFFISANT, PRÉSOMPTUEUX, VAIN. Vain est le terme le plus général. L'homme vain tire avantage de tout, aussi bien des choses intérieures que des choses extérieures. Le présomptueux est celui qui présume trop de ce qu'il peut ou de ce qui lui est permis. Le suffisant est celui qui, ayant une trop bonne idée de son mérite, le laisse voir en toute sa personne. Le dernier exemple de la Bruyère montre le sens premier du mot en cet emploi, et la transition qui l'a produit. Le suffisant est proprement celui qui, ayant passé par certains emplois, y a montré sa suffisance, sa capacité, et en a conservé un air de satisfaction impertinente.

HISTORIQUE

XIIIe s. Et si soies bien entendans, Se justice dormoit gisans, Si seroit Amors soffisant, Que tu vas si moult desprisant, à mener bele vie et bonne, la Rose, 5551. Et iluecques doit estre oïs par le segneur qu'il servi, ou par home soufisan envoyé de par li, s'on li vaurra riens demander [à l'ancien bailli d'un lieu], Beaumanoir, I, 41. …plusor chanoine, Qui vivent du Dieu patremoine, Il n'en doivent, selonc le livre, Prendre que le souffisant vivre, Et le remanant humblement Deüssent il communement à la povre gent departir, Rutebeuf, 220.

XVe s. Si ot conseil le duc [de Bretagne] qu'il envoieroit suffisans hommes d'armes en Angleterre, Froissart, II, II, 65. Nous sommes suffisans, nous tenans ensemble, de nous retyrer jusques es marches de Haynaut…, Commines, I, 13.

XVIe s. Et n'est pas loisible à l'homme de s'excuser, en tant qu'il n'a point la puissance, et, comme un pauvre detteur, n'est pas suffisant de payer, Calvin, Instit. 272. Vous et un compaignon estes assez suffisant theatre l'un à l'autre, Montaigne, I, 286. Ilz ne pensoient pas que l'empire romain fust suffisant pour eulx qui n'estoient que deux, Amyot, Pomp. 77. Il est fort suffisant en cela [il s'y connaît], H. Estienne, Précell. p. 79.

ÉTYMOLOGIE

Suffire. On disait aussi soficient.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

SUFFISANT. Ajoutez :
4Suffisant à, capable de. Un autre disait qu'il n'y avait point de doute qu'un si grand nombre d'hommes ne fût suffisant à mettre toute la Grèce dans terre, Malherbe, Lexique, éd. L. Lalanne.

HISTORIQUE

Ajoutez : XIIe s. La pense [pensée] turbée n'est mie soffianz de ce à esgardeir, à cui ele puet avisunkes [peut-être] paisieble sospireir, li Dialoge Gregoire lo pape, 1876, p. 367.