« jamais », définition dans le dictionnaire Littré

jamais

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

jamais

(ja-mê ; l's se lie : jamê-z on n'a vu…) adv. de temps
  • 1En un temps quelconque. Elle m'est plus chère que jamais. Porte en d'autres climats ton insolent courroux… Et tout ce qui jamais a fait Jason coupable, Corneille, Médée, II, 2. Y a-t-il homme de trente ans qui paraisse plus frais et plus vigoureux que vous me voyez ? n'ai-je pas tous les mouvements de mon corps aussi bons que jamais ? Molière, Mar. forcé, 2. Comme si j'étais femme à violer la foi que j'ai donnée à un mari et m'éloigner jamais de la vertu que mes parents m'ont enseignée ! Molière, G. Dand. II, 10. Son beau-frère qui est janséniste s'il y en eut jamais, Pascal, Prov. I. Vit-on jamais en deux hommes [Condé et Turenne] les mêmes vertus avec des caractères si différents, pour ne pas dire si contraires ? Bossuet, Louis de Bourbon. Parmi les difficultés que ses intérêts [du prince de Condé] apportaient au traité des Pyrénées, écoutez quels furent ses ordres, et voyez si jamais un particulier traita si noblement ses intérêts, Bossuet, Louis de Bourbon. Si jamais l'on peut dire que la voie du chrétien est étroite, c'est, messieurs, durant les persécutions, Bossuet, Reine d'Anglet. S'il y eut jamais une conjoncture où il fallut montrer de la prudence, ce fut lorsque…, Bossuet, Le Tellier. Si jamais il parut un homme extraordinaire…, c'est dans ces rapides moments d'où dépendent les victoires, Bossuet, Louis de Bourbon. T'ai-je jamais caché mon cœur et mes désirs ? Racine, Andr. I, 1. Toutes les sectes qui ont jamais paru sur la terre, Massillon, Carême, Pard. des off. Ah ! quel cœur sait jamais s'il est juste ou coupable ? Voltaire, Fanat. IV, 4.
  • 2Avec la négation, en nul temps. Jamais contre un tyran entreprise conçue Ne permit d'espérer une si belle issue, Corneille, Cinna, I, 3. De pareilles erreurs Ne produisent jamais que d'illustres malheurs, La Fontaine, Fabl. X, 10. Jamais juste n'attendit la grâce de Dieu avec une plus ferme confiance ; jamais pécheur ne demanda un pardon plus humble, ni ne s'en crut plus indigne, Bossuet, le Tellier. Jamais les vanités de la terre n'ont été si clairement découvertes ni si hautement confondues, Bossuet, Duch. d'Orl. Grande reine, je satisfais à vos plus tendres désirs quand je célèbre ce monarque [Charles 1er] ; et ce cœur qui n'a jamais vécu que pour lui, se réveille, tout poudre qu'il est…, Bossuet, Reine d'Anglet. Anne la magnanime, la pieuse, que nous ne nommerons jamais sans regret, Bossuet, ib. Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome, Racine, Mithr. III, 1. Jamais la société n'a été plus aimable et plus remplie de sentiments d'honneur, jamais les belles lettres n'ont plus influé sur les mœurs, Voltaire, Facéties, Au révérend père Jean de Beauvais, note b.

    Sans… jamais (sans est dans cet emploi une sorte de négation). Celui-là [Turenne] d'un air plus froid, sans jamais rien avoir de lent, Bossuet, Louis de Bourbon.

    Ne… comme jamais, pour ainsi dire en aucun temps. Les ministres n'osaient approcher de Monseigneur, qui aussi ne se commettait comme jamais à ne leur rien demander, Saint-Simon, 294, 7. On dit plus souvent : presque jamais.

  • 3Jamais, même sans négation, par ellipse d'une négation impliquée dans ce qui précède, en nul temps. C'est le cas ou jamais. Avez-vous été à Rome ? jamais. Vous avez toujours été orateur et jamais philosophe, Fénelon, Dial. des morts, 33. Croyez donc votre cœur et jamais votre esprit, Destouches, Phil. mar. II, 2. Le mot jamais, ou toujours, me paraît bien hasardé avec tout public français, Mirabeau, Lettre à M. de Comps, 1789 (citée dans les Mémoires de Mirabeau, par M. LUCAS MONTIGNY)

    Dans ces constructions, l'ellipse est facilement fournie par le sens du membre de phrase qui précède.

    Enfin l'ellipse s'étend jusqu'à des cas où rien dans ce qui précède ne fournit l'idée d'une négation, et où la pensée seule de celui qui parle imprime au mot jamais le sens négatif. Ces jeûnes sévères et presque jamais interrompus, Massillon, Panég. St Benoît. Les grands toujours loués et jamais instruits, Massillon, Panég. St Louis. Mme de St-Vallery était une femme grande à qui la douceur et une vertu jamais démentie tenaient lieu de tout le reste, Saint-Simon, 4, 63. Il avait fait à la France mille promesses, jamais suivies de résultat, Thiers, Histoire du Cons. IX.

