« éblouir », définition dans le dictionnaire Littré

éblouir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

éblouir

(é-blou-ir) v. a.
  • 1Frapper les yeux par un éclat qu'ils ne peuvent soutenir. Le soleil m'éblouissait. Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi, Racine, Phèd. I, 3.
  • 2 Fig. Produire sur les yeux de l'esprit le même effet qu'une lumière trop vive sur les yeux du corps. Mais n'espère non plus m'éblouir de parjures, Corneille, Cinn. IV, 6. Ils ont été éblouis de cette somme, Sévigné, 384. De quelque côté que je suive les traces de sa glorieuse origine, je ne découvre que des rois, et partout je suis ébloui de l'éclat des plus augustes couronnes, Bossuet, Duch. d'Orl. Tout éclairée qu'elle était, elle n'a point présumé de ses connaissances, et jamais ses lumières ne l'ont éblouie, Bossuet, ib. Cette nouveauté éblouit les yeux du peuple, Bossuet, Hist. II, 5. Sans se laisser éblouir par le bonheur des événements, Bossuet, ib. III, 6. L'admirable Julie ne se laissa point éblouir à l'éclat des dignités du siècle, Fléchier, Mme de Mont. Ce jour, ce triste jour frappe encor ma mémoire, Où Néron fut lui-même ébloui de sa gloire, Racine, Brit. I, 1. Mes promesses aux uns éblouirent les yeux, Racine, ib. IV, 2. Inventez des raisons qui puissent l'éblouir, Racine, Baj. II, 6. Veulent-ils m'éblouir par une feinte vaine ? Racine, Phèd. V, 4. Tantôt m'éblouissant de tes riches trésors, Racine, Athal. V, 6. Il croyait m'éblouir par ses promesses, Fénelon, Tél. II. Fortune dont la main couronne Les forfaits les plus inouïs, Du faux éclat qui t'environne, Serons-nous toujours éblouis ? Rousseau J.-B. Ode à la fortune.

    Absolument. Le monde n'éblouit jamais tant que quand on le voit de loin sans l'avoir jamais vu de près et sans être prévenu contre sa séduction, Fénelon, Éduc. filles, p. 274, dans POUGENS. Promets, donne, conjure, intimide, éblouis, Voltaire, Mérope, I, 4.

  • 3S'éblouir, v. réfl. Se laisser fasciner, étourdir, enorgueillir. Je n'ose m'éblouir d'un peu de nom fameux, Corneille, Sertor. II, 2. Je ne m'éblouis point de cette illusion, Corneille, ib. III, 2. Moi, je m'éblouis moins de la splendeur du rang, Corneille, Agés. I, 1. Il se possède assez pour ne pas s'éblouir de son bonheur, Hamilton, Gramm. 11. Je l'ai vu s'éblouir, je l'ai vu s'ébranler, Voltaire, Brut. III, 2.

REMARQUE

1. Bossuet a dit se laisser éblouir par des sons : Ne nous laissons pas éblouir par un son confus de paroles, Bossuet, III, Écrit. Voy. à l'historique un emploi semblable dans les phrases d'Amyot.

2. Éblouir, mot si ancien dans la langue et si usité dans tous les temps, manque, chose singulière, dans la 1re édition du Dictionnaire de l'Académie.

HISTORIQUE

XIIIe s. Nient plus qu'on puet el solel esgarder, Pour che que trop en esbloïst li rais, Mätzner, p. 21. Il sont tot esbloï aussi comme li ors [l'ours], Rutebeuf, 233.

XIVe s. Tant fu surprise, au cuer, d'amour qui la maistrie ; La veüe lui trouble, si fu toute esbleuie ; Quant descendre cuida, à terre chiet [tombe] flastrie, Baud. de Seb. II, 910.

XVe s. Car quant vostre beauté luira Sur moi, si fort esbloira Mes yeux, que je ne verrai goutte, Orléans, Bal. 50. Je voy faucon quant il gette sa croe, Et lanneret, que pluseurs sont si mos [mous], Qu'il faillent bien ; car le temps les esbloe, Deschamps, Poésies mss. f° 229, dans LACURNE, au mot lanneret.

XVIe s. Qui a vu un clair soleil tout à coup estre esbloui et obscurci d'une espaisse nuée, Yver, p. 630. Laquelle tempeste donnoit aux barbares par devant, leur battant les visages, et leur esblouissant les yeux, Amyot, Tim. 38. Il lui vint une taie sur les yeux qui lui esblouit la veue, Amyot, ib. 49. Il trouva Antonius preschant les soudars, et eulx tous esblouis et attendris par la douceur de son eloquence, Amyot, Mar. 81. Le peuple se prit à crier si fort, qu'un corbeau, volant à l'instant par dessus, s'en esblouit et tomba emmy la presse du peuple, Amyot, Pomp. 39. Un langage elegant et brave esblouit les oreilles de l'escoutant, qu'il ne puisse sainement juger de ce qu'il signifie, Amyot, Comment il faut ouir, 11.

ÉTYMOLOGIE

Es- préfixe, et un radical qui est aussi dans le provençal, em-blauzir, étonner, d'origine incertaine. On a proposé bleu : faire bleu devant les yeux ; il est certain qu'au quatorzième siècle on a dit esbleuir. Mais Diez objecte que bleu, de l'allemand blau, n'aurait pas pris un z en provençal pour éviter un hiatus (et, en effet, blavenc, blaveza, etc. dérivés de blau, et non pas blauzenc, blauzeza, etc.). Il se range donc de l'avis de Grandgagnage, qui indique l'ancien haut allemand blôdi, interdit, incertain. Il faut noter esbloer, qui indique plutôt bleu que l'allemand blôdi. Y aurait-il deux thèmes qui se seraient confondus dans le français esbloir, l'un français, l'autre provençal ; l'un esbleuir, esbloer, l'autre emblauzir ?

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ÉBLOUIR. - HIST. Ajoutez : XIIe s. Puis le font [un chalumeau] par dehors tout de fin or brunir ; Quant li solaus reluist, tous le fait esclarcir, Que tos cex qui l'esgardent fait les ex [yeux] esbleuir, Roman d'Alix. p. 446. Mais, ains que il venist as tantes, Voloit une route de gantes [oies sauvages] Que la nois [neige] avoit esbleuies, Perceval le Gallois, V. 5549.