« lancer », définition dans le dictionnaire Littré

lancer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

lancer

(lan-sé. Le c prend une cédille devant a et o : lançant, lançons) v. a.
  • 1Jeter avec force une lance, et, par extension, toute sorte de trait ou objet quelconque. Termine, juste ciel, ma vie et mon effroi, Et lance ici des traits qui n'accablent que moi, Racine, Iphig. V, 2. Adraste lance son dard contre Télémaque, Fénelon, Tél. X. On lui lance [à Claude] au visage des noyaux d'olives et de dattes en présence de ses parents, qui n'en sont point offensés, Diderot, Claude et Nér. I, 16. Presque aussi barbares que ceux qui l'attaquaient, il [Bélisaire] lança contre ses ennemis les belles statues qui décoraient l'intérieur de l'édifice, Staël, Corinne, IV, 3. De son œuvre imparfaite [le monde] il [Dieu] détourna la face, Et, d'un pied dédaigneux la lançant dans l'espace, Rentra dans son repos, Lamartine, Médit. I, 7.

    Fig. Ils se servent de leur langue comme d'un arc, afin d'en lancer des traits de mensonge et non de vérité, Sacy, Bible, Jérémie, IX, 3. Je voudrais que chacun de nos frères lançât tous les ans les flèches de son carquois contre le monstre, sans qu'on sût de quelle main les coups partent, Voltaire, Lett. Damilaville, 8 oct. 1764.

    Dans le style soutenu, on dit que Dieu lance le tonnerre, la foudre. Daigne du juste ciel la bonté souveraine… Ne lancer que sur moi les foudres mérités, Corneille, Rodog. II, 3. Son aigle [du drapeau tricolore] est resté dans la poudre, Fatigué de lointains exploits ; Rendons-lui le coq des Gaulois ; Il sut aussi lancer la foudre, Béranger, Vieux drap.

    Lancer un coup, porter un coup. Lancer un coup de pied, une ruade. Seigneur, ce sont les moindres coups Que le ciel irrité vient de lancer sur vous, Voltaire, Tancr. III, 3. Qu'on lui donne mon arc : nous verrons si sa main Aux monstres des forêts lance un coup plus certain, Ducis, Macbeth, II, 3.

    Fig. Justice, Vérité… Sauvez-moi, conservez un bras Qui lance votre foudre…, Chénier, Iambes.

  • 2 Par extension. Lancer se dit des rayons de lumière ou de chaleur. C'était l'heure du jour où le soleil lance ses rayons avec plus de violence, Vaugelas, Q. C. livre III, dans RICHELET. Sur son char de rubis mêlés d'azur et d'or Apollon va lançant des torrents de lumière, Voltaire, Filles de Minée.
  • 3 Fig. Lancer des regards, porter rapidement le regard sur. Lancer des œillades. Eh ! que me veulent dire et ces soupirs poussés Et ces sombres regards que sur moi vous lancez ? Molière, Mis. IV, 3. Je l'observais hier, et je voyais ses yeux Lancer sur le lieu saint des regards furieux, Racine, Ath. I, 1. Quels regards effrayants vous me lancez, hélas ! Voltaire, Zaïre, IV, 6. Ses yeux lancent sur nous Les regards de la haine et les traits du courroux, Voltaire, Fanat. II, 5.
  • 4 Fig. Il se dit d'un décret, d'un arrêt par lequel l'autorité judiciaire ou autre frappe quelqu'un ou quelque chose. On lança contre lui un mandat d'amener. Lancer un monitoire, un interdit. Mme de Carignan [grand'mère du comte de Soissons] le déshérite [à cause d'un mariage], et il y a déjà longtemps que sa mère a lancé l'exhérédation sur lui, Sévigné, 23 déc. 1682. D'un synode à Dordrecht un décret est lancé, Par qui l'arminien vient d'être terrassé, Lemierre, Barnevelt, I, 5.
  • 5 Fig. Porter contre quelqu'un une sorte de coup par la langue ou par la plume. Lancer une épigramme contre quelqu'un. Ils se sont lancé mille traits piquants.

    Il se dit aussi d'un écrit qu'on publie avec quelque intention hostile. Les pamphlets que lançait P. L. Courier.

  • 6Pousser, presser, de manière qu'on se mette à courir, à poursuivre hâtivement. Il lança les chiens après le voleur. La longue enceinte d'un camp, formé par un rang de fortes palissades, l'arrêta [un général russe] ; ses soldats, pressés par nos mouvements, n'eurent pas le temps d'y faire une trouée, et Murat lança contre eux ses Wurtembergeois pour leur faire mettre bas les armes, Ségur, Hist. de Nap. VI, 2.
  • 7 Terme de manége. Lancer un cheval, le faire partir très vite au galop.

    On dit dans un sens analogue lancer une voiture. Il lança imprudemment la voiture dans un tournant.

  • 8 Terme de vénerie. Lancer la bête, le cerf, le sanglier, etc. les faire sortir de l'endroit où ils sont, pour leur donner les chiens. L'animal courageux [le chien] lance les ours et les sangliers dans les brunes forêts de l'Acheloüs, Chateaubriand, Mart. XXII.
  • 9 Terme de marine. Lancer un navire, le faire descendre des chantiers à la mer.

