« régaler », définition dans le dictionnaire Littré

régaler

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

régaler [1]

(ré-ga-lé) v. a.
  • 1Donner un divertissement. Cet époux prétendu doit aujourd'hui régaler sa maîtresse d'une promenade sur mer, Molière, Festin, I, 2. Je la régalai d'une sérénade, Lesage, Gil Blas, IX, 6. [Fouquet coupable] d'avoir fait du bien aux seigneurs indigents de la cour, d'avoir même régalé son maître en sa terre de Vaux avec trop de splendeur, Duclos, Œuv. t. X, p. 266.

    Se disait autrefois des présents qu'on faisait en certaines occasions. Le prince d'Orange n'eut pas plus tôt envie de me régaler, qu'il en eut la petite vérole, dont il est mort, Scarron, Lett. Œuv. t. I, p. 176, dans POUGENS. Notre héroïne lui demanda s'il trouverait bon qu'elle le régalât de quelques présents, La Fontaine, Psyché, t. I, p. 62. D'un chat digne de moi sa bonté me régale, Deshoulières, Poés. t. II, p. 171.

    Fig. Indemniser. Mais pour vous régaler Du souci qui pour elle ici vous inquiète, Elle vous fait présent de cette cassolette, Molière, l'Ét. III, 13.

  • 2Il se dit des choses qu'on fait pour réjouir ses amis, pour leur être agréable. Il les régala d'un conte charmant. Il nous régala d'un concert.

    Ironiquement et par antiphrase. Nous allons régaler, mon père, votre abord D'un incident tout frais qui vous surprendra fort, Molière, Tart. III, 5.

  • 3 Fig. Donner un plaisir comparé à un divertissement. Je vous recommande surtout de régaler d'un bon visage cette personne-là, Molière, l'Avare, III, 4. Il y a plaisir à travailler pour des personnes… qui sachent faire un doux accueil aux beautés d'un ouvrage, et, par de chatouillantes approbations, vous régaler de votre travail, Molière, Bourg. gent. I, 1. Nous avons été régalés de bien des gens de Vitré… et je n'ai senti de joie que lorsque tout s'en est allé à six heures, Sévigné, 31 mai 1680. Aujourd'hui c'est ma démission dont je régale Son Excellence, Courier, Lett. I, 289.
  • 4Donner un régal, un festin. Avint qu'un soir Camille régala De jeunes gens…, La Fontaine, Court. Ceux qui voulaient les régaler à leur tour, Hamilton, Gramm. 6. Dans la joie où il était de toucher au terme de ses fatigues, il régalait la maison de notre hôte, Chateaubriand, Itin. part. I. Je veux demain, bravant la médisance, Au Cadran bleu te régaler sans bruit, Béranger, Célib.

    Fig. Voilà du fruit nouveau dont son fils le régale, Regnard, Joueur, I, 7.

    Dicton que les perdants disent à celui qui a gagné la partie très vite : Quand vous régalez, on n'est pas longtemps à table.

    Absolument. Demandez à Lisette de quelle manière je régale pour mon compte, et jugez par là de ce que je sais faire, lorsque je régale aux dépens des autres, Lesage, Turcaret, III, 1.

    Absolument, il se dit aussi pour : payer de quoi régaler. C'est son tour de régaler. C'est moi qui régale.

  • 5 Fig. Il se dit quelquefois pour toute espèce de plaisir qu'on procure. Quatre fois l'an, de grâce spéciale, Notre docteur régalait sa moitié, La Fontaine, Calendr.
  • 6 Ironiquement. Maltraiter. On le régala de vingt coups de bâton.
  • 7Se régaler, v. réfl. Manger des choses qui plaisent, faire un bon repas. Ma femme, avec un peu de lard, fait une soupe aux choux dont le roi mangerait ; et, le dimanche, nous nous régalons, et nous buvons un petit coup de vin, Marmontel, Contes mor. Misanthr. corr. Sous la plus sérieuse des croyances [la religion catholique], on se régale à l'occasion des mariages, des baptêmes et même des sépultures, Brillatsavarin, Phys. du goût, médit. XI.

    Fig. et familièrement. Et je veux que demain tout Bordeaux se régale Des charmantes douceurs de crier au scandale, Delavigne, les Comédiens, IV, 6.

    Se donner des repas les uns aux autres. Ces jeunes gens ont formé une société, ils se régalent tour à tour.

HISTORIQUE

XIVe s. Ne nulle part n'y a que regaler, Tant sont plaisans [ces lieux], Christine de Pisan, Dit de Poissy.

XVe s. Et desir, espoir, use et gaste Au long aller, Sans y laisser que regaler, Chartier, le Livre des quatre dames. Je suis de cette opinion, Que à Orleans devez aller Avecques la fille de nom [Jeanne d'Arc] ; Cela je vueil bien conseiller, Et que vous devez regaller Vos villes d'environ Orleans, Et faire Anglois tant reculler Qu'i n'y reviengnent de mil ans, Mistere d'Orleans, p. 580.

ÉTYMOLOGIE

Espagn. et port. regalar ; ital. regalare. Origine incertaine. On l'a fait venir du lat. regalis, royal ; mais la forme ne convient pas ; regalis, dans le langage populaire, n'aurait pas donné régaler. On peut conjecturer re, et l'ancien verbe galer (voy. GALA et GALANT), qui signifie s'amuser, se réjouir, étaler de la magnificence : Ilz estoient du prince très bien galez, Bonivard, Chron. de Genève, II, 24. Cette dérivation paraît la plus probable ; mais Diez a une tout autre opinion : d'abord il maintient que le mot vient de l'espagnol dans l'italien et le français où il n'est pas ancien ; ceci ne peut pas être admis complétement pour le français ; car l'historique montre regaler dès le XIVe siècle. Ensuite il veut établir que le latin regelare et l'espagnol regalar se, qui tous deux veulent dire dégeler, se fondre, sont le même mot. La difficulté est dans la transformation de ge en ga ; il l'écarte en montrant dans l'ancien espagnol plomo regalado, et dans d'anciennes gloses plumbum regelatum. Enfin il établit que, du sens propre de fondre, regalar a passé à celui de caresser, faire des présents, régaler. Ce qui manque à cette ingénieuse conjecture, c'est la preuve que regalar fondre, et regalar, régaler, ne sont pas deux mots différents, ou, autrement, que la signification de fondre a pu, métaphoriquement, devenir celle de caresser. Cependant il faut ajouter un autre argument de Diez : dans le Chant d'Eulalie, qui est du Xe siècle, on lit : Por manatce regiel ne preiement ; Diez donne à regiel le sens de caresse, et en fait le substantif d'un ancien verbe regeler, qui, représentant le latin regelare, aurait eu dès cette haute époque le sens de régaler. De sorte que le sens métaphorique de regelare se trouverait dans le français au Xe siècle, se serait perdu dans cette langue, et aurait été repris dans le XIVe à l'espagnol sous la forme régaler. Ces hypothèses, sans être impossibles, sont compliquées. D'ailleurs, le sens de regiel n'est pas bien assuré, car c'est jusqu'à présent un mot unique.