« gouffre », définition dans le dictionnaire Littré

gouffre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

gouffre

(gou-fr') s. m.
  • 1Cavité profonde, vide ou remplie d'eau, de feu, de flammes, etc. Dans un gouffre allumé, Suzon, oui, je m'y jetterais plutôt que de lui nuire, Beaumarchais, Mar. de Fig. II, 14. Tu péris, et si jeune ! ah ! nos sables peut-être, Ou les gouffres des mers t'auront vu disparaître, Ducis, Abufar, I, 6. Un gouffre de feu fait [dans une décoration] avec du satin jaune et du papier doré ; ce qui lui donnait beaucoup plus l'apparence d'un surtout de table que d'un abîme, Staël, Corinne, VII, 2. L'enfer mugit d'un effroyable rire, Quand, dégoûté de l'orgueil des méchants, L'ange, qui pleure en accordant sa lyre, Fait éclater ses remords et ses chants ; Dieu d'un regard l'arrache au gouffre immonde, Béranger, Ange exilé.

    Fig. Ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini, Pascal, dans COUSIN.

  • 2En particulier, tournoiement d'eau. Le plus grand gouffre que l'on connaisse est celui de la mer de Norvége, on assure qu'il a plus de vingt lieues de circuit ; il absorbe pendant six heures tout ce qui est dans son voisinage, l'eau, les baleines, les vaisseaux, et rend ensuite pendant autant de temps tout ce qu'il a absorbé, Buffon, Théorie de la terre, Preuves, art. X. L'Euripe, si fameux par la mort d'Aristote, absorbe et rejette alternativement les eaux sept fois en vingt-quatre heures, Buffon, ib. Les gouffres de la mer sont produits par le mouvement de deux ou de plusieurs courants contraires, Buffon, ib.
  • 3 Fig. Ce qui, comparé à un gouffre, engloutit comme lui. Ils [les hommes] vont tous se confondre dans ce gouffre infini du néant, où l'on ne trouve plus ni rois, ni princes, ni capitaines, ni tous ces autres augustes noms qui nous séparent les uns des autres, mais la corruption et les vers, la cendre et la pourriture qui nous égalent, Bossuet, Gornay. Telle est votre convoitise ; c'est un gouffre toujours ouvert, qui ne dit jamais : c'est assez, Bossuet, 1er serm. pour le 4e dim. de car. 2. [Agamemnon] Qui, perçant du tombeau les gouffres éternels, Revenait en ces lieux commander aux mortels, Voltaire, Oreste, V, 7. Dût ce sacré tombeau profané par mes pas, Ouvrir, pour me punir, les gouffres du trépas, Voltaire, Sémiram. V, 5.
  • 4 Fig. Il se dit de malheurs, de misères, de dangers dans lesquels on tombe comme dans un gouffre. C'est un gouffre où la pudeur ne peut éviter un triste naufrage, Patru, Plaidoyer 11, dans RICHELET. En quel gouffre d'horreur m'as-tu précipité ? Corneille, Rodog. V, 4. Dans ce gouffre de maux c'est lui qui m'a plongée, Corneille, Théod. V, 6. Trahi de toutes parts, accablé d'injustices, Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices, Et chercher sur la terre un endroit écarté Où d'être homme d'honneur on ait la liberté, Molière, Mis. V, 8. Dans un gouffre profond Sion est descendue, Racine, Athal. III, 8. Quels sont les crimes affreux qui ont creusé à cet infortuné ce gouffre de tourments où il est enseveli ? Massillon, Carême, Mauv. riche. Le genre humain s'est trouvé souvent dans la religion comme dans le gouvernement entre la tyrannie et l'anarchie, prêt à tomber dans l'un de ces deux gouffres, Voltaire, Mœurs, 130.
  • 5 Fig. Il se dit de toutes les choses où l'on fait des frais, des sacrifices, des pertes immenses. Ce procès est un gouffre. Les maisons de jeu sont des gouffres pour les jeunes gens. Les villes sont le gouffre de l'espèce humaine, Rousseau, Ém. I.

    C'est un gouffre d'argent, se dit d'une affaire où il faut toujours employer une grande quantité d'argent.

    C'est un gouffre que cet homme-là, c'est un grand dissipateur.

HISTORIQUE

XIIIe s. Et chevauchierent à une cité que l'en apele Nicomie, et siet seur un goufre [golfe] de mer, Villehardouin, CXXVIII. Il est cheüs aval au gouffre Où il toutes les dolors souffre, Unicorne et serpent.

XVe s. Ô faulse convoitise, gouffre d'enfer insatiable, comment as tu puissance de tellement aveugler le cœur de l'homme ? Boucic. III, 19. Fuy le gouffre de villaine lubricité, J. Lemaire, dans PALSGRAVE, p. 63.

XVIe s. Je traversay le gouffre [golfe] de la mer Adriatique depuis Brindes jusques à Corfou en un seul jour, Amyot, P. Aem. 58. Il s'esmerveilla fort quand il veit en la province d'Ecbatane le gouffre dont il sort continuellement de gros bouillons de feu comme d'une fonteine, Amyot, Alex. 65. Voilà les trois goulphes et precipices d'où peu de gens se sauvent, Charron, Sagesse, I, 20.

ÉTYMOLOGIE

Le même que golfe, comme le montre l'historique. Le Berry dit gorge, s. m. qui vient du latin gurges, gouffre.