« huguenot », définition dans le dictionnaire Littré

huguenot

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

huguenot, ote

(hu-ghe-no, no-t') s. m. et f.
  • Sobriquet que les catholiques de France donnèrent autrefois aux calvinistes. L'autre jour, touchant cette affaire, Le chevalier de Silleri, En parlant de ce pape-ci [qui tenait le parti des puissances protestantes], Souhaitait pour la paix publique Qu'il se fût rendu catholique, Et le roi Jacques [d'Angleterre] huguenot ; Je trouve assez bon ce bon mot, La Fontaine, Lett. XXIII. Nous avons ici une petite huguenote, qui dit que les enfants morts sans baptême vont droit en paradis sur la foi de leurs pères, Sévigné, 435. M. de Sully, qui, tout zélé huguenot qu'il était, non-seulement déclare au roi qu'il tient infaillible qu'on se sauve étant catholique, mais nomme encore à ce prince cinq des principaux ministres qui ne s'éloignent pas de ce sentiment, Bossuet, 3e avert. § 16. Avant qu'un tel dessein m'entre dans la pensée, On pourra voir la Seine à la Saint-Jean glacée, Arnauld à Charenton devenir huguenot, Saint-Sorlin janséniste, et Saint-Pavin dévot, Boileau, Sat. I. Si Dieu conserve le roi, il n'y aura pas un huguenot dans vingt ans, Maintenon, Lett. à Mme de Villette, 5 avril 1682. Le comte de Galloway se distingua en haine contre le roi et contre la France, quoique le seul huguenot qu'on y laissât jouir de ses biens, Saint-Simon, 43, 261. Pie IV offre à Catherine de Médicis, régente de France, cent mille écus d'or et cent mille autres en prêt, avec un corps de Suisses et d'Allemands catholiques, si elle veut exterminer les huguenots de France, faire enfermer dans la Bastille Montluc, évêque de Valence, soupçonné de les favoriser, et le chancelier de l'Hospital, fils d'un Juif, mais qui était le plus grand homme de France, si ce titre est dû au génie, à la science et à la probité réunies, Voltaire, Mœurs, 172.

    Adj. Avez-vous renversé le parti huguenot, que j'avais affaibli ? Fénelon, Dial. des morts mod. Richelieu, Mazarin. M. Louvois demanda au roi la permission de faire passer dans les villes les plus huguenotes un régiment des dragons, Mme de Caylus, Souvenirs, p. 27, dans POUGENS. Après la correction des endroits trop huguenots [dans un ouvrage], Bayle, Lett. à Rou, 19 avril 1686. J'ai établi, Dieu merci, chez moi cinquante familles huguenotes qui vivent comme frères et sœurs avec les familles papistes, Voltaire, Lett. Formey, 26 août 1771. Soyez très sûr que, si on ne remédie pas au mal, la contagion est à craindre, nous sommes obligés d'abandonner le château de Ferney immédiatement après l'avoir achevé, et de nous réfugier en terre huguenote, Voltaire, Lett. Senac, 6 déc. 1760.

REMARQUE

Voltaire n'aspire pas l'h dans huguenot.

HISTORIQUE

XVIe s. Que si les termes de papiste et de huguenot se lisent en quelque lieu, ce sera en faisant parler quelque partisan passionné et non du stil de l'autheur, D'Aubigné, Hist. I, 49. Il alla parmi eux contrefaire l'huguenot, D'Aubigné, ib. 99. Les protestants depuis s'appellerent huguenots en France : dont l'étymologie fut prise à la conjuration d'Amboise lorsque ceux qui devaient presenter la requeste, comme esperdus de crainte fuyoient de tous costez ; quelques femmes des villages dirent que c'estoient pauvres gens, qui ne valloient pas des huguenots, qui estoit une fort petite monnoye, encore pire que des mailles, du temps de Hugues Capet ; d'où vint en usage que par mocquerie l'on les appeloit huguenots, et se nommerent tels quand ils prirent les armes, Castelnau, 44. La religion huguenote, ID. 155. Le nom d'aignos que les Églises réformées avoyent usurpé, Condé, Mém. p. 638. Les fideles de l'Eglise reformée qu'ils nomment huguenots, Condé, ib. p. 665. Huguenots qui courez la France, De grâce faitesmoi vengeance D'une aussi mauvaise que vous, Desportes, Diane, II, 40.

