« autre », définition dans le dictionnaire Littré

autre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

autre

(ô-tr') adj. et pron.
  • 1 Adj. Qui n'est pas la même personne ou la même chose. D'autres causes. D'autre part. D'un autre côté. Il pense une chose, il en dit une autre. Parler d'autre chose. Se retirer dans quelque autre pays. On ne fit autre chose cette nuit-là que de veiller. Il n'avait d'autre titre à régner que la force. Nul autre que vous ne m'a parlé de cette affaire. Sans autre rempart que d'un bois fragile, Bossuet, Serm. Quinq. 2. On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain, La Fontaine, Fab. I, 7. Tout étant réglé il n'en fut autre chose [on n'y changea rien], Sévigné, 22. Autres sont les temps de Moïse, autres ceux de Josué, Bossuet, Hist. II, 13. Autre chose d'agir avec un père, autre chose de répondre devant un juge, Bossuet, II, Pénit. 1. Autre est de danser et de faire des festins ; autre de connaître la nature des choses, Chateaubriand, Génie, II, V, 16. D'autres temps, d'autres soins, Racine, Mithr. III, 1. D'autres temps, d'autres mœurs, Voltaire, Orph. V, 2. La justice, le glaive en main, Est un pouvoir autre qu'humain, Malherbe, VI, 16. Je suis toujours le même et mon cœur n'est point autre, Corneille, Cinna, III, 4. Avec un autre sort il prit un cœur tout autre, Corneille, Perthar. I, 1. Poussé par un tout autre intérêt que celui de l'équité, La Bruyère, 1. Qui n'a de remède Autre que d'obéir à la nécessité, Malherbe, VI, 16. Ne trouve en Chapelain… Autre défaut, sinon qu'on ne le saurait lire, Boileau, Sat. X. Des spéculations qui ne lui sont d'autre conséquence, sinon qu'il en tirera vanité, Descartes, Méth. 1. Sans faire passer ces choses pour autres qu'elles ne sont, Voiture, Lettr. 82.

    C'est tout un ou tout autre ; il n'y a pas de milieu.

    Fig. et familièrement. C'est une autre paire de manches, c'est une affaire toute différente.

  • 2Le second par une certaine similitude. Il le regarde comme un autre lui-même. Il fallut réveiller d'un profond sommeil cet autre Alexandre, Bossuet, Louis de Bourbon. Il parle comme un autre Élie Devant cette autre Jézabel, Racine, Ath. II, 9.
  • 3Différent, mais supérieur d'une façon quelconque. C'est bien un autre homme. Ce vin-ci est bien un autre vin que celui d'hier. On lui offrait dix mille francs ; mais aujourd'hui on lui fait de bien autres propositions.
  • 4De temps à autre, par fois.

    D'année à autre, d'année en année ; de jour à autre, de jour en jour. Il augmente d'année à autre sa réputation, La Bruyère, 10.

  • 5Pron. indéfini. J'aime mieux que vous l'appreniez d'un autre que de moi. Je suis père, seigneur, et faible comme un autre, Racine, Iph. I, 5. Une autre de César a surpris la tendresse, Racine, Brit. III, 4. Une autre cependant a fléchi son audace ; Devant ses yeux cruels une autre a trouvé grâce, Racine, Phèd. IV, 5. Qu'autres que vous soient désirées, Qu'autres que vous soient adorées, Cela se peut facilement, Malherbe, V, 28.

    Populairement. Ah ! cet autre ! Écoutez ce que vous dit cet autre ! Cette locution s'emploie pour faire entendre que l'on ne croit pas aux paroles de quelqu'un.

    Autre part, ailleurs. C'est un livre que j'ai cherché partout, mais je ne l'ai pu trouver autre part que là. Vous ne le trouverez point autre part.

    Prendre quelqu'un pour un autre, le juger autrement qu'il ne faut. Vous voulez me faire votre dupe : vous me prenez pour un autre. Vous avez montré à ceux qui vous renvoyaient à Dole qu'ils vous prenaient pour un autre, Voiture, Lett. 83.

    Fig. Il n'en fait pas d'autres, c'est-à-dire il fait toujours les mêmes sottises.

    En voici bien d'une autre, voici quelque chose de plus étonnant. Bon, dit Climène, en voici bien d'une autre ; Ma chère sœur, quelle idée est la vôtre, Voltaire, Filles de Minée.

  • 6Autre forme un gallicisme, uni aux pronoms nous, vous. Nous autres bénissons notre heureuse aventure, Corneille, Poly. V, 6. Vous autres, suivez-moi, Corneille, Héracl. IV, 5. Nous autres, réunis sous de meilleurs auspices…, Corneille, Nicom. V, 10. Vous autres, fortes têtes, Vous voilà ! vous prenez tous les gens pour des bêtes, Gresset, le Méch. I, 4.
  • 7Autre avec ne ou avec sans. Autre n'a mieux que toi soutenu cette guerre ; Autre de plus de morts n'a couvert notre terre, Corneille, Hor. II, 5. Sans qu'autres que les deux qui vous parlaient là-bas De tout ce qu'elle a fait sachent plus que Phocas, Corneille, Héracl. II, 6.

