« oser », définition dans le dictionnaire Littré

oser

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

oser

(ô-zé) v. a.
  • 1Tenter avec audace. Osez ce qu'ont osé tant d'autres conquérants, Rotrou, Antig. II, 4. Sachant ce que je puis, ayant vu ce que j'ose, Croit-il que m'offenser ce soit si peu de chose ? Corneille, Médée, I, 4. Il connaissait, dans le parti, de ces fiers courages dont l'esprit extrême ose tout, Bossuet, le Tellier. Pourquoi faut-il, ingrat… Que vous n'osiez pour moi ce que j'osais pour vous ? Racine, Baj. II, 3. Dans ces moments d'étonnement qui suivent une action inopinée, il est facile de faire tout ce qu'on peut oser, Montesquieu, Rom. 12. On sait ce que je puis, on verra ce que j'ose, Voltaire, Mort de César, II, 5. Rameau est d'autant plus digne d'estime, qu'il a osé tout ce qu'il a pu, et non tout ce qu'il aurait voulu oser, D'Alembert, Lib. de la mus. Œuv. t. III, p. 342, dans POUGENS.

    Absolument. S'il [le peuple] eût puni Sylla, César eût moins osé, Corneille, Cinna, II, 2. Peut-être avec le temps j'oserai davantage, Racine, Bajaz. II, 1. Il faut oser en tout genre, mais la difficulté est d'oser avec sagesse, c'est concilier une contradiction, Fontenelle, Chazelles. Il faut savoir oser ; la philosophie mérite bien qu'on ait du courage, Voltaire, Lett. Helvétius, 16 juill. 1760. Si j'écrivais un traité de politique, je traiterais à fond de l'art d'oser, non moins nécessaire pour faire réussir les entreprises civiles que les opérations militaires, Mirabeau, Fragments (dans les Mémoires publiés par M. Lucas Montigny, t. VII, p. 215).

    Négativement et absolument. Je n'ose. On n'oserait.

    Par forme de défi, de menace. Vous n'oseriez.

  • 2Avec un verbe à l'infinitif, avoir l'audace ou le courage de. Vous l'osâtes bannir, vous n'osez l'éviter, Racine, Phèdre, III, 1. Moi, que j'ose opprimer et noircir l'innocence ! Racine, ib. III, 3. Il est beau d'oser s'exposer à l'indignation du prince plutôt que de manquer à ses devoirs, Massillon, dans GIRAULT-DUVIVIER. Qui suis-je pour oser murmurer de mon sort ? Racine L. la Grâce, IV. Tu sais trop bien… que je n'ose pas oser, Beaumarchais, Mar. de Fig. I, 7.
  • 3Se permettre de. Si nous osions demander au grand prince qui lui rend les derniers devoirs, quelle mère il a perdue, il répondrait par ses sanglots, Bossuet, Mar.-Thér. Si d'autres osaient le louer, il repoussait leurs louanges, Bossuet, Louis de Bourbon. La reine savait combien la médisance se donne d'empire quand elle a osé seulement paraître en présence des princes, Bossuet, Reine d'Anglet. Oses-tu donc parler sans l'ordre de ton roi ? Racine, Esth. III, 4. J'ose dire que M. Macquer et M. de Morveau sont les premiers de nos chimistes qui aient commencé à parler français, Buffon, Hist. min. Introd. t. VI, p. 105.

    Si j'ose le dire, si j'ose m'exprimer ainsi, formule dont on se sert pour adoucir la force ou la hardiesse d'une expression, d'une idée. Si j'ose expliquer ma pensée, Racine, Brit. IV, 1. Son antagoniste se trouve, si j'ose dire, enchaîné par un collier de perles, que Socrate lui a passé autour de l'entendement, Bernardin de Saint-Pierre, Mort de Socrate.

  • 4Avec la négation, s'abstenir par circonspection. Mille soupçons qui laissent entrevoir ce qu'on n'oserait dire, Massillon, Carême, Médisance. Il n'osait plus parler à la reine avec cette douce liberté qui avait eu tant de charmes pour tous deux, Voltaire, Zadig, VIII.

REMARQUE

Dans le sens absolu, ou quand oser est suivi d'un infinitif, on supprime souvent pas dans les constructions négatives : je n'ose ; je n'oserai vous le dire ; je n'osais le faire. Tircis, je n'ose Écouter ton chalumeau, Chanson génevoise citée par J. J. Rousseau dans ses Confessions, I.

HISTORIQUE

XIe s. Mon escient, [ils] nes [ne les] osent aproismer [approcher], Ch. de Rol. CLII.

XIIe s. [Il n'est personne] Qui à Marsille oust [ose] porter mon mesage, Ronc. p. 13. Douce dame, je ne vous os rover [demander] Ce dont amors ne me rove pas taire, Couci, II.

XIIIe s. Biaus très dous fils, fait-elle, comment osas penser… ? Berte, III. Tant vous donrai d'avoir com oserez penser, ib. CXII. Maint i perdent, bien dile l'os, Sens, tens, chastel, cors, ame et los, la Rose, 4648. Le cuer ot [Franchise] dous et debonnaire ; Ele n'osast dire ne faire à nuli riens qu'el ne deüst, ib. 1206. Doner autrui bien, ce est nostre debonairetez ; estre osez de mal faire, ce est nostre vertus, Latini, Trésor, p. 512. En oevre es autretant, comme en parole, osée, La fole et la sage, dans JUBINAL, t. II, p. 78.

XVe s. Henry de Percy, je ne cuidoie mie que vous fussiez si grand en Angleterre, que vous osissiez faire fermer les portes… à l'encontre du duc de Lancastre, Froissart, II, II, 119.

XVIe s. Il feit faire defense à ceulx de la ville, que nul ne fust si ozé ne si hardy que d'approcher des murailles, Amyot, Marcel. 15. Il n'osoit ny boire ny manger avec personne de la ville, ny ne s'osoit trouver ès compagnies pour deviser, Amyot, Nicias, 8. Tous ces petits succez eschaufferent le prince de Condé, et lui firent ozer le siege de Brouage, D'Aubigné, Hist. II, 437.

ÉTYMOLOGIE

Berry, ouser ; provenç. ausar ; espagn. osar ; portug. ousar ; ital. ausare, osare ; du supin ausum, de audere (voy. AUDACE). Le participe latin ausus avait donné à l'ancienne langue l'adjectif os, ose, qui avait le sens de osé.