« décevoir », définition dans le dictionnaire Littré

décevoir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

décevoir

(dè-se-voir), je déçois, tu déçois, il déçoit, nous décevons, vous décevez, ils déçoivent ; je décevais ; je déçus ; je décevrai ; je décevrais ; déçois, qu'il déçoive, décevons, décevez, qu'ils déçoivent ; que je déçoive, que tu déçoives, qu'il déçoive, que nous décevions, que vous déceviez, qu'ils déçoivent ; que je déçusse ; décevant ; déçu v. a.
  • 1Abuser par quelque chose d'apparent, de spécieux ou d'engageant. Sire, un peu trop d'ardeur malgré moi l'a déçue, Corneille, Cid, V, 7. Il n'a point déçu Le généreux espoir que j'en avais conçu, Corneille, Poly. II, 2. … Je ne puis concevoir Qu'un esprit jusque-là se laisse décevoir, Corneille, Médée, I, 1. Notre raison est toujours déçue par l'inconstance des apparences, Pascal, dans COUSIN. … Que vois-je, justes dieux ! Cette bague en son doigt déçoit-elle mes yeux ? Rotrou, Bélis. III, 2. Madame, c'est Araspe, ou mon œil me déçoit, Tristan, Panthée, II, 2. Mais l'ouvrier vous a déçus ; Il avait liberté de feindre ; Avec plus de raison nous aurions le dessus, Si mes confrères [les lions] savaient peindre, La Fontaine, Fabl. III, 10. Par quelle trahison le cruel m'a déçue ! Racine, Iphig. V, 3. Cruelle, quand ma foi vous a-t-elle déçue ? Racine, Phèd. I, 3.
  • 2Se décevoir, v. réfl. S'abuser soi-même. Si je ne me déçois, ce mal te vient d'aimer, Régnier, Dial. Plusieurs de sorte se déçoivent En l'examen de ce qu'ils sont, Qu'ils se cherchent en ce qu'ils font, Sans même qu'ils s'en aperçoivent, Corneille, Imit. I, 14. Oui, mon esprit s'était déçu, Corneille, Cid, I, 9.

REMARQUE

Dans décevoir et les autres mots de cette famille, la prononciation met plutôt un accent grave qu'un aigu.

HISTORIQUE

XIIe s. N'est pas amours dont on se peut mouvoir, Ne cil amis qui en nule maniere La [l'amour] bée à decevoir, Couci, XVIII. Ou cil qui prie adès pour decevoir, ib. X. Dedenz quart jur après vint à Senz saint Thomas ; à l'ostel s'en ala : car de l'errer ert las ; à ses clers prist conseil, qui nel deçurent pas, Th. le mart. 57. Willames de Pavie e Jocelins i fu De Naples, qui al rei se sunt del tut tenu, E l'arcevesque eüssent volentiers deçeü, ib. 104. Mais Deus ne li a pas duné si grant poveir, Que ses pechiez nel pusse cum humme deceveir, ib. 30. Ire e malveis conseil unt le rei deceü, Qui l'unt vers le saint humme issi fort commeü, ib. 39. Guardez que Ezechias ne vus deceive, kar il ne vus purrad pas defendre vers mei, Rois, 409. Dun ne sez que pur ço i vint, qu'il te deceust et seust tes privetez e quanques tu fais, ib. 171.

XIIIe s. Comment Berte as grans piés a esté deceüe, Berte, CII. Ignaurès, nous as bien dechutes, Tant com en sommes aperchutes, Lai d'Ignaur. Par le trop aller [il] fut dechus, Et engigniés et percheüs [aperçu], ib. Tretout ausinc vous dis pour voir [vrai], Que li cristal, sans decevoir, Tout l'estre du vergier accusent à ceus qui dedens l'iaue musent, la Rose, 1568. Cis mireors m'a deceü ; Se j'eüsse avant cogneü Quex sa force ert et sa vertu, Ne m'i fusse jà embatu [précipité], ib. 1617. Cist portier, c'est chose seüre, Sunt de si piteuse nature Que se vos dons daignent reçoivre, Il ne vous vodront pas deçoivre, ib. 7554. Li tiers est dolor du lessier, Si cum ge t'ai dit ci-devant, Malement se vont decevant, ib. 5220. Si sachiés que cis font bone uevre, Qui les deceveors deçoivent, ib. 7381. Et il me dit que il me decevoient, Joinville, 194.

XIVe s. En ces icy pourroient estre plusieurs deceus et es autres nul ou pou, Oresme, Eth. IIII. Les malvès, qui sont plusieurs, sont deceus en jugeant quelle chose est bien à faire ou malvaise et à lessier, Oresme, ib. 71.

XVe s. Adonc se tint pour deçu messire Hue de Cavrelée, Froissart, II, II, 212. Et quand on avoit ainsi couru demie lieue ou plus et on venoit au lieu dont ce hutin ou cri naissoit, on se trouvoit deçu ; car ce avoient esté cerfs ou biches qui s'esmouvoient et fuyoient…, Froissart, I, I, 37. Et quand les Anglois entendirent ce, ils eurent conseil, et virent bien qu'ils estoient deçus en leurs cuiders, Froissart, I, I, 44. Plusieurs seigneurs… sont enclins à leur profit et ne regardent mie loyaument… fors à avoir la mise, et ce les deçoit, Froissart, II, II, 52. Je periray ; c'est ce pour quoi je crie, Quant nulz ne veut fors l'autre decevoir, Deschamps, Complainte de la France. Lors se tint à deçeu du mariage de sa fille, qu'il faisoit appeller madame la daulphine, Commines, V, 18.

XVIe s. Brief ce monde est une deception, Qui nous deçoit sous un très plaisant masque, Marot, I, 304. Il s'ensuit qu'ils ont esté deceus en erreur, Calvin, Instit. 24. Celui qui considere tels faits legerement, et les applique sans jugement, se deçoit, Lanoue, 89. Mais ce n'est mie à l'homme grand trofée, De decevoir un cœur desjà deceu, Ronsard, 947. Ainsin, estant toutes choses subjectes à passer d'un changement en aultre, la raison, y cherchant une reelle subsistance, se trouve deceue, Montaigne, II, 376.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. decebre ; anc. espagn. decebir ; du latin decipere, de de, et capere, prendre (voy. CAPTIF). L'ancien français a deux formes pour ce verbe, deçoivre et decevoir ; la première, ainsi que le provençal decebre, est régulièrement tirée du latin decipere, qui a l'accent sur ci ; la seconde est irrégulière, supposant un verbe decipēre, ou, comme l'espagnol decebir, decipīre.