    Autre avec que et ne. Madame, autre que moi n'a droit de soupirer, Corneille, Cid, IV, 2. Comme autre qu'un Romain n'a pu l'assujettir, Corneille, Pomp. IV, 4.

  • 8L'autre, les autres, servant de complément à l'un, les uns. Ils s'aiment l'un l'autre. Ils se poursuivaient les uns les autres. Ces dames sont aimables les unes pour les autres. Les uns et les autres sont venus vous voir.

    Qui voit l'un voit l'autre, il n'y a pas de différence entre eux.

    Il y en a d'uns et d'autres, c'est-à-dire il y en a de bons et de mauvais.

    L'un vaut l'autre, c'est-à-dire l'un n'est pas meilleur que l'autre.

    L'un portant l'autre, c'est-à-dire en compensant l'un par l'autre.

    L'autre jour, un jour indéterminé, mais peu éloigné. J'ai rencontré votre frère l'autre jour.

    Populairement. Comme dit l'autre, c'est-à-dire comme on dit.

  • 9Au plur. masc. Les autres, autrui. Il se méfie toujours des autres. Je me suis fait une petite destinée à part, avec laquelle je ne puis regretter aucune des folies des autres, attendu que je suis trop occupé des miennes, Voltaire, Lett. à Mme du Deffant, 17 sept. 1759.

    D'autres, des personnes différentes de celle ou de celles dont il s'agit. D'autres vous diront. Ne parlez pas de cela à d'autres que vos amis.

  • 10À d'autres ! expression elliptique signifiant : contez cela à de plus crédules. Non ; à d'autres, dit-il ; on connaît votre style, Boileau, Ép. VI. À d'autres, je vous prie, Molière, Sganar. 6. À d'autres, je vous prie ; c'est moi, vous dis-je, Molière, Festin, II, 5.

    Parler de choses et d'autres, parler de diverses choses.

    Il en sait bien d'autres, il a bien d'autres moyens d'agir, de faire.

    J'en ai vu bien d'autres, j'ai vu des choses bien plus extraordinaires ou plus périlleuses.

    PROVERBE

    Autres temps, autres mœurs, les mœurs changent avec le temps.

REMARQUE

1. Après autre on met un ne explétif : il est autre qu'il ne paraît. Mais si la phrase est négative, on ne met pas ce ne : il n'est pas autre qu'il paraît.

2. Devant autre, tout s'accorde quand il signifie quelqu'un, quelconque : toute autre personne me le dirait que je ne le croirais pas. Il reste invariable quand il signifie tout à fait : depuis qu'elle est mariée, c'est une tout autre personne.

3. Faut-il dire : en voici bien d'un autre ou en voici bien d'une autre ? La seconde expression est préférable, parce que, dans ces sortes de phrases elliptiques, c'est le mot chose, aventure, qui est sous-entendu.

4. Lorsque l'un est précédé d'une préposition, la même préposition doit être répétée devant l'autre : je leur ai donné dix francs à l'un et à l'autre ; je suis content de l'un et de l'autre.

5. L'adjectif autre, employé avec un nom de nombre, doit toujours être placé après ce nom de nombre, contrairement à l'usage des méridionaux, qui disent les autres six, les autres vingt, au lieu de les six autres, les vingt autres.

6. Au lieu de que, on peut parfois mettre sinon après autre. Il n'a pas d'autre ressource, sinon une petite place.

7. Après à autre suivi d'un que, ne répétez pas la préposition à. Ne dites pas : on a offert cette place à un autre qu'à lui ; mais dites : à un autre que lui. Incorrection qui se trouve dans ce vers de MOL. Sgan. 16 : Et je le donnerais à bien d'autres qu'à moi ; et dans cette phrase de VOLT. Lettr. Mme du Deffant, 15 janv. 1760 : Ceux qui voudront de ces vieillards-là peuvent s'adresser à d'autres qu'à moi.

8. Pour l'accord du verbe avec l'un et l'autre, ni l'un ni l'autre, voy. UN.

HISTORIQUE

XIe s. Forfait [condamné] fust il u [au] duble de ce que altre fust forfait, L. de Guill. 2. Là où cist furent, des autres i ot bien. L'uns fut Basan et li altres Basile, Ch. de Rol. XI.