    Absolument. Lancer, faire le lan, s'élancer hors de sa route, hors de sa position normale. Lancer au vent, se porter vers la direction d'un vent donné. Ce vaisseau lance bâbord, lance tribord, il se détourne accidentellement de la route pour se jeter à gauche ou à droite.

  • 10Peindre un plafond avec une grosse brosse et du blanc mêlé d'un peu de colle.
  • 11 Fig. Lancer quelqu'un, le pousser aux emplois, aux affaires, dans le monde. Tâchez de me lancer dans les affaires de chemins de fer. La princesse de Santa Croce a lancé son fils dans les troupes françaises, Courier, Lett. I, 30.
  • 12Se lancer, v. réfl. Se jeter avec impétuosité, avec effort. Dans la profonde mer Oenone s'est lancée, Racine, Phèdre, V, 5. Son chien… qui, malgré les rameurs se lançant à la nage, L'avait loin du vaisseau rejoint sur le rivage, Chénier, l'Aveugle.

    Fondre sur, avec violence. Il se détourne du coup et se lance sur Périandre, Fénelon, Tél. XX.

    Fig. et familièrement. Se lancer dans le monde, dans la littérature, dans les affaires, y entrer, s'y produire, s'y jeter avec plus ou moins de réflexion. Chacun se lance ; non, à la cour, on se glisse, on s'insinue, on se pousse, Courier, Lett. VII.

    Dans le style familier, se lancer, hasarder une démarche ; s'essayer tout à coup à figurer dans le monde, dans les lettres, etc. C'en est fait, je me lance.

REMARQUE

C'est une faute assez commune de dire : le doigt me lance, au lieu de dire, le doigt m'élance ; j'y éprouve des élancements.

SYNONYME

LANCER, DARDER. Bien que lancer soit jeter une lance, et darder soit jeter un dard, et qu'il y ait ainsi une signification propre attachée à chacun de ces mots, cependant cette signification propre s'est perdue dans lancer bien plus que dans darder ; ce qui fait la différence dans l'emploi de ces deux mots. On lance toute sorte de choses, aussi bien un bâton, une pierre qu'une lance ; on ne darde que ce qui est armé d'un fer aigu ou ce qui peut être comparé à une arme pointue ; c'est ainsi qu'on dit que le soleil darde ses rayons. Quand on dit qu'il les lance, on entend un effet moins aigu de leur chaleur ou de leur lumière.

HISTORIQUE

XIe s. Lançons à li [tirons sur lui nos flèches, nos dards], puis sil [si le] laissons ester, Ch. de Rol. CLVIII. Plus qu'on ne lance une verge pelée, ib. CCXL.

XIIIe s. Un grant coutel [il] a trait, au cors lui va lancier, Berte, XXXVIII. Une roche est en mer seans, Moult parfont au milieu leans, Qui sus la mer en haut se lance, Contre qui la mer gronde et tance, la Rose, 5947. Et cil sont sor le pont monté, Si n'i ont pas moult delaié, Renard ont en l'eve lancié, Ren. 24282. Et puis se feri [le Turc] outre le pont, et se lansa entre sa gent, Joinville, 228. Car très amoureuse esperance Le mien cuer lance Pour vostre amour, cors gracieux, Lay d'amours, Jubinal, t. II, p. 192.

XVe s. Lors commencerentils à traire et à lancer sur les Anglois et leur route, Froissart, I, I, 108. La court des grans est uns essains qui bruit Comme mouches en trop grant habondance ; Puis vient un vent qui les destruit et lance Soudainement et les fait periller, Deschamps, Poésies mss. f° 337. Le cœur si nous lance [nous sommes en affliction], Vigiles de Charles VII, t. II, p. 31, dans LACURNE. Alla le gentil chevalier lancer [jouter] à un chevalier, et fist en peu d'heure qu'il l'eust desmonté, Perceforest, t. I, f° 152.

XVIe s. Q. F. Ambustus, estant monté sur un cheval, le lancea à l'encontre d'un beau et grand homme gaulois, Amyot, Cam. 28. Lancer un javelot, Amyot, ib. 68. Sur ces entrefaites, on dit que quelques uns du camp du roy lancerent d'adventure un cerf, Amyot, Lucul. 28.

ÉTYMOLOGIE

Lance ; picard, lancher ; provenç. lansar ; catal. llansar ; espagn. lanzar ; ital. lanciare.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

LANCER. Ajoutez :

13 En termes de tisseur, se dit du mouvement communiqué à la navette. Un tisseur à la main lance, par jour, 25000 duites ; avec un métier mécanique, il lance de 50000 à 55000 duites, et, en conduisant deux métiers, de 90000 à 100000, Enquête, Traité de comm. avec l'Anglet. t. III, p. 644.
14 S. m. Un lancer, une action de lancer. Samedi a eu lieu à Marseille un lancer de vingt-sept pigeons voyageurs des sociétés colombophiles de Paris, le Temps, 14 juillet 1876, 3e page, 1re col.