« deuil », définition dans le dictionnaire Littré

deuil

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

deuil

(deull, ll mouillées) s. m.
  • 1Profonde tristesse causée par une grande calamité, par la perte de quelqu'un. La perte de plusieurs navires, corps et biens, jeta ce port de mer dans le deuil. Le jour de sa naissance fut un jour de deuil pour sa mère. … L'extrême deuil dont mon âme est atteinte, Mairet, Sophon. I, 3. Il est très assuré que je mourrais de deuil, Si le glaive des miens l'avait mis au cercueil, Mairet, ib. II, 2. Et la peur d'être ingrat étouffe votre deuil, Corneille, Tois. I, 1. Où prends-tu cette audace et ce nouvel orgueil De paraître en des lieux que tu remplis de deuil ? Corneille, Cid, III, 1. Et vous, allez au temple Y changer l'allégresse en un deuil sans pareil, Corneille, Rodog. V, 4. Une consolation si peu attendue redouble son deuil, Saint-Évremond, Matrone d'Éphèse, dans RICHELET. Sa mort mit en deuil une armée de trois cent mille hommes, et fit pleurer tous les princes chrétiens, Sévigné, 230. Achille mit vingt fois tout Ilion en deuil, Boileau, Ép. I. Ils pleurèrent beaucoup Jonathas et ceux qui étaient avec lui, et tout Israël en fit un grand deuil, Sacy, Bible, Machab. I, XII, 52. Votre fin soudaine et surprenante répandra le deuil parmi nous, Massillon, Car. Impénit. Les marques de deuil, chez les Israélites, étaient de déchirer ses habits, sitôt que l'on apprenait une mauvaise nouvelle, Fleury, Mœurs des Israélites, titre XVIII, 2e part. p. 222, dans POUGENS. On venait d'apprendre la mort d'Alfieri ; c'était un deuil général pour tous les Italiens qui voulaient s'enorgueillir de leur patrie, Staël, Corinne, XIX, 5. Toutes [les nymphes] frappant leur sein, et traînant un long deuil, Répétèrent hélas ! autour de son cercueil, Chénier, Élég. 20. Les cieux nous enviaient Sombreuil ; Ils ont repris leur exilée : Nous tous, bannis, traînons le deuil ! Hugo, Odes, II, 9.

    Familièrement. Faire son deuil d'une chose, n'y plus compter, et se résigner à sa perte.

  • 2 Fig. et poétiquement. Le deuil de la nature, l'aspect triste de la nature par l'effet de l'hiver ou de toute autre cause. La terre qui s'ébranle et se couvre de deuil, Massillon, Car. Passion. De la croix où ton œil sonda ce grand mystère, Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil, Lamartine, Médit. II, 22. Salut ! derniers beaux jours ; le deuil de la nature Convient à la douleur, et plaît à mes regards, Lamartine, ib. I, 29.
  • 3Il se dit des signes extérieurs du deuil. On prend ici le deuil de M. le duc d'Anjou, Sévigné, 69. Mlle Duplessis en grand deuil, Sévigné, 431. Elle est en deuil de son beau-frère, Sévigné, 459. On prend aujourd'hui le deuil de la reine d'Espagne, Sévigné, 523. Il faut porter un deuil éternel au dehors, Bossuet, Lett. Corn. 83. Ce long deuil que Titus imposait à sa cour, Racine, Bérén. I, 4. Ses nymphes de regret prirent toutes le deuil, Racine, Poésies, 1. Un amant en grand deuil a toujours son mérite, Regnard, Distrait, II, 7. C'est à Misène, dans le lieu même où nous sommes, que la veuve de Pompée, Cornélie, conserva jusqu'à la mort son noble deuil, Staël, Corinne, XIII, 4.

    Grand deuil, le costume de deuil dans toute sa rigueur pendant les premiers temps qui suivent la mort de la personne perdue. Petit deuil, costume de deuil devenu moins sévère à mesure qu'on s'éloigne davantage de l'époque de la mort. Une dame là-bas, monsieur, avec sa suite, Qui porte le grand deuil, vient vous rendre visite, Regnard, Légat. III, 5.

    Deuil de cour, costume de deuil que prend la cour quand meurt quelqu'un de la famille régnante ou quelqu'un des princes des maisons souveraines de l'Europe. Ne vois-tu pas, Hector, que c'est un deuil de cour ? Regnard, le Joueur, II, 14.

  • 4Couleur de deuil. Le deuil est noir pour les particuliers. Le violet est le deuil des rois.

    Très familièrement. Avoir les ongles en deuil, les avoir noirs, malpropres.

