« autrui », définition dans le dictionnaire Littré

autrui

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

autrui

(ô-trui) s. m.
  • 1Les autres, le prochain. Remarquant les défauts d'autrui. Exiger la probité chez autrui. La rigueur envers autrui. Souffrir des maux d'autrui. Il est beaucoup de geais à deux pieds comme lui, Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui, La Fontaine, Fab. IV, 9. De quel front donnerais-je un exemple aujourd'hui Que mes lois dès demain puniraient en autrui ? Corneille, Perthar. II, 3. N'ayez aucune peur, je ne veux rien d'autrui, Corneille, Pomp. II, 3. Dans le bonheur d'autrui je cherche mon bonheur, Corneille, Cid, I, 6. Un noble cœur ne peut soupçonner en autrui La bassesse et la malice Qui ne sont point en lui, Racine, Esth. III, 9. Mon fils, dit-il, si je fus votre appui Dans l'âge tendre où l'homme sans autrui à se conduire est encore inhabile, Malf. Narcisse, ch. II. Heureux ou malheureux, l'homme a besoin d'autrui ; Il ne vit qu'à moitié s'il ne vit que pour lui, Delille, l'H. des champs, II. Pour consumer autrui, le monstre se consume, Boileau, Lutrin, v.

    Prendre son cœur par autrui, se mettre à la place des autres. Locution qui vieillit.

  • 2 En termes d'ancienne chancellerie, l'autrui, le droit d'autrui, le bien d'autrui. Sauf en autres choses notre droit et l'autrui en toutes : locution qui était encore d'usage commun au commencement du XVIIe siècle. Le monstre infâme d'envie à qui rien de l'autruy ne plaist, Malherbe, IV, 5. Qui sans prendre l'autrui, vivent en bons chrestiens, Régnier, Sat. XI.

PROVERBES

Mal d'autrui n'est que songe, c'est-à-dire le mal des autres ne nous touche guère.

Qui s'attend à l'écuelle d'autrui a souvent mal dîné, c'est-à-dire il ne faut pas compter sur les autres.

REMARQUE

1. Le substantif autrui est toujours complément d'un verbe ou d'une préposition, et n'est jamais sujet d'une phrase.

2. Autrui étant un substantif, on peut le suppléer, dans le second membre d'une phrase, par les adjectifs possessifs son, sa, ses, et dire par exemple : en épousant les intérêts d'autrui, nous ne devons pas épouser ses passions. En effet ce mot est dans la catégorie du mot chacun : et l'on dit : chacun a ses défauts. Bossuet l'a construit avec le pronom il : Quand nous croyons facilement sur le rapport d'autrui, sans songer qu'il peut nous tromper ou se tromper lui-même… Connaiss. I, 16.

SYNONYME

AUTRUI, LES AUTRES. Quand on dit : exiger la probité chez autrui ou chez les autres, et s'en affranchir soi-même, l'emploi n'offre pas de nuance bien appréciable. Mais il n'en est plus de même quand on dit : ravir le bien d'autrui ; le bien des autres ne serait pas ici de bon usage. En effet les autres est plus général que autrui ; les autres, c'est tout le monde excepté nous ; autrui, c'est spécialement cet autre-ci, comme le montre l'étymologie. Voilà pourquoi autrui s'oppose plus précisément à la personne qui parle ou dont on parle, que les autres.

HISTORIQUE

XIe s. Si home fait plaie à altre e il doive otrei faire les amendes…, L. de Guill. 11. [Il] Ne fait damage ne de mei ne d'altrui, Ch. de Rol. CXLIV. Qui traïst home, sei occit et altroi, ib. CCXC.

XIIe s. Jamais crerez [croirez] moi ne autrui, Ronc. p. 11. Se par autrui ne sui avant ocis, ib. p. 87. Que jà à moi [vous] ne faites beau semblant ; Ains le faites autrui pour moi grever, Couci, X. Jà par autrui [je] n'i aurai delivrance, ib. X. Autrui [vous] amastes, si [vous] oubliastes nous, Romancero, p. 50.

XIIIe s. N'encor n'avoit fet roi ne prince Meffais qui l'autrui tolt et pince, la Rose, 8484. Il ne loist [n'est pas permis] pas à apeler por autrui que por soi, ou que por son lignage, ou por son seigneur lige, Beaumanoir, LXIII, 1.

XVe s. Lors le dit roy de France recevra le dit roy d'Angleterre au dit hommage, sauf son droit et l'autruy, Froissart, I, I, 53. On fit un ban [de par Philippe d'Artevelle], que nul ne pillast ne efforçast maison, ne prensist rien de l'autrui s'il ne le payoit, Froissart, II, II, 158. Retenir l'autruy ou luy oster le sien par toutes voyes qui nous sont possibles, Commines, V, 18. Jà Dieu ne me lairra tant vivre, qu'autrui que vous ait part ne demie en ce qui est entierement à vous, Louis XI, Nouv. XXXIII.

XVIe s. Convaincus par leur conscience retenir de l'aultruy, Montaigne, I, 30. Aller sur les traces d'aultruy, Montaigne, I, 34. La violence et la convoitise d'usurper à force l'autruy estoient lors louées entre les barbares, Amyot, Numa, 6. Numa osta aux siens l'envie de guerroyer, à fin qu'ilz ne feissent tort à autruy, Amyot, Lyc. et Num. 3.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. altrui, autrui ; ital. altrui ; de alter-huic, cet autre, à un cas régime : voilà pourquoi autrui est toujours au régime, et pourquoi autrui est moins général que les autres. Dans la locution de chancellerie l'autrui, il ne faut pas prendre le pour l'article d'autrui ; il y a sous-entendu bien, droit ; le bien, le droit autrui, ce qui, par la vertu du régime dans l'ancienne langue, équivaut à ce que nous dirions : le droit d'autrui.