« essayer », définition dans le dictionnaire Littré

essayer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

essayer

(è-sè-ié), j'essaye, tu essayes, il essaye ou il essaie, nous essayons, vous essayez, ils essayent ou essaient ; j'essayais, nous essayions, vous essayiez ; j'essayai ; j'essayerai, ou essaierai, ou essaîrai ; j'essayerais, ou essaierais, ou essaîrais ; essaye, essayons ; que j'essaye, que nous essayions, que vous essayiez ; que j'essayasse ; essayant ; essayé v. a.
  • 1Reconnaître par certains moyens si l'objet convient, est capable de son office, etc. Essayer un cheval. Essayer une arme à feu. Qu'ils viennent essayer leur main mal assurée, Racine, Brit. IV, 3. C'est à présent le moment d'essayer tes forces ; il n'est plus temps quand il les faut employer, Rousseau, Em. v. Dès que le faible oiseau peut essayer ses ailes, Chénier M. J. Fénelon, I, 3. Qui laisse les chevreaux, autour de lui paissant, Essayer leur dent folle à l'arbuste naissant, Hugo, Voix intér. 13.

    Essayer de l'or, de l'argent, examiner à quel titre ils sont.

  • 2Essayer un vêtement, le mettre afin de voir s'il va bien, soit qu'on le mette soi-même, soit qu'un autre nous le mette : j'essaye mon habit ; mon tailleur me l'essaye. Essayer un siége, s'y placer pour voir si on y est bien, etc. Vous voulez essayer ce bandeau sur mon front, Racine, Athal. IV, 1.

    Par extension. Il suffit de lui faire voir en éloignement le trône où il doit être assis, et de lui essayer, pour ainsi dire, la couronne, afin qu'il sache la porter quand la providence de Dieu la fera tomber sur sa tête, Fléchier, Montausier. Que tu vois mal encor ce que c'est que l'empire ! Si deux jours seulement tu pouvais l'essayer, Tu ne croirais jamais le pouvoir trop payer, Corneille, Othon, IV, 3. Quand on s'assied sur un trône, on a bien l'air de l'essayer, Marmontel, Bélis. ch. 15.

    Fig. D'un masque revêtu, J'ai d'abord quelque temps essayé la vertu ; J'ai senti que mon cœur n'était pas né pour elle, Legouvé, Épichar. et Nér. III, 2.

  • 3Déguster. Essayer du vin. S'il a quelque douceur, n'osez-vous l'essayer [l'amour] ? Racine, Phèdre, I, 1.
  • 4 Fig. Reconnaître, comme par des essais, l'action de. Essayez sur Cinna ce que peut la clémence, Corneille, Cinna, IV, 3. Il me faut essayer la force de mes pleurs, Corneille, Poly. III, 2. Je vais près de Phocas essayer la prière, Corneille, Héracl. I, 4. Tandis qu'il n'est point de Romaine Qui, dès qu'à ses regards elle ose se fier, Sur le cœur de César ne les vienne essayer, Racine, Brit. II, 2. Elle brûlait d'impatience d'essayer ses regards sur ces riches mortels, et de remplir ses coffres de leurs dépouilles, Lesage, Guzm. d'Alf. VI, 9.
  • 5Soumettre à l'essai, à l'appréciation. Essayer le goût du public en lui donnant des ouvrages nouveaux, Dict. de l'Acad. J'ai essayé dans nos assemblées publiques une bonne partie des articles qui entrent dans ce volume ; il ne m'est jamais arrivé de contenter tout le monde, D'Olivet, Hist. de l'Acad. t. II, p. 387, dans POUGENS.

    Reconnaître si quelque chose est réel. Essayez dès ce jour l'effet de mes promesses, Racine, Athal. II, 7.

  • 6Tenter. Et quelque cruauté qu'elle veuille essayer, S'il ne faut que du sang, j'ai trop de quoi payer, Corneille, Théod. v, 5. Essayons l'artifice où la rigueur est vaine, Rotrou, Vencesl. I, 1. J'en essayerai tant de toutes les manières, que quelque chose enfin nous pourra réussir, Molière, Sicil. 6. J'essaîrai tour à tour la force et la douceur, Racine, Brit. III, 5. Faisons mieux, ne proscrivons rien, laissons la scène ouverte à tous les sujets et à tous les talents ; essayons tout et conservons ce qui le mérite, D'Alembert, Éloges, la Chaussée.
  • 7 V. n. Essayer d'une chose, l'éprouver pour savoir si elle est propre à ce qu'on attend. Essayez de tous les plaisirs ; ils ne guériront pas ce fonds d'ennui, Massillon, Avent, Bonheur. Essayez-en, rompez avec le monde, Massillon, Carême, Samar. Vous avez longtemps essayé du monde, Massillon, Car. Salut. Vos passions ayant essayé de tout, et tout usé, Massillon, Pet. car. Malh. C'est ainsi qu'un pigeon mourrait de faim près d'un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits ou de grain, quoique l'un et l'autre pût très bien se nourrir de l'aliment qu'il dédaigne, s'il s'était avisé d'en essayer, Rousseau, Inégalité, 1re partie. L'âme de la jeunesse essaie de tous les sentiments, Chateaubriand, Natch. II, 154.

    Essayer de, avec l'infinitif, tâcher, faire ses efforts. Lucile n'essaya pas de le distraire, et lord Nelvil était blessé de ce qu'elle ne l'essayait pas, Staël, Corinne, XX, 2.

