« franchir », définition dans le dictionnaire Littré

franchir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

franchir

(fran-chir) v. a.
  • 1Traverser résolûment, franchement, des passages difficiles, de grands espaces. Franchir un détroit. Franchir les murs. Je voudrais déjà voir tes troupes couronnées D'un pas victorieux franchir les Pyrénées, Corneille, Hor. I, 1. Les coursiers écumants franchissent les guérets, Voltaire, Fontenoi. Je reviendrai, poursuit-elle, et ton âme Ira franchir tous ces mondes flottants, Tout cet azur, tous ces globes de flamme, Que Dieu sema sur la route du temps, Béranger, Treize à table.

    Franchir les limites, franchir les bornes, passer au delà des bornes.

    Fig. Franchir les bornes du devoir. Franchir les bornes de la pudeur, Patru, Plaidoyer 11, dans RICHELET. Quiconque a pu franchir les bornes légitimes, Peut violer enfin les droits les plus sacrés ; Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés, Racine, Phèdre, IV, 2.

  • 2 Particulièrement. Passer en sautant par-dessus quelque chose. Franchir une barrière, une haie.

    Terme de marine. Franchir une barre, un écueil, les passer sans échouer.

    Franchir la lame, s'élever sur la lame et la descendre facilement.

  • 3 Fig. Il se dit de ce que l'on compare à des passages difficiles, à des obstacles que l'on franchit. Franchir toutes sortes de difficultés, toutes sortes d'obstacles. Entre le trône et moi je vois un précipice ; Il faut que ma fortune y tombe ou le franchisse, Voltaire, Mérope, I, IV. Je la voyais franchir cet immense intervalle Qu'a mis entre elle et moi la majesté royale, Voltaire, Sémiram. II, 1. Le passage de la physique à la géométrie est franchi, et la question devient purement mathématique, Diderot, Lett. sur les aveugl. Non, sans ce triste obstacle impossible à franchir…, Briffaut, Ninus II, I, 6.

    Franchir le pas, passer par-dessus quelque chose de difficile, de scabreux. Mettez la foi à couvert par les œuvres ; votre esprit refuse de franchir ce pas, semblable à un cheval indompté ; poussez-le avec plus de force, Bossuet, 1er serm. Quinguag. 1. Telle a été leur attente [des protestants qui se sont faits catholiques], et dans cette confiance ils ont franchi le pas, Bourdaloue, Exhort. char. env. les nouv. cath. t. I, p. 123. Mon cœur prêt à franchir un pas si redoutable, Chénier M. J. Fénel. I, 2.

    On dit dans le même sens : franchir le saut, mais plus souvent, faire le saut.

    Franchir le mot, exprimer en propres termes une chose qu'on hésite à dire pour une raison quelconque. Il a franchi le mot, il lui a dit qu'il était un fripon. … Il faudrait bien franchir le mot, et reconnaître que cet être est bon…, Diderot, Essai sur la vertu.

    Il signifie aussi dire le mot essentiel. Il a franchi le mot et promis les vingt mille francs.

  • 4 V. n. Terme de marine. La pompe franchit, quand elle donne plus d'eau que le vaisseau n'en reçoit, c'est-à-dire que l'eau qui entre dans le bâtiment cesse de gagner.

    Le vent franchit, quand il commence à devenir favorable.

    L'eau franchit ou se franchit, elle diminue et s'épuise, ce qui s'entend de la pluie ou des vagues qui entrent dans le vaisseau, Guillet, Dict. (1678-1683), dans JAL.

  • 5Se franchir, v. réfl. Être franchi. Un pareil obstacle ne se franchit pas facilement.

HISTORIQUE

XIIe s. Deus suffri mort en croiz pur s'iglise franchir [affranchir], Th. le mart. 70.

XIIIe s. Car tant comme aucun est en servage, il est soz main ; et se il est franchiz, il est hors dou pooir son mestre, Liv. de just. 2. Se j'ai mes sers les quix [quels] je tienz du segneur, et je les franciz sans l'autorité de li, je les pert, Beaumanoir, XLV, 18.

XVe s. Michault Potier s'obliga en trente-huit solz tournois par an de rente à heritage, à condition d'icelle rente povoir franchir [racheter], touteffois qu'il plairoit au dit Potier, Du Cange, franchire. C'est lui [Jésus] qui nous ama tant Qu'il se fit sers pour nous franchir, Deschamps, Poésies mss. f° 548. Il se teut et fit silence, et le chevalier se print à imaginer comment il pourroit franchir [traverser, sauter] la fontaine, Perceforest, t. IV, f° 127.

XVIe s. Il n'y a que quinze jours que j'ay franchi trente-neuf ans, Montaigne, I, 73. Celui qui a franchi de cent pas les limites…, Montaigne, ib. II, 11. Les anciens franchissoient des nuits entieres à boire, Montaigne, II, 16. Le voleur l'employe [le nom de Dieu] à son ayde pour franchir le hazard et les difficultez qui s'opposent à l'execution de ses meschantes entreprises, Montaigne, I, 402.

ÉTYMOLOGIE

Franc 3 ; prov. franquir. Jusqu'au XVe siècle, franchir n'a que le sens d'affranchir, sens qui n'existe plus du tout dans la langue moderne. C'est un des cas assez rares où un mot ayant une signification abstraite, morale, en a pris une concrète, physique. Franchir une rente, s'est dit pour s'en délivrer en la rachetant ; de là franchir un fossé, s'en débarrasser en le sautant.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

FRANCHIR.
4 Terme de marine. Ajoutez :

On dit aussi, activement, franchir les pompes, au lieu de les affranchir. Dans l'après-midi, le temps s'améliore de plus en plus, on franchit les pompes, on sauve les débris du bout-dehors du grand foc, Rapport du capitaine Veillet, dans Journ. offic. 11 mai 1873, p. 3049, 1re col.

ÉTYMOLOGIE

Ajoutez : A l'appui du passage, dans franchir, du sens moral au sens physique, M. Ph. Roget, de Genève, dit que, en latin, liberare a subi la même extension, et que, venant de liber, il a pris le sens de franchir, traverser, dans Frontin, dans Pétrone et dans Hygin, Fabl. XXV, 7.