« digne », définition dans le dictionnaire Littré

digne

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

digne

(di-gn' ; au XVIe s. Palsgrave, p. 23, dit qu'on prononçait dine) adj.
  • 1Qui mérite, en parlant des personnes. Il est digne de récompense. Digne d'être admiré. Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment ; il est injuste que nous le voulions, Pascal, Pensées, art. XXIV, 56, éd. Lahure, 1860. Approchez, ô vous qui courez avec tant d'ardeur dans la carrière de la gloire, âmes guerrières et intrépides ; quel autre fut plus digne de vous commander ? Bossuet, Louis de Bourbon. Digne de notre encens et digne de nos vers, Boileau, Sat. VII. Je mourais ce matin digne d'être pleurée, Racine, Phèd. III, 3. Jamais femme ne fut plus digne de pitié, Racine, ib. II, 5.

    Qui mérite, en parlant des choses. Conduite digne d'éloges. Langage digne d'être applaudi. Exemple digne d'imitation. Il t'offre une oraison, il t'offre des louanges, Dignes de se mêler à celles de tes anges, Corneille, Imit. III, 48.

    Digne de créance, digne de foi, se dit des personnes et des choses.

  • 2En mauvaise part. Il est digne de punition, de mépris. Cette action est digne d'un châtiment. Car c'en est une [trahison] enfin bien digne de supplice Qu'avoir d'un tel secret donné le moindre indice, Corneille, Héracl. II, 1. Et toutes les hauteurs de sa folle fierté Sont dignes tout au plus de ma sincérité, Molière, F. savantes, I, 3. Voilà le digne fruit de tant de travaux et, dans le comble de leurs vœux, la conviction de leur erreur ; venez, rassasiez-vous, grands de la terre, saisissez-vous, si vous pouvez, de ce fantôme de gloire, à l'exemple de ces grands hommes que vous admirez, Bossuet, Louis de Bourbon. Qu'elle nous parut au-dessus de ces lâches chrétiens qui s'imaginent avancer leur mort quand ils préparent leur confession ; qui ne reçoivent les saints sacrements que par force ; dignes certes de recevoir pour leur jugement ce mystère de piété qu'ils ne reçoivent qu'avec répugnance ! Bossuet, Duch. d'Orléans.
  • 3 Absolument. Honnête, honorable ; en ce sens digne se met toujours avant son substantif. Un digne homme. Un digne magistrat. Et demandons aux dieux, nos dignes souverains…, Corneille, Nicom. V, 10. Rodrigue aime Chimène, et ce digne sujet De ses affections est le plus cher objet, Corneille, Cid, I, 7. Quand je semais partout la terreur et l'effroi, J'étais un grand héros, j'étais un digne roi, Corneille, Perthar. I, 4. Que pouvait penser le prince, si ce n'est que, pour accomplir les plus grandes choses, rien ne manquerait à ce digne fils que les occasions ? Bossuet, Louis de Bourbon. Paraissez, cher enfant, digne sang de nos rois, Racine, Athal. V, 5. Il se jeta au milieu d'une colonne romaine, où il périt en digne fils d'Amilcar et en digne frère d'Annibal, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. I p. 460, dans POUGENS. Dis-leur que j'ai donné la mort la plus affreuse à la plus digne femme, à la plus vertueuse, Voltaire, Zaïre, V, 10.

    Capable. C'est un digne sujet. Et s'il n'avait laissé dans de si dignes mains L'infaillible secret de vaincre les Romains, Corneille, Nic. III, 2.

    Cependant, si digne, en ces emplois, est modifié par quelque autre mot, on peut le mettre après son substantif. Quand, à la fin du repas, il [Pierre 1er] vit son portrait qu'on venait de peindre, placé tout d'un coup dans la salle, il sentit que les Français savaient mieux qu'aucun peuple du monde recevoir un hôte si digne, Voltaire, Hist. de Russie, II, 8.

    On le dit aussi des choses ; et alors digne se met encore après son substantif. Une conduite digne. Rien de plus digne que sa conduite.

