« brouiller », définition dans le dictionnaire Littré

brouiller

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brouiller

(brou-llé, ll mouillées, et non brouyé) v. a.
  • 1Mettre pêle-mêle, mêler. On a brouillé mes papiers. Un des noms reste encore, et le prélat par grâce Une dernière fois les brouille et les ressasse, Boileau, Lutr. I.

    Absolument. Elles filaient si bien, que les sœurs filandières Ne faisaient que brouiller auprès de celles-ci, La Fontaine, Fabl. V, 5.

    Fig. Brouiller les cartes, semer la discorde, mettre le désordre. Dans le même sens : Tu courus chez Satan brouiller de nouveaux fils, Boileau, Sat. XI.

    Brouiller des œufs, les battre et les mêler.

    Brouiller du vin, remuer du vin dans un tonneau, dans une bouteille, de manière que le dépôt se mêle avec le vin, ce qui le trouble.

    Brouiller le teint, en troubler l'uni et la fraîcheur. Ma mère en est la cause ; et ce qu'elle me dit Me brouille tout le teint, me sèche et m'enlaidit, Regnard, Distrait, III, 1.

    Brouiller une serrure, la déranger.

  • 2 Fig. Brouiller les affaires. Brouiller la vue. Brouiller l'esprit, les idées. L'amour lui a brouillé la cervelle. Brouiller la populace, Corneille, Perthar. III, 4. Elle brouille tout notre sort, Corneille, Héracl. V, 1. Là ma douleur trop forte a brouillé ces images, Corneille, Poly. I, 3. Je n'ai qu'à dire un mot pour brouiller bien des choses, Corneille, Othon, IV, 1. Les soucis, les ennuis nous brouillèrent la tête, Régnier, Sat. VI. L'empereur Constance brouillait tout dans l'Église, Bossuet, Hist. II, 12. Les hommes brouillaient les idées qu'ils avaient reçues, Bossuet, Hist. II, 2. Hérode brouille toutes choses, Bossuet, Hist. II, 5. Les musiciens ont étrangement brouillé ces distinctions, Rousseau, Ém. II. Ronsard qui le suivit, par une autre méthode, Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode, Boileau, Art p. I. Non, non ; faisons toujours ce que le ciel prescrit, Et d'aucun autre soin ne nous brouillons l'esprit, Molière, Tart. IV, 1. J'avais les plus belles pensées du monde, et vos discours m'ont brouillé tout cela, Molière, Festin, I, 2.
  • 3Brouiller quelqu'un, lui ôter la netteté de ses idées, l'embarrasser. Ce mot de grâce me brouille, je n'y suis point accoutumé, Pascal, Provinc. 4. Les détails frivoles de son domestique le brouillent comme les affaires les plus importantes, Vauvenargues, La libéralité. Sévère incessamment brouille ma fantaisie, Corneille, Poly. III, 1.
  • 4Confondre les choses en parlant. Que nous brouilles-tu ici de ma fille ? Molière, l'Avare, IV, 3.
  • 5Brouiller du papier, barbouiller du papier, écrire des choses inutiles.
  • 6Désunir des amis. Ils s'efforçaient de me brouiller avec vous. J'aurai pu jusqu'ici brouiller tous les chapitres, Boileau, Lutrin, I. Plus on veut les brouiller, plus on va les unir, Racine, Andr. I, 1. La déesse Discorde ayant brouillé les dieux, Et fait un grand procès là-haut pour une pomme, La Fontaine, Fabl. VI, 20. Ah ! ne me brouillez point avec la république, Corneille, Nicom. II, 3.
  • 7 V. n. Semer l'intrigue et le trouble. Appréhendant que les Français tranquilles chez eux ne portassent du secours aux rebelles des Pays-Bas, il saisit avidement cette occasion de brouiller, Anquetil, Ligue, II, 254.
  • 8Se brouiller, v. réfl. Se troubler. devenir confus. Ma mémoire se brouille. Les affaires de Babylone se brouillent ; et le temps marqué par les prophéties pour le rétablissement de Juda arrive parmi tous ces troubles, Bossuet, Hist. II, 4. Tout se brouille en Occident, Bossuet, Hist. I, 11. Les affaires de l'empire se brouillaient d'une terrible manière, Bossuet, Hist. I, 10. Les affaires parurent ensuite se brouiller un peu, Bossuet, Relat. Cela s'était brouillé dans ma tête, Sévigné, 462. Les idées se brouillent dans l'esprit du monde le plus net, Bossuet, Nouv. myst. 10.

    Le temps se brouille, le ciel se couvre de nuages ; et figurément : Le jeudi, le temps se brouilla [les affaires allèrent mal], Sévigné, 12.

