« ruer », définition dans le dictionnaire Littré

ruer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

ruer

(ru-é), je ruais, nous ruions, vous ruiez ; que je rue, que nous ruions, que vous ruiez v. a.
  • 1Jeter avec impétuosité (sens qui a vieilli). Elle sauva le ciel et rua le tonnerre Dont Briare mourut, Malherbe, II, 12. Ah ! je devais du moins lui jeter son chapeau, Lui ruer quelque pierre, ou crotter son manteau, Molière, Sgan. 16.
  • 2Ruer de grands coups, frapper de grands coups (locution qui a vieilli).
  • 3 V. n. Lancer une pierre. Il gage qu'il ruera plus loin que vous (emploi vieilli).

    Ruer à tort et à travers, frapper de tous côtés dans une foule.

  • 4Se dit d'un cheval, d'un mulet, etc. qui lance avec force les pieds de derrière en l'air. Il suffit de relever fortement la tête de l'animal pour l'empêcher de ruer. L'archevêque a de grandes pensées ; mais plus il est vif, plus il faut s'approcher de lui comme des chevaux qui ruent, Sévigné, 19 janv. 1689. M. Durnol s'emporta, il donna un grand coup de pied à l'enfant, qui lui dit en pleurant : ah ! je conviens que l'âne de Balaam parlait, mais il ne ruait pas, Voltaire, Mél. litt. Lettre de Cubstorf.

    Par extension. Les Hollandais racontent que le casoar se sert de ses pieds pour sa défense, ruant et frappant par derrière comme un cheval selon les uns, et selon les autres…, Buffon, Ois. t. II, p. 316.

    Ruer à la botte, se dit de la défense du cheval qui cherche, avec l'un de ses pieds postérieurs, à frapper la jambe du cavalier au moment où il la ferme, ou lorsqu'il monte à cheval.

    Ruer en vache, se dit d'un cheval qui porte le pied de derrière jusqu'à la jambe de devant, et en frappe, comme font les vaches, la personne occupée à cette jambe de devant.

    Fig. Voilà une chose qui ne mord ni ne rue, se dit d'une chose qui ne peut faire ni bien ni mal.

  • 5Se ruer, v. réfl. Se jeter impétueusement sur quelqu'un ou sur quelque chose. Cependant on fricasse, on se rue en cuisine, La Fontaine, Fabl. IV, 4. Le loup, prêt à se ruer sur la bergerie, voit les bergers armés et les chiens en garde ; tout affamé qu'il est, il se retire pour cette fois, Bossuet, 1er sermon, Pentecôte, 2. Et, chacun vainement se ruant entre deux, Boileau, Sat. III. Roguet avec sa colonne se rua brusquement sur le centre et au milieu de leur camp, où il entra pêle-mêle avec eux, Ségur, Hist. de Nap. X, 5. Gomorrhe, Sodome… L'ardente nuée Sur vous s'est ruée, ô peuples pervers, Hugo, Orientales, 1.
  • 6 Fig. Être porté, frappé, en parlant de coups. Tous les matins, il [Monseigneur] allait prendre du chocolat chez Mlle de Lislebonne ; là se ruaient les bons coups, Saint-Simon, 96, 15. Apparemment que les grands coups s'y ruaient [chez Mme de Maintenon] pour le successeur [de Chamillart], Saint-Simon, 235, 136.

REMARQUE

M. Auguste Barbier a fait ruer monosyllabe : Que faisaient-ils, tandis qu'à travers la mitraille Et sous le sabre détesté La grande populace et la sainte canaille Se ruaient à l'immortalité ? Ïambes, la Curée.

HISTORIQUE

XIIe s. Pois [puis] ruerent Absalon en une grant fosse de cele lande, et jeterent pierres sur lui, Rois, p. 187.

XIIIe s. Et li prevoz de Paris fait jurer iceus quatre homes seur sains, que… se il i trevent poisson porri ou mauvès, que il le feront ruer en Saine, Liv. des mét. 267. Tant en i vient parmi la rue, Qui n'i puet avenir s'i rue, Ren. 11622. Et li vilains qui vint après, Leva la hache quant vint près ; Son coup rua de grant aïr [colère], ib. 2073.

XIVe s. Et si ne dois nul temps ruer De ta bouche male parole, J. Bruyant, dans Ménagier, t. II, p. 16.

XVe s. Si y avoit souvent des rencontres, des escarmouches et des rués par terre des uns et des autres…, Froissart, I, I, 114. Encores, quant à mariage, Tendroie cellui à plus saige Qui la laide femme prendroit, Que cil qui la belle tendroit ; Car à la belle chascuns rue, Deschamps, Poés. mss. f° 501. Mais grans chevaulx s'arreste et va le pas, Quant il est fait, sanz ruer en tout cas, Deschamps, Ball. des chevaux. Qui ne luy pouvoit donner luy ruoit [parlant de quelqu'un à qui tout le monde fait amitié], Aresta amorum, p. 335, dans LACURNE.

XVIe s. Il ferroyt les cigalles, se ruoyt très bien en cuysine, Rabelais, Garg. I, 11. Je mors, je rue, je frappe, Rabelais, ib. I, 33. Ilz se ruerent sur eulx, et tascherent à leur oster leur argent, Amyot, Rom. 36. Les lions, sans aucunes armes, ne faignent point de s'aller ruer au milieu d'un troupeau de bestes timides, Amyot, Caton, 27. Les chevaux irritez et courroucez ruoient des pieds de derriere, Amyot, Eum. 22. Pour nous garantir du coup qu'on nous rue, Montaigne, I, 48. Quand je seray venu à ceste proposition et qu'il faudra ruer les grands coups de part et d'autre, H. Estienne, Précell. édit. FEUGÈRE, p. 38. Encores n'a pas failli qui a à ruer, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Berry, roucher ; du lat. ruere, pousser, lancer, pour srovo, du rad. sanscr. sru, couler : c'est faire couler, faire aller, Curtius, n° 517.