ÉTYMOLOGIE

On a donné un grand nombre d'étymologies de ce mot. Voyez celle qui est rapportée à l'historique de hugon, et qui, avant d'Aubigné, est donnée aussi par Pasquier : On a commencé de donner à tout le nouveau monde de ceste faction le nom et tiltre de huguenaux ; d'autant que la premiere descouverte que l'on en a faite a esté en la ville de Tours, où ils ont opinion qu'il y a un rabast [esprit] qui revient de nuit, qu'ils appellent le roy Hugon, et y appelle l'on dès pieça hugenaux tous ceux qui sont de la secte de Calvin, pour faire leurs assemblées et conventicules de nuit comme si en cecy ils fussent disciples et sectateurs de cest esprit, Lett. t. I, p. 180. Voyez aussi l'étymologie que donne Castelnau ci-dessus. D'après de Brieux, un orateur protestant commença ainsi sa harangue : Huc nos venimus, huc nos…, et resta court ; de là Huguenot. Tout cela est sans fondement. Une étymologie plus vraisemblable qu'on a indiquée est le mot allemand Eidgenossen, confédéré, de Eid, serment, et Genosse, compagnon ; la forme aignos dans les Mémoires de Condé l'appuie. Mais on a objecté que le sens n'était pas favorable à cette étymologie, confédérés s'appliquant mal à une secte religieuse ; que ce mot ne constituerait pas un terme d'injure comme les calvinistes l'envisageaient eux-mêmes, et qu'il ne pourrait s'appliquer qu'aux Suisses protestants, qui pourtant n'ont jamais porté ce nom ; eidgenossen est le titre que se donnent les citoyens de la Suisse, tant protestants que catholiques. Ce qui achève de la ruiner, c'est que huguenot, du moins comme nom propre, est antérieur de deux siècles à la réforme ; on le trouve dans un texte du XIVe siècle : Le 7 octobre 1387, Pascal Huguenot de Saint Junien en Limousin, docteur en décret, Hist. litt. de la Fr. t. XXIV, p. 307. Ce fait donne, on peut dire, la certitude à la conjecture de Mahn, qui sans le connaître, a dit que huguenot est un diminutif de Hugues, et que le nom, en tant que terme d'injure, se rattache à quelque hérétique de ce nom. Ce mot, au sens de calvinistes, paraît se trouver pour la première fois sous la forme de huguenaulx, dans une lettre du comte de Villars, lieutenant général en Languedoc, du 11 novembre 1560 (voy. VAISSETTE, Hist. du Langued. t. V).