  • 5Dépenses faites pour prendre le deuil. Donner tant à une veuve pour son deuil.
  • 6Le temps du deuil. Elle attend la fin de son deuil.
  • 7Cortége de parents et d'amis dans les funérailles.

    Conduire le deuil, être en tête du cortége funéraire. Le chevalier n'aura point un enterrement magnifique, comme on prétendait : ils voulaient un prince du sang pour conduire le deuil ; M. le prince a dit qu'il était incommodé ; M. le duc, que cela était bon du temps passé, et que les princes du sang de ce siècle-ci sont plus grands seigneurs qu'ils n'étaient, Sévigné, 127.

  • 8Les étoffes, ordinairement noires, dont on tend une chambre, une église, etc. Tendre une chambre, une église de deuil.
  • 9Demi-deuil, moitié du temps du deuil.

    Costume que les parents d'un défunt portent après que la moitié du temps de leur deuil est expirée. Le demi-deuil n'est pas aussi sévère que le grand deuil.

    Fig. À l'heure où de la nuit le lugubre flambeau D'un pâle demi-deuil revêt tes sept collines, Lamartine, Médit. II, 20.

  • 10Dans la botanique et l'entomologie, deuil se dit d'êtres qui, dans leur coloration, offrent un mélange de noir et de blanc.

    Grand deuil, petit deuil, espèces de papillons.

    Demi-deuil, nom vulgaire de l'argé galatée (lépidoptères diurnes), appelée aussi galatée, et par certains auteurs, satyre galatée ; tandis que d'autres la nomment satyre demi-deuil, Legoarant

    PROVERBE

    Faire le deuil sur la fosse, acquitter sur-lechamp une dette peu honnête du défunt.

HISTORIQUE

XIe s. Donc [il] ad tel doel, pour poi d'ire ne fent, Ch. de Rol. XXII. Dient Franceis : Deus ! quel doel de [de la mort du] prodhome, ib. CXV. Charles se gist, mais doel a de Rolant, ib. CLXXX. Ce dist li reis : Seigneur, vengez vos doels, ib. CCLXV.

XIIe s. Les dox [régime pluriel], Ronc. p. 4. Voir, dit Rolant, ce est diaus et pitiés, ib. p. 66. Comenciez est li dex et li estriz, ib. p. 72. Charles fait duel, onques hon ne fit tel, ib. p. 149. Car cil qui voit tel amor desevrer [séparer], A assez plus de duel et de pesance Que n'auroit jà li rois s'il perdoit France, Couci, XXIV. De duel pleure li dux, et de pitié souspire, Sax. X. Deus ! quel duel des prelaz que lur mestier ne funt ! Mucie est la lumiere qui esclaire le munt [le monde], Th. le mart. 69.

XIIIe s. Blanchefleurs fait tel duel, que près li cuers lui fent, Berte, IX. Qant li dels fu un poi lessiez Et il fu del tot abessiez, Emperere, font li baron…, Ren. 10131. Du duel lessier moult la requistrent, Moult de beles raisons li distrent, la Rose, 8659. Mais ele qui son duel menoit, Ung coutel en son sein tenoit Repost [caché]…, ib. 8671. Por que cis duel plus ne te tiengne, De Mainfroi voil qu'il te soviengne, De Henri et de Corradin, ib. 6777. El [tristesse] ne se vosist [voulût] pas retraire Ne reconforter à nul fuer Du duel qu'ele avoit à son cuer, ib. 310. Maint grant deul en furent en cest monde, et maintes grans joies en sont en paradis, Joinville, 201.

XIVe s. Si comme Dido la royne, qui mourut de deul que elle perdit son amant, Oresme, Eth. 83. Il n'est doelz c'on n'oublie à terme bien prochain, Baud. de Seb. I, 865.

XVIe s. Pense il que la pelade soulage le dueil [affliction] ? Montaigne, I, 22. Les chiens se laissent mourir de dueil de la perte de leurs maistres, Montaigne, I, 101.

ÉTYMOLOGIE

Voy. DOULOIR. Picard (Boulonnais), dol ; Mayenne, duel ; wallon, doû ; rouchi, doel ; provenç. dol ; espagn. duelo ; ital. duolo. Il est très probable que l'auteur du jeu des trois rois (mystère du XVe s.) prononçait duel comme on prononce dans la Mayenne ; car il fait rimer avec hardel ce mot, qui pour lui est de deux syllabes, tandis que dans les textes plus anciens duel, prononcé deul, est constamment monosyllabe : Tuer nous fault, par grand desroy, Tous les enfans que trouverons… Tant qu'arons tué le hardel, Qui tant de peine et de duel Nous fait ; avant, ne lessons rien. Dans l'ancienne langue, au nominatif, li dels, li dex, li diaux, au régime, le duel.