    Essayer à, avec l'infinitif, même sens. Essayez sur ce point à la faire parler, Corneille, Hor. I, 1. Est-ce donc que par là vous voulez essayer à réparer l'accueil dont je vous ai fait plainte ? Molière, Amph. II, 2. Essayez un peu par plaisir à m'envoyer des ambassades, à m'écrire secrètement de petits billets doux, à épier les moments que mon mari n'y sera pas, Molière, G. Dandin, I, 6. C'est le plus grand sujet de félicité de la condition des rois, de ce qu'on essaye sans cesse à les divertir par toutes sortes de plaisirs, Pascal, Pensées, t. I, p. 265, éd. LAHURE.

  • 8S'essayer, v. réfl. S'éprouver, voir si l'on est capable d'une chose. Il s'est essayé à nager. S'essayer à la course. Tremble, son bras s'essaye à frapper ses victimes, Voltaire, Fanat. v, 4. On s'essayera à chaque fois qu'une occasion fera sentir le besoin de s'essayer, et, parce qu'alors on aura quelque intérêt à savoir faire, on fera mieux ; voilà un conseil qui ne sera pas désagréable aux paresseux et qui sera utile à tous, Condillac, Lang. calc. II, 11. Il s'essaie à braver un sceptre qui lui pèse, Delavigne, Vêpres sicil. II, 2.

    Faire la première épreuve de ses forces. Il s'essaie en attendant mieux. Perdez un ennemi d'autant plus dangereux Qu'il s'essaîra sur vous à combattre contre eux, Racine, Andr. I, 2. J'aimerais mieux que mes chères filles n'entendissent pas de sermon un jour de Pâques que d'être réduites à tous les jeunes cordeliers qui viendront s'essayer chez vous, Maintenon, Lettre à Mme de Fontaines, 12 mars 1694. Lorsque votre beauté, dans son choix indécis, S'essaya sur le père avant de plaire au fils, Lemercier, Fréd. et Bruneh. III, 5.

    S'éprouver l'un l'autre. Ils n'ont pas lutté sérieusement, ils n'ont fait que s'essayer.

REMARQUE

Avec un verbe qui suit à l'infinitif, on dit essayer à et essayer de, mais s'essayer à seulement. Il n'en était pas de même au XVIe siècle.

HISTORIQUE

XIe s. Li archeveque, prudom et essaiet, Ch. de Rol. CLII.

XIIe s. [La prison] Qu'ele me fait assaier et sentir, Couci, XII.

XIIIe s. Je di que c'est grant folie D'assaier ne d'esprouver Ne se [sa] fame ne s'amie, Auboins de Sezanne, Romancero, p. 126. Bien auras, ains que tu t'en partes, Les dolors d'amors essaiées, la Rose, 2293. Ma parolle, Diex, est veraie, Com est li argent c'on essaie, Psaumes en vers, dans Liber psalm. p. 269.

XIVe s. Se les turquoises [tenailles] ne soufissent [à extraire un dard fiché dans le corps], essoie le atraire…, H. de Mondeville, f° 37. Que aucun barbier ne doit faire office de barbier en la dicte ville et banlieue de Paris, se il n'est essaiez par le dit mestre et les quatre jurez, Ordonn. des rois, t. v, p. 441. Le Temple et l'Ospital li respondirent que il estoit bon que l'en essaiast à prenre la cité, Joinville, 275. Il disoient ou [au] païs que le soudanc de Babiloine [le Caire] avoit mainte foiz essaié dont [d'où] le flum venoit, Joinville, 220.

XVe s. La gentil dame fut adonc durement esbahie, et dit : " Ha ! très cher sire, ne me veuillez moquer, essayer, ni tenter [le roi venait de lui dire qu'il l'aimait], Froissart, I, I, 166.

XVIe s. Et pleust à Dieu que l'empereur s'essayast de passer le Rosne quand je suis icy ! Marguerite de Navarre, Lett. 127. Nous vous avons envoyé ce porteur, non pour essayer à consoler mon nepveu et vous, Marguerite de Navarre, ib. 162. Ayant essayé combien sa presence donnoit d'advantage à ses affaires, Montaigne, I, 15. Perdre son temps à essayer de prendre une ville, Montaigne, I, 27. S'estant essayé de leur persuader de…, Montaigne, I, 117. Quand ces receptes ne peuvent servir, ils en essayent de contraires, Montaigne, I, 129. Je n'ai essayé [trouvé] gueres de fermeté en mon ame pour soustenir des passions vehementes, Montaigne, II, 123. Ou les accidents ne nous essayant pas jusques au vif, Montaigne, I, 67. Elle ne s'en essaya oncques puis [de se farder], La Boétie, 192. La resolution des reformez fut d'essayer Paris par la faim, D'Aubigné, Hist. I, 211. Ils essayerent [éprouvèrent] ce que les Turcs ont d'artifices et d'ingenieuses cruautez, D'Aubigné, ib. I, 241. Si se meit à imaginer et à essayer toutes sortes de ruzes de guerre dont il se pouvoit adviser, Amyot, Fab. 12. Si delibera de se retirer devers le roy Artaxerces, esperant que, quand ce roy l'auroit une fois essayé, il ne…, Amyot, Alc. 77. Ilz ne demandoient plus que quelque occasion pour bien tost les [leurs armes] essayer et employer contre leurs ennemis, Amyot, Philop. 15.

ÉTYMOLOGIE

Essai ; Berry, assayer ; wallon, say ; provenç. essaiar, assatjar, assaiar, ensaiar, issaiar ; catal. ensajar ; espagn. ensayar ; portug. ensaiar ; ital. assaggiare, saggiare.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ESSAYER. Ajoutez :

9Mettre à l'épreuve, et, par extension, fatiguer. Les critiques ne manquent jamais ces sortes de réflexions, parce qu'on les peut faire sans essayer beaucoup son esprit, Montesquieu, Lett. pers. Introduction.