    Comme jamais par lui-même n'est pas négatif, et exige la négation ne devant le verbe, cette tournure, certainement incorrecte, est condamnée par plusieurs grammairiens ; mais elle a pour elle l'usage ; et, si on en use, on ne méconnaîtra pas le défaut qui y est inhérent.

  • 4À jamais, dans tout le temps à venir. La mort les a réunis à jamais. Depuis trois mois je n'ai pas un moment à moi ; mon cœur sera à jamais à vous, Voltaire, Lett. d'Argental, juin 1753.

    À tout jamais, même sens. Puissent à tout jamais les plaines Élysées Verser en vos gosiers le nectar gracieux ! Garnier, Porcie, II.

  • 5Pour jamais, pour toujours. Je souhaite de vous dire adieu pour jamais, Sévigné, 376. La mort qui… égale pour jamais toutes les conditions différentes, Bossuet, Gornay. Pour jamais ! ah seigneur ! songez-vous en vous-même Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ? Racine, Bérén. IV, 5.

    Pour tout jamais, même sens. Adieu donc pour deux jours - Adieu pour tout jamais, Corneille, Sertor. III, 4.

  • 6Au grand jamais, avec une négation, en nul temps. Jamais, au grand jamais je ne ferai cela. Au grand jamais je n'y vais toute seule, Genlis, Théâtre d'éduc. la March. de modes, sc.2.
  • 7Jamais plus avec la négation, de la vie. Jamais plus je ne me rembarquerai. À condition que je n'entende jamais plus parler de lui.

    PROVERBE

    La semaine des trois jeudis, trois jours après jamais, se dit pour signifier que quelque chose ne se fera jamais. On dit aussi : Je ferai cela en mil huit cent jamais.

REMARQUE

1. Jamais peut occuper différentes places dans la phrase : Jamais je ne le verrai, je ne le verrai jamais ; jamais je ne l'ai vu, je ne l'ai jamais vu.

2. Jamais construit avec une préposition, avec un adjectif, joue le rôle d'un substantif ; ce qu'il doit à mais qui est l'équivalent de plus.

HISTORIQUE

XIe s. [Il] N'aurat talent [désir] que jamais vous guerreit, Ch. de Rol. XLII.

XIIe s. Il ne feront jamais guerre recommencier, Sax. IV. Que, se jamais contre lui [elle] [je] me defent, Couci, V. Li fel est tuz dis fel, ne jamais n'iert [sera] senez, Th. le mart. 31.

XIIIe s. Car tos jors li [au Seigneur] benoïrai [bénira] Li secle qui jamai durrai [durera], Psaumes en vers, dans Liber psalm. p. 274. Dieux morut une fois, mès jà mès ne morra, Or face desormès chascuns ce qu'il vorra [voudra], J. de Meung, Test. 159.

XVe s. La derniere parole qu'il prononça jamais en devisant en santé…, Commines, VIII, 18.

XVIe s. Ains que [avant que] l'artillerie tirast jamais dix coups…, Marot, J. V, 120. Car j'ai le cœur aussi bon que jamais, Marot, J. V, 233. Mon cœur avez, et le vostre retien à tout jamais, Marot, J. V, 248. Puis temps perdu n'est recouvré jamais, Marot, J. V, 258. Plus que jamais, non obstant ton refus, Je t'aimerai, Marot, J. V, 270. Persuadant aux jeunes gens d'abandonner leur païs. lorsque l'ennemy, qui toujours avoit esté victorieux, et non jamais vaincu, estoit à leurs portes, Amyot, Fab. 51. Ces jeux se celebreront annuellement au jour de son trespas, à toujours et à jamais, Amyot, Timol. 53. Marius à son de trompe offrit publiquement la liberté aux serfs et esclaves qui voudroient prendre les armes pour luy, mais il n'y en eut jamais que trois qui se presentassent, Amyot, Marius, 73. À tout jamais, Montaigne, I, 13. On reçoit ces advis comme adressez au peuple, non jamais à soy, Montaigne, I, 116. Elle y perd son aiguillon et sa force pour jamais, Montaigne, II, 45. St Nicolas, à ceste fois, et jamais plus, Rabelais, Pant. IV, 19. Et sur ce mot, je vous dis adieu, et c'est pour jamais ! Marguerite de Navarre, Nouv. X. Qu'il lui feroit une telle peur que jamais il luy en souviendroit, Marguerite de Navarre, ib. LIII. Et n'y fut jamais tué que deux pionniers, Carloix, VII, 12. Jamais, au grand jamais, on ne verra changer…, Desportes, Diane, II, 65.

ÉTYMOLOGIE

, et mais dans le sens de plus ; comme qui dirait : jà plus. Bourg. jaimoi ; nivern. jaimas ; provenç. jamais ; cat. jamay ; espagn. jamas ; portug. jámais ; ital. giammai.