« ivre », définition dans le dictionnaire Littré

ivre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

ivre

(i-vr') adj.
  • 1Qui a l'esprit troublé par le vin ou une liqueur alcoolique. Il est ivre, il chancelle. Toute la Bretagne était ivre ce jour-là, Sévigné, 77. Il [Chapelle] jura que, pendant un mois entier, il ne se coucherait jamais sans être ivre, et sans avoir fait une chanson contre elle [Ninon de l'Enclos], Voltaire, Mél. litt. sur Mlle de l'Enclos. L'exemple d'un grand prince impose et se fait suivre ; Quand Auguste buvait, la Pologne était ivre, Vers de Frédéric II.

    Ivre mort, tellement ivre qu'on semble mort. Aussi voyons-nous d'abord Ixion faisant un somme Près de Tantale ivre mort, Béranger, Enfers.

    Populairement. Ivre comme une soupe, très ivre ; locution qui vient de ce que la soupe, qui est proprement une tranche de pain, s'imbibe, s'enivre du bouillon. Tantale est ivre comme une soupe, Boileau, Héros de romans.

    Fig. Ivre de sang, ivre de carnage, qui s'est plu à répandre le sang, à commettre beaucoup de meurtres. Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches, Ivres de notre sang, ferment les seules bouches…, Racine, Esth. I, 4. Toujours ivre de sang et toujours altéré, Racine L. Rel. I.

  • 2 Fig. Qui a l'esprit troublé par une passion. En cela toute contraire au pauvre M. Fouquet, qui était ivre de sa faveur, et qui a soutenu héroïquement sa disgrâce, Sévigné, 348. Dès que cette reine, ivre d'un fol orgueil, De la porte du temple aura passé le seuil, Racine, Athal. V, 3. Ce peuple ivre de joie, et volant après lui, Le nomme son héros, sa gloire, son appui, Voltaire, Tancr. V, 4. Cassandre, ivre d'amour, de douleur et de rage, Voltaire, Olymp. IV, 1. Saint-Simon, ivre jusqu'à la manie de son titre de duc et pair, prétendait que l'assemblée des princes du sang, des pairs, des ducs héréditaires et des officiers de la couronne, représenterait parfaitement les parlements de la première, de la seconde et du commencement de la troisième race, Duclos, Règne de Louis XIV, Œuv. t. V, p. 64, dans POUGENS. On était ivre du désir d'applaudir, et l'on a applaudi jusqu'à satiété, Mirabeau, Collection, t. I, p. 171. Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur, Musset, Poés. nouv. la Nuit de mai.

SYNONYME

IVRE, SOÛL. Ivre indique que l'esprit est troublé par les vapeurs de vin ; soûl, que l'on a bu jusqu'à satiété. L'homme ivre n'est pas toujours soûl ; l'homme soûl n'est pas toujours ivre ; remarquez aussi que, quand soûl est complétement synonyme d'ivre, il est du bas langage. De même au figuré : un homme est ivre de gloire, quand la gloire agit sur son esprit comme les fumées du vin ; il en est soûl, quand il a de la gloire au point d'en être rassasié, fatigué, désenchanté.

HISTORIQUE

XIIe s. De fol et d'ivre se doit l'en bien garder, Bat. d'Aleschans, V. 4076. Turbé sunt e moüd [troublés et émus] sunt si cume ivre, e tute la sapience d'els devorede est, Liber psalm. p. 165.

XIIIe s. Quant il veulent mener l'olifant [l'éléphant] en bataille, si leur donnent de leur vin assez à boire, si que il sont demi yvre ; et ce font il que, quant il a beu, si devient plus fier et en vaut mieux en la bataille, Marc Pol, p. 687.

XIVe s. Icellui Guillot, qui estoit tout yvres, Du Cange, ebriare. Icelle Ysabel a esté tousjours yvresse une fois ou deux chascun jour, Du Cange, ib.

XVIe s. Ivre comme une souppe, Marot, III, 68.

ÉTYMOLOGIE

Berry, ébriat ; provenç. ibre, ivre ; espagn. et portug. ebrio ; ital. ebbro, ebro ; du lat. ebrius, qui vient, d'après les étymologistes latins, de e, hors, et bria, sorte de mesure : mot à mot qui est hors de la mesure. Mais ce qui rend cette étymologie peu sûre, c'est que bria est un mot probablement étranger et récent, et peut-être douteux, car on lit aussi ebria et hebria au lieu de bria. Le Berry dit ébriat, qui paraît représenter le latin ebriācus.