« courroux », définition dans le dictionnaire Littré

courroux

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

courroux

(kou-rou ; l'x se lie : un kou-rou-z aveugle) s. m.
  • 1Sentiment d'irritation : s'emploie en poésie et dans le style soutenu. Et même ses courroux, tant soient-ils légitimes, Sont des marques de son amour, Malherbe, I, 5. Et si de mes discours vous entrez en courroux, Régnier, Élég. 5. Sans de l'une ou de l'autre allumer le courroux, Corneille, D. Sanche, II, 4. Je sais que mes crimes Vous ont causé souvent des courroux légitimes, Rotrou, Vencesl. V, 4. Je ne sais qui me tient, infâme, Que je ne t'arrache les yeux, Et ne t'apprenne où va le courroux d'une femme ? Molière, Amph. II, 3. Mais si la cruelle Se met en courroux Au récit fidèle Des maux que je sens pour elle, Oiseaux, taisez-vous, Molière, la Princ. II, 2e interm. sc. 3. Quoi ! Tout ce grand projet qui m'a mise en courroux, Molière, l'Étour. I, 10. Il se met en courroux, Molière, ib. I, 2. Un aveu dont d'abord elle a paru contente Faute d'avoir le temps de s'en mettre en courroux, La Fontaine, Fianc. Laisse-t-elle un moment respirer son époux, Ses valets sont d'abord l'objet de son courroux, Boileau, Sat. X. Un esclave est pour elle un objet de courroux, Racine, Alex. I, 2. Je ne condamne plus un courroux légitime, Racine, Andr. II, 4. Poursuivez, s'il le faut, un courroux légitime, Racine, Baj. V, 4. Et ce juste courroux, Ainsi qu'à tous les Grecs, seigneur, vous rend à vous, Racine, ib. II, 5. Ce courroux enflammé, Racine, ib. III, 1. Jouissez à loisir d'un si noble courroux, Racine, ib. III, 6. Dieu parle, et d'un mortel vous craignez le courroux ! Racine, Esth. I, 3. Comment ce courroux si terrible En un moment s'est-il évanoui ? Racine, ib. II, 9. Croyez-moi, plus j'y pense et moins je puis douter Que sur vous son courroux ne soit près d'éclater, Racine, Ath. I, 1. Ces nations frémissaient de courroux, Fénelon, Tél. X.

    Il se dit aussi de quelques animaux nobles ou féroces. Le courroux du lion.

  • 2 Fig. Où la vague en courroux semblait prendre plaisir à feindre de le rendre [le corps de Pompée] et puis le ressaisir, Corneille, Pomp. V, 1. Ma fortune va prendre une face nouvelle, Et déjà son courroux semble s'être adouci, Racine, Andr. I, 1. Des astres ennemis j'en crains moins le courroux, Racine, Esth. II, 7. Comme Neptune de son trident apaise les flots en courroux, Fénelon, Tél. XXIII.

SYNONYME

COURROUX, COLÈRE. Ces deux mots diffèrent non par le sens qui est le même, mais par l'emploi ; c'est-à-dire que colère appartient à tous les styles, tandis que courroux n'appartient qu'au style soutenu et à la poésie.

HISTORIQUE

XIe s. Qui tort eslevera, ou faus jugement fera par curruz, Lois de Guill. 41.

XIIe s. Curuz de rei n'est pas gius [jeu] de petit enfant ; Qu'il comence à haïr, seit pur poi u pur grant, Jamais ne l'amera en trestut sun vivant, Th. le mart. 38. Seignur, fait-il, j'apel ; kar mestier en ai grant : Car cist curuz me vait mult durement grevant, ib. 41. [Ils] ferirent les pecheors en lor ire e les felons en lor corroz, Machab. I, 2. Se il pecchent envers tei, e tu par curuz les livres à male veue à lur enemis, Rois, 263.

XIIIe s. Berte la debonaire sans corous et sans ire, Berte, XI. Si en ot en son cuer si grant courou et si grant ire que…, Chr. de Rains, p. 58. Li pors qui tant curu avoit Que trestout aveglez estoit De lasseté et de corrot, En l'espié se feri debot, Ren. 22511. Ens ou milieu je vi haïne Qui de courrous et d'ataïne [querelle] Sembloit bien estre moveresse, la Rose, 150. Il ot peur que s'il ne fesoit sa volonté, qu'il ne moreust en couroz ou en hayne, Beaumanoir, XII, 35. Mestiers est à celi qui se melle d'ofice d'avocat, qu'il sace souffrir et escouter sans courous, Beaumanoir, V, 10. Quant aucuns a son enfant mort, si comme par fu… on n'en doit rien demander au pere ne à le [la] mere, car li grant courous qu'il en ont les doit delivrer du damace temporel, Beaumanoir, LXIX, 5. Le roy respondi que il en pooient faire leur volenté ; car il amoit miex mourir bon crestien, que ce que il vesquit ou courrous Dieu et sa mere, Joinville, 247.

XVe s. Et adonc le duc d'Orliens par grant couroulz lui dist : Monseigneur, je n'ay point rompu la paix, Fenin, 1414.

XVIe s. Laquelle ne feroit qu'aigrir nostre courroux, Calvin, Instit. 152. Courroux est vain sans forte main, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 278.

ÉTYMOLOGIE

Anc. wallon, coroche ; provenç. corrotz ; ital. corruccio. Étymologie difficile. On a indiqué le latin coruscare, briller ; mais le sens ne convient pas. Raynouard le rattache à cour, sans indiquer comment s'est faite la dérivation. Diez le tire de cholera, proprement bile, et figurément colère, par l'intermédiaire d'une forme coleruccio ; mais, s'il en est ainsi, comment se fait-il qu'en aucune des formes ne paraisse l'l étymologique ? On devrait trouver ce mot écrit quelquefois colrouz. À l'appui de son dire, Diez cite l'ancien français courine qui signifie aussi colère, et qu'il dérive de cholera, par une forme cholerina ; mais là aussi, d'une part, on regrette de ne pas trouver parfois coulrine, et d'autre part on a, dans le provençal, coreilla, corilla, qui paraît le même que courine et qui dérive de cœur. En étudiant de près les formes du mot, on en trouve deux au régime singulier, l'une plus rare qui est corrot, et l'autre plus commune qui est corrouz. La première correspond à l'italien corrotto, deuil, et est évidemment un substantif fictif corruptus, dérivé du participe corruptus. Que corruptus ait pu donner corrot, et ruptus, rot, c'est ce que prouvent les exemples suivants : Icellui suppliant a congneu [avoué] que ses diz tesmoings il avoit induis et corroz [corrompus], DU CANGE, corrumpere. Roz [rompus] [il] ot les laz del heaume de Baviere, Bat. d'Aleschans, V. 622. Corrot paraît entraîner courroux et le rattacher à corruptus, par l'intermédiaire d'une forme corruptium. On conçoit sans peine que corrumpere ait pris le sens d'aigrir, mettre en peine, irriter ; d'ailleurs le fait est certain pour le français corrot, et l'italien corrotto. L'italien cruccio, crucciare, est une contraction de corruccio, corrucciare, contraction qui se trouve aussi dans l'ancien français (crucier, voy. l'historique de courroucer). Une autre contraction française de courroucer est courcier, de courrecier pour courroucer.