« dé », définition dans le dictionnaire Littré

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

dé [1]

(dé) s. m.
  • 1Petit morceau d'os ou d'ivoire, de figure cubique, marqué sur chaque face d'un différent nombre de points, et servant à jouer Jeter les dés. Dés pipés, dés qu'on a préparés pour tricher au jeu. Dés chargés, dès qui, garnis d'un petit poids dans leur intérieur, tombent de préférence sur un côté déterminé. Je dis que l'on doit faire ainsi qu'au jeu de dés, Où, s'il ne vous vient pas ce que vous demandez, Il faut jouer d'adresse et d'une âme réduite Corriger le hasard par la bonne conduite, Molière, Éc. des f. IV, 8. Un fatal jeu de dés dont la fureur les possédait, noircissait leur esprit et absorbait leur âme, Marmontel, Mém. liv. VII, t. II, p. 206, dans POUGENS. Chacun après le dé vous montre comment il fallait jouer, Courier, Lett. I, 129. Voyons si la vertu n'est qu'une sainte erreur, L'espérance un dé faux qui trompe la douleur, Lamartine, Harm. IV, 11.

    Coup de dé ou coup de dés, le nombre de points qu'on amène en jetant une fois les dés ; et, figurément, coup de hasard. Ma fille, il ne s'en faut qu'une tête qu'elle [une terre] soit à vous ; ce serait un beau coup de dé, Sévigné, 349. Elle peut vous valoir beaucoup, elle peut vous valoir très peu ; tout est coup de dé dans ce monde, Voltaire, Lett. Thiriot, 4 mars, 1769.

    Avoir le dé, être le premier à jouer. À vous le dé, c'est à vous de jouer ; et, figurément, à vous le dé, c'est à vous de parler, d'agir. À vous le dé, monsieur [c'est de vous qu'il s'agit], Molière, Mis. V, 4. Fauteuil vacant à la deuxième classe, On meurt souvent parmi ces immortels, à vous le dé…, Millevoye, Épigr. Fauteuil acad.

    Tenir le dé, avoir les dés en main pour jouer ; et, figurément, tenir le dé dans la conversation, s'en rendre maître, la diriger. … L'on est chez vous contrainte de se taire : Car madame, à jaser, tient le dé tout le jour, Molière, Tart. I, 1. Silly tenait le dé du raisonnement et de la politique, Saint-Simon, 136, 262.

    Quitter le dé, abandonner les dés qu'on tient à la main ; et, figurément, ne vouloir pas tenir ce qu'un autre veut jouer.

    Faire quitter le dé, faire abandonner les dés par le joueur qui les tient pour qu'ils passent à un autre, et, figurément, faire quitter le dé à quelqu'un, obliger quelqu'un à renoncer à une entreprise.

    Rompre le dé, c'est brouiller le dé avant qu'on ait vu ce qu'il porte ; et, figurément, rompre le dé à quelqu'un, faire avorter ses desseins, ses entreprises.

    Flatter le dé, jeter doucement les dés dans l'espoir de n'amener qu'un petit nombre de points ; et, figurément, ne pas parler franchement et librement de quelque chose, adoucir quelque chose de fâcheux.

    Le dé en est jeté, la résolution en est prise.

    Fig. et familièrement. Je jetterais cela à trois dés, je jouerais cela à trois dés, c'est-à-dire le choix entre ceci ou cela m'est tout à fait indifférent, et je m'en remettrais volontiers au hasard pour choisir.

    Au plur. Dés, jeu de dé. Pierre le bon enfant aux dés a tout perdu, Régnier, Sat. XI.

  • 2Synonyme de domino, au jeu qui porte ce nom ; synonymie qui vient de ce qu'il y a une grande analogie entre les dés et les dominos qui sont en quelque sorte des dés étendus. Je n'ai plus que deux dés. Couvrir, boucher, fermer un dé, mettre, par exemple, du six contre du six. Ouvrir un dé, le faire paraître pour la première fois. Jouer à dé forcé. Rendre le dé, remettre à son partner du six, par exemple, s'il a déjà ouvert le six.
  • 3 Terme d'architecture. La partie cubique d'un piédestal.

    Petits cubes de pierre qu'on place sous des poteaux, des colonnes, des vases pour les isoler de terre.

  • 4Dé de drapeau, garniture en métal à l'extrémité inférieure de la hampe d'une enseigne.
  • 5Plaque de cuivre percée d'un trou circulaire, qu'on adapte aux rouets des bois des poulies pour recevoir l'axe.

    Morceau de bois percé de trous dans lesquels l'orfévre enfonce au marteau les pièces d'argent qu'il veut rétreindre.

    Terme de vitrier. Espèce de compartiment de panneau.

    Terme de marine. Plaque percée pour exécuter les coutures des voiles.

    Diverses chevilles ou tampons.

    Terme de typographie. Morceau d'acier qui se place dans la grenouille d'une presse et reçoit le pivot de la vis.

REMARQUE

Delille a écrit dez, comme on faisait dans le XVIIe siècle : Dans le cornet fatal le dez a retenti, Delille, Imag. II.

HISTORIQUE

XIIe s. Quant cil denier serunt despendu e alé, E en malvaises genz et en guerre guasté, Malvaisement conquis, malement alué, Li dé serunt mult tost sur ambes as turné, Qui unt esté sovent sur sines [le six] ruelé, Th. le mart. 157.

XIIIe s. Je cuit et croi vos dites voir ; Jà por ce n'ert li dez changiez, Ren. 3229. Bien me seront li dé changié, Quant por ce que j'aurai mangié, M'aura Diex issi estrangié De sa meson, Fab. mss. n° 7218, f° 299, dans LACURNE.

XIVe s. Et dient les expositeurs que tetragone est un corps quarré comme un dey, Oresme, Eth. 24. Sire, ce dit Bertran, qu'avez-vous empensé ? Visez-vous à l'avoir ? je n'y acompte un dé, Guesclin. 15930. J'ai dez du plus, j'ai dez du mains [moins], De Paris, de Chartres, de Rains ; Si en ai deuz, ce n'est pas gas [plaisanterie], Qui au hocher chieent [tombent] sor as, Dict. du mercier, dans DE LABORDE, Émaux, p. 247.

XVe s. [Le prud homme] s'en vint à la porte de Gand, où les gardes veilloient, et là les trouva jouant aux dés, Froissart, II, II, 213. Fortune fait souvent tourner Les dez contre moi malement, Orléans, Ball. 45.

XVIe s. Que n'entreprendroit-il [l'homme], puis que la brefveté qui luy coupe le chemin et luy rompt le dé, comme l'on dict, et l'incertitude d'icelle [la vie] qui oste tout courage, ne le peust arrester, vivant comme s'il avoit tousjours à vivre ? Charron, Sagesse, I, 36.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. dat, datz ; catal. dau ; espagn. portug. et ital. dado ; d'après Ménage, du latin dare, dans le sens de jeter : datum, ce qui est jeté sur la table ; d'après Golius, de l'arabe dadd, jeu. De ces deux étymologies, la première est de beaucoup la plus vraisemblable.