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

HUGUENOT. - ÉTYM. Ajoutez : L'origine de ce mot est assez controversée et controversable pour que j'inscrive ici une communication de M. le docteur Morin, de Genève : « Huguenot vient d'un vieux mot suisse qu'on trouve en légende d'une danse macabre publiée à Sion en 1505, et qui est en caractères gothiques, en allemand et en français : Mort de la ungnote. Cette danse macabre a été reproduite par Curmer comme illustration de l'Imitation de J. Christ, et il a écrit : Mort de la uguenote. Le radical est gnott ou gnoss, qui veut dire allié, uni. Bien avant Luther, Zwingle et Calvin, il y avait des gens qui rompaient leurs vœux, se séparaient de leurs frères, et on les appelait ungnot, de un privatif. Le sens est donc désuni, séparé, mot qui a été appliqué plus tard à ceux qui sortirent de l'Eglise romaine. » D'un autre côté, M. Eugène Ritter, professeur à l'université de Genève, qui soutient énergiquement l'étymologie eidgenoss, m'envoie quelques documents fort intéressants. 1° Dans les Chroniques de Geneve, écrites avant 1551, parlant des événements de l'an 1518 (III, 24), Bonivard dit : « Et alloient criant les enfants : vivent les eiguenolz, voulans dire les eydgenoss, qui signifie en allemant les ligués ou alliez, duquel nom s'appellent les Suisses en general ; car eyd signifie serment, et genoss participant ; pour quoi ces deulx motz joinctz, à sçavoir eydgenoss, signifient les ligués ou ensemble assermentez. Ceulx qui tenoient le parti des princes à ceste cause par moquerie les appeloient les eidguenotz. » 2° Dans le Levain du Calvinisme, par sœur Jeanne de Junie (Genève, 1865, I, 7), on lit : « L'an 1535, au mois de septembre, se rassemblerent les gentilshommes… ils pillerent et emporterent tout ce qu'ils peurent trouver appartenant à ceux de Geneve, que l'on appeloit enguenot (c'est un mot allemand), c'est-à-dire en françois bon allié. » 3° Cette forme enguenot se rencontre encore dans la Déploration de la cité de Genefve sur le faict des heretiques qui l'ont tiranniquement opprimée. Cette pièce, publiée par M. de Montaiglon, Recueil de poésies françoises des XVe et XVIe siècles, t. IV, p. 94-102, n'est pas datée ; mais elle doit être postérieure de peu de temps à l'expulsion des sœurs de Sainte-Claire en 1535 ; car, en énumérant les chefs du mouvement à Genève, Farel, Froment, Viret, elle ne nomme pas Calvin, qui n'arriva à Genève qu'en 1536. Genève parle : « Estre soloye cité delicieuse ; Les anguenots m'ont fait sedicieuse… Mieux me seroit si je estoie soubz France, Ou obeisse à mon naturel prince ; Je n'eusse pas fourvoyé, ne prins ce Chemin oblique, devenant anguenotte, De deshonneur perpetuelle note ; Las ! je ne fusse par ces maudits livrée à heresie, ains de mal delivrée. » 4° Pasquier, Rech. de la Fr. VII, 52, dit : « Or nous est le mot huguenot très-familier… et toutefois peu de personnes se sont avisez dont il a pris son origine, et en parle mesmement un chacun diversement (suit l'énumération de plusieurs hypothèses) ; et les derniers qui ont voyagé es pays estranges estiment que c'est un mot emprunté du souysse quasi comme hens quenaux, qui signifie en ce pays là gens seditieux ; bref, chacun en devise à son appetit ; et neantmoins, pour en dire ce que j'en pense sans aucune flaterie, mocquerie ou maltalent, je croy qu'il n'y a celuy de nous qui ne recognoisse franchement que la premiere fois que ce mot commença d'estre cogneu par toute la France, ce fut après la faction d'Amboise de l'an 1559… je vous puis dire que huict ou neuf ans auparavant l'entreprise d'Amboise je les avois ainsi ouy appeller par quelques miens amis tourengeaux. » 5° Enfin, il est à noter que le mot huguenot se rencontre dans une lettre du cardinal de Lorraine du 10 juin 1560, manuscrite (Bibl. nat. anc. fonds, n° 8655, f° 89). Appuyé sur ces textes, M. Eugène Ritter combat mes objections contre l'étymologie par eidgenoss : a) Confédérés s'applique mal à une secte religieuse : Les travaux de M. Amédée Roget sur l'Histoire de Genève ont établi un fait que les contemporains avaient déjà reconnu, c'est que la réforme a été introduite à Genève par l'influence de Berne ; or les Genevois partisans de l'alliance bernoise s'appelaient eidgenots ; dans les vers cités plus haut, anguenot a encore le sens de partisan de l'indépendance de Genève à l'égard de la Savoie, de partisan de l'alliance de Berne ; mais il y est tout près de signifier hérétique ; ce sont les anguenots, est-il dit expressément, qui ont livré Genève à l'hérésie. b) Ce nom ne constituerait pas un terme d'injure : Bonivard dit que le terme eydguenot s'employait par moquerie. c) La forme anguenot ou enguenot employée par la Deploration et par Jeanne de Junie (comp. les hens quenaulx de Pasquier) montre la fluctuation commençante de la première syllabe ; une fois que le mot fut entré en France, il est naturel que les Français, qui ne connaissaient ni le parti génevois des eidgenots, ni le mot allemand qui lui avait donné son nom, aient assimilé ce mot à d'autres qui leur étaient familiers, et l'aient ainsi confondu avec quelqu'un des noms propres Hugueneau ou Huguenot. En définitive, M. Eugène Ritter pense que l'origine est dans eidgenos, mais assimilé à un nom propre connu. Son argumentation est plausible, mais certaine, non ; la certitude ne s'acquerrait que si l'on savait où huguenot a d'abord été usité : si sur les frontières suisses ou parmi des gens en relation avec les Suisses, la provenance par eidgenos est confirmée ; si dans le centre de la France, c'est la provenance par Huguenot. Du reste, ou l'assimilation, ou la dénomination d'après le nom propre était d'autant plus facile que ce nom propre se retrouve dans plusieurs endroits ; ainsi, sur la côte du département de la Manche, à côté des îles Chausey, il y a des écueils nommés les Huguenauts.