    Se brouiller en parlant, s'embarrasser, se troubler.

  • 9Cesser d'être ami. Il se brouilla avec tous ses parents. Licinius se brouille avec lui, Bossuet, Hist. I, 10. Pompée et César s'unissent par intérêt et puis se brouillent par jalousie, Bossuet, Hist. III, 7.

    Se brouiller avec, renoncer à… Et ne nous brouillons point avec nos bons destins, Corneille, Sertor. IV, 2. Les jansénistes ne se brouillent ni avec la foi ni avec la raison, Pascal, Prov. 2.

    Familièrement. Se brouiller avec la justice, faire quelque action qui expose à être poursuivi en justice. Je n'ai pas l'esprit comme toi de me brouiller avec la justice, Molière, Fourb. I, 2.

  • 10 Terme de manége. On dit qu'un cheval se brouille quand, trop ardent, il confond ses mouvements, ou quand il ne peut bien se manier par la faute de celui qui le monte.

SYNONYME

BROUILLER, EMBROUILLER. Brouiller est le simple, sans aucune idée accessoire ; aussi peut-il également s'employer en bien comme en mal : on brouille des drogues, on brouille des œufs, c'est-à-dire on les mélange comme ces substances doivent être mélangées. Au contraire, embrouiller a toujours un sens défavorable : c'est porter un brouillement qui trouble et qui met le désordre. Puis, même dans les cas où ces deux verbes ont le même sens, c'est-à-dire expriment désordre et confusion, ils n'ont pas le même emploi : brouiller est encore ici plus général : on brouille toute espèce de chose, du vin, des papiers, du fil ; mais on n'embrouille que ce qui, étant brouillé, se trouve dérangé et mal en ordre. Par une conséquence analogue d'idées, embrouiller implique maladresse, malhabileté, ce que brouiller n'implique pas du tout : brouiller les affaires peut être un acte d'habileté, malfaisante sans doute, mais réelle ; tandis que embrouiller les affaires, c'est y porter le désordre par défaut d'intelligence et de lumières.

HISTORIQUE

XIIIe s. Nus poissonniers de Paris ne puet ne ne doit brooueiller poisson, come morue salée, maqueriau salé et harenc blanc, Liv. des mét. 272.

XVe s. Meschant est qui te brouille [qui mêle le vin avec de l'eau] ; Je parle aux taverniers, Basselin, XVIII. Vecy un passage que je ne sçay comment tu feras passer ton acteur [auteur] parmi, sans estre broullié beaucop ; car il est moult estroit, Chastelain, Exposition sur verité. Hélas ! avocats emparlés, Mainte fois nous avez brouillés, Et maintenus en plaidoyers, Monstrelet, Complainte du commun de France. Il n'eut guere allé, avant que le ventre lui brouillast tellement qu'il fut contraint de…, Louis XI, Nouv. LXXIX.

XVIe s. Combien qu'aujourd'hui beaucoup de sottes bestes se meslent de brouiller le papier, Calvin, 313. Soillez, broillez de leur sang, pluye et fanges, Marot, J. V, 138. Peut estre aussi que les ans, Après un long et long aage, Par estrangers courtisans Brouilleront nostre langage, Du Bellay, J. III, 34, recto. Que l'eternelle tempeste Qui brouille dedans ma teste Mille tourbillons enclos, Du Bellay, J. III, 78, recto. Là fut le vase, où les sorts se brouilloient, Du Bellay, J. IV, 40, verso. … car la guerre en avoit la serrure brouillée, Du Bellay, J. VI, 33, recto. Il bat et brouille l'eau pour d'aultres pescheurs, Montaigne, I, 121. Les avirons desrobbant le vaisseau soubs nous, je me sens brouiller la teste et l'estomach, Montaigne, IV, 4. Si ta force et vertu [du vin] surprend Et brouille nostre fantasie, Jean Lehoux, XII. Nous l'augmentons, et la brouillons encore d'avantage [la colère], Amyot, Comment refrén. la col. 42. Un vin brouillé et demy d'eau, Straparole, Nuits, t. II, p. 160, dans LACURNE SAINTE-PALAYE.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. bruelhar, brolhar, bruillar, bourgeonner, surgir ; catal. brollar, même sens ; ital. brogliare, brouiller, remuer ; d'après Diez, du même radical que breuil (voy. ce mot) ; la série des sens étant bourgeonner, surgir, pousser, remuer, troubler. On ne peut le rattacher à brouillard, qui, en raison de la forme brouas, ne concorde pas par les lettres, et qui n'a pas le sens de brouiller. Scheler, écartant le prov. brolhar, voit dans brouiller l'all. brudeln, bouillonner.