« boue », définition dans le dictionnaire Littré

boue

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

boue

(boûe) s. f.
  • 1Mélange de terre, de sable, de substance organique, plus ou moins consistant, qui recouvre le pavé des villes ou remplit les égouts, les fossés. Un tas de boue. J'ai été couvert de boue par un fiacre. Il avait des brodequins à l'antique que les boues avaient gâtés, Scarron, Rom. com. ch. 1.

    Payer les boues et lanternes, se disait autrefois de la taxe à payer pour boues et lanternes.

    Traîner dans la boue, traîner dans les rues boueuses. On avait commencé à la traîner dans la boue, Fénelon, Tél. VIII. Fig. diffamer.

    De vieilles équivoques ramassées parmi les boues des halles (empruntées au langage le plus bas et le plus grossier).

    Familièrement. Ne pas faire plus de cas d'une chose que de la boue de ses souliers, ne s'en soucier aucunement. Ils [les traitants] sont méprisés comme de la boue, pendant qu'ils sont pauvres ; quand ils sont riches, on les estime assez, Montesquieu, Lett. pers. 98.

  • 2Terre délayée. Des cahutes de boue et de paille. Toi que les éléments ont fait d'air et de boue, Ordinaire sujet où le malheur se joue, Théophile, Sat. I.

    Maison faite de boue et de crachat, peu solide.

    Fig. Bâtir sur la boue, se bercer de vaines espérances. C'est bâtir sur la boue que d'appuyer les fondements de sa fortune sur l'affection passagère d'une vile populace, Vertot, Révol. rom. XIV, p. 303.

    Poétiquement. Cet amas de boue, ce tas de boue, le globe terrestre. Atomes tourmentés sur cet amas de boue, Que la mort engloutit et dont le sort se joue, Mais atomes pensants…, Voltaire, Désastre de Lisb.

  • 3Il se dit des choses auxquelles on n'attache aucune valeur réelle. Le monde aujourd'hui ne m'étant plus que boue, Malherbe, IV, 9. Ils [ses biens] lui échappent cependant ; ce tas de boue fond à ses yeux, Massillon, Avent, Mort. du péch. C'est avoir perdu la foi, d'aimer mieux risquer son salut éternel qu'une fortune de boue, Massillon, Car. Rechutes. La vertu de la parole de la croix n'est pas attachée à celle des ministres qui l'annoncent ; la boue entre les mains du Seigneur peut éclairer les aveugles, Massillon, Car. Fausse confiance.
  • 4 Terme mystique. Le corps humain. L'auteur de notre être avait d'abord animé notre boue d'un souffle d'immortalité, Massillon, Car. Sur la mort. Il sent que cette maison de boue s'écroule ; il se sent mourir peu à peu à chacun de ses sens, Massillon, Avent, Mort du péch. Se persuadant qu'il n'est qu'une vile boue que le hasard a rassemblée, Massillon, Car. Vérité de la religion. Vous connaissez, ô mon Dieu, la fragilité de notre boue, Massillon, Car. Rechutes. Voyez s'il n'en coûta rien autrefois à Augustin ; quels efforts pour s'arracher à sa boue, pour rompre la chaîne de fer qui liait sa volonté rebelle ! Massillon, Avent, Délai de la conversion.

    Nous sommes tous sortis de la même boue, nous avons tous la même origine. Tout s'étudie, tout s'empresse à leur persuader [aux grands] qu'ils sont pétris d'une autre boue que les autres hommes, Massillon, Car. Prospérité tempor. Ô mon Dieu, souvenez-vous que vous nous avez formés d'une boue fragile, Massillon, Profession religieuse, serm. 4.

  • 5État misérable. Aujourd'hui dans le trône, et demain dans la boue, Corneille, Poly. IV, 3. Les peuples sont soulagés, les vicieux laissés dans la boue, Massillon, Petit carême, Exemples. Lorsque la fortune à sa roue Attache mille ambitieux, Les précipite dans la boue, Ou les élève jusqu'aux cieux, Béranger, Tournebr.

    Tirer quelqu'un de la boue, le tirer d'une position basse et misérable.

  • 6Bassesse, impureté. Ces âmes que le ciel ne forma que de boue, Corneille, Pomp. I, 3. Mais son sang que le ciel n'a formé que de boue, Corneille, D. San. I, 1. Dès que ce poison a gagné le cœur, on trouve des âmes de boue, Massillon, Obst. Ses efforts impuissants pour s'arracher à sa boue, Massillon, Samar. N'avez-vous pas traîné votre cœur sur la boue de mille passions ? Massillon, Disp. à la comm. Un cœur qui se traîne encore sur la boue et qui ne sait s'élever au-dessus des créatures, Massillon, ib. Tirez-moi de cette boue où je ne saurais marcher sans enfoncer tous les jours davantage, Massillon, Car. Sur les causes ordinaires de nos rechutes.
  • 7Boues minérales, limons que l'on trouve près des sources de quelques eaux minérales, et qui, imprégnés des matières contenues dans ces eaux, jouissent de propriétés analogues à celles des eaux elles-mêmes.
  • 8 Terme de géologie. Couches de boue noire, contenant beaucoup de lignite terreux et des troncs d'arbres conifères.
  • 9Boue d'émeri, potée qui se forme sous les roues ou meules des lapidaires, et qui sert à polir le marbre.
  • 10Dépôt épais qui se forme au fond d'un encrier. Cette encre n'est que de la boue.
  • 11Pus qui sort d'un abcès. On lui ouvrit l'apostume ; il en sortit beaucoup de boue.

HISTORIQUE

XIIe s. Jo's osterai [je les ôterai] si cume la puldre de la terre ; si cume la boe de la strae [de la rue] les defulerai, Rois, 209.

XIIIe s. Quant de si haute honor [je] sui cheüe en la boe, Berte, XXXIII. Ele [fortune] a une roe qui torne ; Et quant ele veut, ele met Le plus bas amont ou sommet, Et celi qui est sor la roe Reverse à un tor dans la boe, la Rose, 4000. En tai ou en bohe, Tailliar, Recueil, p. 148.

XVe s. Et quant ils sont tous eslevés et ils cuident estre au plus sur, fortune les retourne en la boue et les met plus bas que elle ne les a eus de commencement, Froissart, II, III, 49.

XVIe s. En l'ouverture d'un empyeme, il faut que la boue qui en sort…, Paré, Introd. 17. Ce mot, qui est en françois appellé boue, en latin pus, et en grec pyon, signifie un humeur putride, Paré, XI, 2. On la [une ville] disoit n'estre faite que de boue et de crachat ; de tels mots usoit on pour monstrer sa foiblesse, Brantôme, Capit. fr. t. II, p. 178, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Picard, baue et beue. L'étymologie parait être dans le celtique : kymri, baw, boue, budhyr, boueux. Le lorrain bodère, qui tient sans doute de boue, veut un radical avec une dentale. Le lombard boga, boue, est douteux. Le celtique garde la probabilité, sans tout expliquer.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

BOUE. Ajoutez : - REM. J. J. Rousseau dit : traîner par les boues, dans les boues ; ce qui n'est pas conforme à l'usage. On fait circuler… dans Genève une lettre avec laquelle on achève de me traîner par les boues, Rousseau, Lett. à Mme de Chenonceaux, 6 février 1765. Le sexe dévot y [à Neuchâtel, où les dames s'étaient déclarées en sa faveur] traîne les ministres dans les boues, Rousseau, Lett. à d'Ivernois, 8 avril 1765.