XIIe s. Et tant des autres que nus nel puet esmer, Ronc. p. 32. Sur toutes autres cremue [crainte] et redoutée, ib. p. 48. D'un chief en autre [de bout en bout] [il] lui a fraite [la targe] et croissie, ib. p. 58. La teste [il] i pert, n'i laissa autre gage, ib. p. 64. S'autre le dist, mensonge fust prouvée, ib. p. 84. D'heures en autres [il] va sa coupe [coulpe] battant, ib. p. 92. Et tuit li autre sont remès en estant, ib. p. 119. Et j'ai plus haute pensée Que tuit li autre ameor [amant], Couci, I. Toute beautez qui sur autre resplent Est mise en lui [elle], qu'il n'i a que mesprendre, ib. v. Quant l'uns à l'autre atalente, Pour quoy nous as despartis ? Dame de Faiel dans Couci. On ne connoit boin service, Tant qu'on ait autre esprouvé, Auboins de Sezanne, Romancero. p. 127. Bien i parut, l'autre jour, à Compiegne. Quand li beron ne purent droit avoir, Hues de la Ferté, ib. p. 184. Or à mari autre que vous [je] n'aurai, ib. p. 70. Je m'occirai, s'autres que Garin m'ait [m'a pour femme] ; Ou je ferai quanque amours m'aprendrait [apprendra] ; Se [je] n'ai Garin, l'uns ou l'autre aviendrait [aviendra], ib. p. 72. Et la guerre dura tante mainte saison ; Li uns rois après l'autre la reprist en son nom, Sax. III.

XIIIe s. Fu premiers li marchis de Montferrat, li quens Baudoins de Flandres fu li autres, li quens Loys de Blois fu li tiers, Villehardouin, LIII. D'autre part sist Pepins o la chevalerie, Berte, II. S'aidoient li uns l'autre contre les Arabis, ib. V. Et dist li uns l'autre, ib. IX. [Elle fait] Les uns après les autres belement departir, ib. XII. Fut Naymes chevaliers et maint autre avec lui, ib. CVIII. … Le cerf tant [il] parsuivi Que trestoutes ses gens un et autre il perdi, ib. CXXII. Dame, fis-ge, ne puet autre estre, la Rose, 6933.

XIVe s. Et nous disons que ami est aussi comme autre soy meisme, Oresme, Eth. 282.

XVe s. Et tant firent aucuns povres compagnons qui estoient plus subtils et aventureux les uns que les autres, Froissart, II, III, 35. L'amiral de la mer et ses gens trouverent [en Écosse] autre pays et autres gens que ils ne cuidoient, Froissart, II, II, 235. Les autres neuf [les neuf autres], Commines, IV, 10. Je seroye assez de l'oppinion de quelque autre que j'ay vu, Commines, V, 9. Un jour entre les autres, voyant que…, Louis XI, Nouv. LXXXIV.

XVIe s. Entre autres, y en avoit une, qui… et comme un malheureux souvent cherche l'autre, vint aborder cette pauvre damoiselle, Marguerite de Navarre, Nouv. XX. Il ne requeroit aultre grace que de…, Montaigne, I, 4. Il m'adveint l'aultre jour de…, Montaigne, I, 156. Aultre chose est un dogme serieusement digéré ; aultre chose ces impressions…, Montaigne, II, 147. Ses trenchées croissoient d'heure à aultre, Montaigne, IV, 321. Batailles tant renommées qui ont esté données deux mille ans a, et vivent encores aujourd'hui aussi fraiches en la memoire des livres et des hommes comme si c'eust esté l'autre hier qu'elles furent données en Grece, La Boétie, Servit. vol. Je t'assure que c'est Mercure sans aultre [et non un autre], Despériers, Cymbal. 78. C'est ce livre-là sans aultre, ib. p. 131. Un jour entre les autres, ayant observé que…, Amyot, Fab. 20. Il en publia, un jour après, autres deux cents et vingt [220 autres], Amyot, Sylla, 65. Il resolut d'essayer tous moyens de parvenir à ce qu'autre ne l'eust que luy [cette commission], Amyot, Lucul. 12. Il y veit une infinité de viandes, et entre autres huict sangliers, Amyot, Anton. 33. Numa dit qu'il en falloit faire fondre et forger autres unze, qui fussent de façon et de grandeur tous semblables à celuy là, Amyot, Numa, 23. Des autres quatre, nul n'est decedé de sa mort naturelle, Amyot, ib. 37. Les lois et coustumes des hommes sont differentes, et estiment les uns une chose honneste et les autres une autre, Amyot, Thém. 49. Quant à vous autres Grecs, on dit que vous estimez la liberté et l'egalité sur toutes autres choses, Amyot, ib. 4. Ceste bataille fut si asprement combatue de part et d'autre, Amyot, Fab. 6. Non qu'il [Luther] estime que Rome soit autre que incurable, Sleidan, f° 19. Si tu es de Dieu, parle ; si tu es de l'autre [du diable], va t'en, D'Aubigné, Faen. III, 24. Il fut porté par terre, et autres sept ou huict avecques luy, Du Bellay, M. 156.

ÉTYMOLOGIE

Picard et bourguig. aute ; provenç. altre et autre ; espagn. otro ; portug. outro ; ital. altro ; de alter. Alter a le même radical que le sanscrit anyas, autre, qui a donné alius, et qui, prenant un suffixe comparatif, est devenu alter en latin et ander en allemand. D'après Palsgrave, p. 62, aultre se prononçait outre.