« jargon », définition dans le dictionnaire Littré

jargon

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

jargon [1]

(jar-gon) s. m.
  • 1Langage corrompu. Tout ce que vous prêchez est, je crois, bel et bon ; Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon, Molière, F. sav. II, 6. L'impudente ! appeler un jargon le langage Fondé sur la raison et sur le bel usage ! Molière, ib. Vingt jargons barbares succèdent à cette belle langue latine qu'on parlait du fond de l'Illyrie au mont Atlas, Voltaire, Mœurs, 12.

    Il se dit quelquefois, avec une épithète, en un sens favorable. Vous avez l'art d'endormir ma douleur Au doux jargon de muse marotique, Chaulieu, à Mme de Lassay.

    Langage altéré que les auteurs comiques mettent dans la bouche des villageois, ou des étrangers tels que Anglais, Suisses et Allemands. Ton jargon allemand est superflu, te dis-je, Molière, l'Ét. V, 7.

  • 2Abusivement, une langue étrangère qu'on n'entend pas. Je ne sais quelle langue parlent ces gens-là, je n'entends pas leur jargon.

    Fig. Le langage d'amour était jargon pour elle, La Fontaine, Coupe.

  • 3Langage particulier que certaines gens adoptent. Comme si, par devers l'Inde, on eût eu dans l'esprit La sotte vanité de ce jargon frivole [le blason] ! La Fontaine, Fabl. X, 16. Avec ce jargon un homme se croit grand philosophe, et méprise le vulgaire, Fénelon, Dial. des morts anc. Platon, Aristote. Il n'a manqué à Molière que d'éviter le jargon et le barbarisme, et d'écrire purement, La Bruyère, I. Tessé avait le jargon des femmes, assez celui du courtisan, Saint-Simon, 116, 11. Elle n'avait, à le bien prendre, pour se faire valoir dans la conversation, que ce qu'on peut appeler le jargon du monde, Marivaux, Paysan parv. 6e part. Chaque science, chaque étude a son jargon inintelligible, qui semble n'être inventé que pour en défendre les approches, Voltaire, Ess. poés. épiq. ch. I. Il n'y avait pas jusqu'aux gueux qui n'eussent leurs confréries, leurs mystères, leur jargon particulier dont j'ai vu un petit dictionnaire imprimé au seizième siècle, Voltaire, Dict. phil. Initiation. Molière, qui n'entendait rien au jargon de la chasse, pria le comte de Soyecourt lui-même de lui indiquer les termes dont il devait se servir, Voltaire, Vie de Molière. Et prenant plutôt le jargon des livres que la connaissance de leur contenu, Rousseau, Conf. V.

    Absolument. Le jargon, langage de convention dans un certain monde, dans certaines coteries. Il faut, dans le commerce des dames, de l'esprit ou du jargon qui en ait l'apparence, Voltaire, Dict. phil. Esprit.

  • 4Langage à double entente. La reine qui entendit le jargon du cardinal, Retz, Récit des barricades.

    Jargon s'est pris dans le sens de langage de convention dont on se sert pour correspondre avec un ambassadeur, Mém. pour le card. de Richelieu, Cologne, 1667, p. 310 (dans cet écrit, on voit que jardin signifiait Rome).

HISTORIQUE

XIIIe s. Lors tuit [tous] diseient en lor jargun Que cil oisax qui si canteit…, Marie de France, Fable 22.

XVe s. Il n'y a ne beste n'oyseau Qu'en son jargon ne chante et crie ; Le tems a laissié son manteau De vent, de froidure et de pluye, Orléans, Rondeau. … Il court un gergon Que humains auront redemption, L'incarnation et nativité de nostre saulveur et redempteur Jesuchrist, in-folio, sans lieu ni date, fol. XLIIII, verso. Venez y d'amont et d'aval, Les hoirs du defunt Pathelin, Qui savez jargon jobelin [de maquignon], Villon, Repues franches.

XVIe s. Les chefs firent une harangue au roi en leur gergon, ayant chacun leur interprete, D'Aubigné, Hist. I, 205. Ils prirent le jargon de la cour, D'Aubigné, ib. II, 270. Tous artisans ont chacun un jargon à part, Paré, Introd. 22. Le jargon prophetique, Montaigne, I, 47. Pourquoi n'aura il [des Autels qui voulait qu'on prononcât plusieurs lettres qui ne se prononcent pas] avec ses savants un jargon propre, vu que les cagnardiers s'en forgent bien un à leur poste ? Meigret, dans LIVET, la Gramm. franç. p. 120.

ÉTYMOLOGIE

Picard, gergon ; espagn. xerga ; anc espagn. girgonz, et aujourd'hui gerigonza ; provençal moderne, gergonz. Il se présente plusieurs opinions sur l'étymologie, sans rien de décisif : 1° le radical roman garg, qui est dans garg-ouiller, dans garg-ata, etc. ; 2° le scandinave jarg, bavardage ; 3° le jars, vu qu'on dit : le jars jargonne, pour exprimer le cri de cet oiseau. Il est difficile de choisir entre ces opinions ; cependant la troisième est la plus vraisemblable. Diez pense que le mot est d'origine française, et que de là il a passé dans les autres langues romanes. En tout cas le mot est ancien ; on en a un exemple dès le XIIIe siècle.