  • 4Convenable, mérité ; il se met en ce sens, avant son substantif. On regarde sa mort comme un digne supplice, Corneille, Tois. d'or, IV, 1. Choisissez-lui, Lépide, un digne appartement, Corneille, Pomp. III, 4. Digne emploi d'un ministre…, Racine, Brit. III, 3. Digne objet de leur crainte, Racine, Andr. I, 4. Le plus froid mépris De vos caprices vains sera le digne prix, Voltaire, Zaïre, IV, 2. Vous daignâtes bientôt, soit grandeur, soit pitié, Soit plutôt digne effet d'une pure amitié…, Voltaire, ib. II, 2.
  • 5Qui est en rapport, qui a de la convenance, de la conformité avec. Il montra partout une vertu digne de sa naissance. Si je n'eusse produit un fils digne de moi, Digne de son pays et digne de son roi, Corneille, Cid, II, 9. Mais si par d'autres soins plus dignes de mon âge, Racine, Baj. III, 2. Songez-y donc, madame, et pesez en vous-même Ce choix digne des soins d'un prince qui vous aime, Digne de vos beaux yeux trop longtemps captivés, Digne de l'univers à qui vous le devez, Racine, Brit. II, 3.

    Il régit que avec le subjonctif. Il est bien digne que vous fassiez quelque chose pour lui. Il n'était pas digne qu'on fît quelque chose pour lui. Êtes-vous digne qu'on fasse quelque chose pour vous ?

  • 6Grave, réservé, fier, en parlant du ton, des manières ; digne se met alors toujours après son substantif. Avoir, prendre un air digne. C'était une personne froide, digne, silencieuse, Staël, Corinne, XIV, 1.

    Il se dit quelquefois, par dénigrement, d'une affectation d'importance. Elle a un petit air digne qui me déplaît.

REMARQUE

Digne, employé avec une négation, ne se dit que du bien : Il n'est pas digne de récompense, il n'en mérite pas. C'est donc une incorrection de dire : il n'est pas digne de votre courroux, pour : il ne mérite pas que vous soyez en courroux contre lui. Autrement, il n'est pas digne de votre courroux, est très correct, signifiant : il est au dessous de votre courroux, vous lui feriez trop d'honneur.

HISTORIQUE

XIe s. Quar il ad Deu bien et à gret servit, Et il est digne d'entrer en paradis, St Alexis, XXX.

XIIe s. Chers [riches] est li lieus, si est digne l'eglise, Ronc. p. 179.

XIIIe s. De la folie as femes m'esmerveil ge souvent ; Femme est plus orgueilleuse que lions ne serpent ; Par femes sommes nous trestuit mis à torment ; Feme nos gita fors du disne firmament, Chastie-Musart, ms. f° 107, dans LACURNE.

XIVe s. … que dame Dieu qui maint en Bethleent Vueille garder de mal, par son disne commant, Bertran…, Guesclin. 5357-5363.

XVe s. Celle oriflambe est une digne banniere et enseigne, Froissart, II, II, 196. Et si leur bataille tourne et leurs gens viennent pour les secourir, nous sommes bien dignes [capables] de les deconfire tous, le Jouvencel, ms. p. 224, dans LACURNE.

XVIe s. Elle commença à lui dire tous les propos qu'elle pensoit dignes [capables] de le retirer du lieu où il estoit, Marguerite de Navarre, Nouv. LXIV. Ce porteur a vu tout ce qui est digne d'escripre de ce pays, Marguerite de Navarre, Lett. 166. Le bien de vous voir est digne d'oublier toute aultre chose pour y parvenir, Marguerite de Navarre, ib. IX. Si j'estoys digne d'estre crue sur ces affaires, Marguerite de Navarre, ib. XCIV. Je le vous envoie pour vous rendre conte de moy et de tout ce qui me semble digne de vous estre dit, Marguerite de Navarre, ib. CXIX. Ceulx-là sont reputez sages et dignes, à qui l'on mette en main les resnes des grands gouvernemens, Amyot, Préf. VII, 32. A fait d'exil les aucuns revenir, Injustement les autres forbannir, Ou mettre à mort sans digne forfaitture, Amyot, Thém. 41. Ce senat vilain, servile, et corrompu, et digne d'un pire maistre que Tibere, Montaigne, II, 91.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. doigne ; provenç. digne, deing ; espagn. digno ; ital. degno ; du latin dignus.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

DIGNE. - REM. Ajoutez :

2. Au XVIe siècle, digne se prononçait dine (voy. LIVET, la Gramm. franc, p. 168). Voy. aussi ces vers de Marot à François 1er : Tant pour le bien de la ronde machine Que pour autant que sur tous en es digne.