« lorgner », définition dans le dictionnaire Littré

lorgner

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

lorgner

(lor-gné)
  • 1 V. n. Loucher (sens tombé en désuétude). Voyant… Que les yeux de travers s'offensent que je lorgne, Régnier, Sat. V.
  • 2 V. a. Observer à la dérobée, en tournant les yeux de côté. Elle me lorgnait avec attention, Scarron, Jodelet maître et valet, dans LEROUX, Dict. com. Nos profonds politiques avaient pensé que, dans un temps où tout le monde se promène, les passants et principalement ceux qui s'intéresseraient à quelques-uns de nous [prisonniers de la Bastille], viendraient les lorgner, Staal, Mém. t. II, p. 142. La princesse de Babylone regarda le roi d'Égypte du coin de l'œil, ce qui plusieurs siècles après s'est appelé lorgner, Voltaire, Pr. de Babyl. 4.

    Absolument. Trufaldin lorgnait exactement, Molière, l'Ét. IV, 8.

  • 3Regarder avec une lorgnette. Au spectacle il lorgne toutes les femmes.
  • 4Lorgner une femme, la regarder de manière à faire croire qu'on a du goût pour elle. On l'écouta, on se laissa lorgner, on répondit même, Hamilton, Gramm. 6. Il la lorgnait d'une grande assiduité, Hamilton, ib. 7.

    Fig. Lorgner une charge, une place, un héritage, avoir des vues sur une charge, sur une place, sur un héritage. Mathéo tremble et lorgne la finance, La Fontaine, Belph. Je passe devant une fenêtre ; je lorgne du coin de l'œil de belles poires, Rousseau, Confess. I. Maintenant je lorgne la Sicile, je ne rêve que les prairies d'Enna, Courier, Lett. I, 116.

HISTORIQUE

XIIIe s. Se aucuns hons ou autres qui fussent mehaingniés [estropiés] …et un autre qui soit sours ou lours [louche], Du Cange, luscus. D'autre part Sawalet li borgnes Dit bien que il n'est pas si lorgnes, Poésies franç. mss. avant. 1300, t. IV, p. 1343, dans LACURNE. Qui moult fut lourdiaus et lunages [lunatique], Et moult lorgnes et moult sauvages, Du Cange, lunaticus.

XVIe s. Advisez comment elle lorgne ; n'est elle pas une fiere dame ? Palsgrave, p. 614.

ÉTYMOLOGIE

Diez, d'après Frisch, citant le normand loriner, regarder, tire lorgner du germanique : allem. lauern, épier, regarder ; suisse, loren, luren ; suéd. lura. Cette étymologie ne tient aucun compte des anciens adjectifs lorgne et lour qui signifient louche et qui ne paraissent pas pouvoir être séparés de lorgner, tant pour la forme que pour le sens, lorgner étant, comme loucher, regarder de côté. Mais on peut concilier l'adjectif et le verbe, en dérivant l'adjectif lui-même de ces verbes germaniques qui, signifiant regarder, auront pris le sens de loucher. Cependant cela n'est pas tout à fait sûr. Tout l'Ouest dit calorgne pour borgne, et, en Normandie, pour louche ; patois lorrain, calougnâ, loucher, calougnâr, louche ; calorgne est sans doute formé de la particule péjorative ca, et de lorgner. Il y avait un autre lorgner qui signifiait frapper et qui paraît sans relation avec lorgner, regarder de côté :

XVe s. On crye haro, qui vive, tue, Alarme, au guet, rens toy, ribault, Torsche, lorgne, depesche, rue, Frappe, combat, taille, remue, Coquillart, Le blason des armes et des dames.

XVIe s. Et à grands coups de poing il lorgnoit dessus lui, Despériers, Contes, XCVIII. Ce lorgner se trouve encore dans Régnier : Ces gens à se piquer ardents, S'en vinrent du parler à tic tac, torche, lorgne ; Qui casse le museau, qui son rival éborgne, Sat. X.