« emprunter », définition dans le dictionnaire Littré

emprunter

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

emprunter

(an-prun-té) v. a.
  • 1Obtenir à titre de prêt. Emprunter de l'argent, un cheval, un livre.

    Absolument. Ceux qui empruntent sont bien malheureux, Molière, l'Avare, II, 1. Bientôt, pour subsister, La noblesse sans bien trouva l'art d'emprunter, Boileau, Sat. v. Pour empêcher les emprunts d'où naissent la fainéantise, les fraudes et la chicane, le roi Asychis ne permettait aux Égyptiens d'emprunter qu'à condition d'engager le corps de leur père à celui dont on empruntait, Bossuet, Hist. III, 3. Il emprunte de tous côtés, pour se cacher à lui-même sa misère, Bossuet, la Vallière.

  • 2Tirer de, prendre de, recevoir de. La lune emprunte sa lumière du soleil. Les magistrats empruntent leur autorité du pouvoir qui les institue. Aimez donc la raison, et que tous vos écrits Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix, Boileau, Art p. I. Virgile a emprunté d'Homère quelques comparaisons, quelques descriptions, Voltaire, Ess. sur la poésie ep. chap. 3. Les Grecs ont emprunté des Égyptiens l'idée et la forme des temples, Barthélemy, Anach. ch. XI. Il [Napoléon] compte sur cette puissance d'illusion que lui donne sa renommée ; jusqu'à ce jour, elle a emprunté de lui une force réelle et immanquable ; il s'efforce donc par des raisonnements spécieux de soutenir la confiance des siens, et peut-être aussi le faible espoir qui lui reste, Ségur, Hist. de Napol. VIII, 11.

    Absolument. Voilà où elle [l'âme] est tombée quand elle a voulu emprunter des sens ; mais ce n'est pas encore là la fin de ses maux ; car ces sens dont elle emprunte, empruntent eux-mêmes de tous côtés, Bossuet, la Vallière.

  • 3Avoir recours à, employer. Sans emprunter ta main pour servir ma colère, Corneille, Cinna, III, 4. J'emprunte du secours et le fais hautement, Corneille, Nic. III, 8. Vos deux filles, seigneur, ont emprunté ma voix, Et leur cœur par ma bouche expliquait leurs misères, Mairet, Mort d'Asdr. III, 1. Ne saurait-il rien voir qu'il n'emprunte vos yeux ? Racine, Brit. I, 2. L'insolent de la force empruntait le secours, Racine, Phèd. IV, 1. Et j'irais pour ma cause emprunter d'autres bras ! Voltaire, Triumv. IV, 2.
  • 4Se couvrir d'une fausse apparence. Emprunter le masque de la vertu, le langage de l'humanité. Il faut d'un suppliant emprunter le visage, Racine, Mithr. III, 1. D'Achille qui l'aimait, j'empruntai le langage, Racine, Iphig. I, 5.
  • 5 V. n. Terme d'organiste. Lorsque, le sommier n'étant pas bien fermé, le vent qui doit aller dans un tuyau entre dans un autre, on dit : ce tuyau emprunte.
  • 6 Terme d'arithmétique. Se dit, dans l'opération de la soustraction, pour prendre une dizaine au chiffre placé à la gauche du chiffre supérieur trop faible pour que la soustraction se fasse.
  • 7S'emprunter, v. réfl. Être obtenu par emprunt. Il y a des choses qui ne peuvent s'emprunter.

REMARQUE

Quand le régime indirect d'emprunter est un nom de chose, il faut de : la lune emprunte sa lumière du soleil ; quand c'est un nom de personne, on met indifféremment à ou de : j'ai emprunté mille francs de mon ami ou à mon ami.

HISTORIQUE

XIIe s. Respondi li prophetes : Va, emprunte de tes veisins vaissels vuidz et mulz, Rois, p. 355.

XIIIe s. Dont emprunterent li message dui cens mars en la ville, et les baillerent au duc, Villehardouin, XX. Adonc avint que li rois de Cypre en ala à Acre et vot emprunter deniers à un bourjois, Chron. de Rains, p. 47. Et s'il n'a nul home [pour un jugement par pairs], il les doit emprunter à son segnor, et li sires y est tenus à prester, Beaumanoir, 46. Li pechierres empruntera et ne soldra mie, Psautier, f° 45. Par foi, Hiamont, trop par as mal erré, Quant sans ton pere t'es à Carlon mellé ; Car ci François ne sunt mie empruté ; Bien nous chalengent la lor grant herité, Agolant, p. 172. Ne semble pas chevalier empruté, ib. p. 163. Au partir que il firent d'Acre, le conte de Poitiers empronta joiaus à ceulz qui ralerent en France, Joinville, 257. Dame, bien soiez venue, Dit li moines, et bien trouvée. Cele ne fut pas empruntée, Ainz tert [essuye] ses ieux, si lui respond, Fabliaux, 2e éd. p. 245.

XIVe s. Furent maintes dames parées, Pas ne sembloient empruntées, Chastelain de Couci, V. 906. Le dit Jehan emprinta de la Maison-Dieu de Bourges huit liz granz, Bibl. des Chartes, 4e série, t. II, p. 68.

XVe s. Quel couleur [du drap] vous semble plus belle ? … Tel que vous le pourrez avoir ; Qui emprunte n'y choysist mye, Patelin. Furent empruntez cinquante mille ducats d'un marchand de Milan, Commines, VII, 4.

XVIe s. Ce sont advantages empruntez, non pas nostres, Montaigne, I, 242.

ÉTYMOLOGIE

Berry, emprêter, empreuter ; wallon, epronter ; ital. improntare. Diez, trouvant le valaque imprumút, emprunt, imprumutá, emprunter, qui paraît venir du latin promutuum, un prêt, regarde le mot français comme ayant même origine. Mais im-promútuum, avec l'accent sur aurait donné sans doute comme dans le valaque impromut et non emprunt ; du moins c'est là une grave difficulté. Scheler essaye de la lever en recourant non au substantif, mais au verbe : verbe fictif impromutuare, d'où impromptuare, impromptare. Ce qui gêne un peu, ajoute-t-il, c'est la voyelle u pour le latin o. Cette difficulté de l'u pour l'o subsiste dans l'ancienne étymologie im-promptare, qui en a une autre, c'est que impromptare, qui vient par promptus, de promere, produire, fournir, devrait signifier prêter et non emprunter. Remarquons toutefois que, à côté d'emprunter, se trouve le Berry emprêter et l'ancien français emprest (voy. EMPRUNT, à l'historique) ; ceux-là viennent certainement de en, et præstare. On notera les formes citées à l'historique, empruter, emprinter, qui, réunies au Berry empreuter, semblent indiquer une incertitude entre ces formes. Il faut donc admettre que impræstare, qui, naturellement, signifierait prêter, a pris le sens d'emprunter. Impromptare, de son côté, a reçu dans l'italien inprontar la double acception, celle de prêter qui est directe, et celle d'emprunter qui est inverse. De cette discussion on peut conjecturer qu'une confusion s'est faite entre impromutuare et impromtare ; que l'u de promutuum s'est fait sentir dans emprunt ; que promptare se retrouve dans le wallon epronter et l'italien improntar, et præstare, dans l'ancien français emprest et le Berry emprêter.