« regorger », définition dans le dictionnaire Littré

regorger

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

regorger

(re-gor-jé. Le g prend un e devant a et o : regorgeant, nous regorgeons) v. n.
  • 1Rendre par la gorge. Je suis si plein que je regorge, Régnier, Ép. III. Ils [les enfants] mangeront jusqu'à regorger, Rousseau, Ém. II.

    Fig. Faire regorger, obliger de rendre ce qui a été mal acquis. On faisait regorger aux traitants les biens qu'ils avaient acquis dans la maltôte.

    Absolument. Il faudra que ce fripon regorge.

  • 2En parlant d'un liquide, s'épancher hors de ses limites, comme ce qui revient par la gorge. La rivière barrée regorgeait.

    Par extension, refluer. Leur sang partout regorge, et Jason au milieu Reçoit ce sacrifice en posture d'un dieu, Corneille, Tois. d'or, V, 2. On verra, sous le nom du plus juste des princes, Un perfide étranger désoler vos provinces, Et dans ce palais même, en proie à son courroux, Le sang de vos sujets regorger jusqu'à vous, Racine, Esth. III, 4. Si un fleuve qui se présenterait pour entrer dans un autre fleuve, ou dans la mer, n'était pas assez fort pour en surmonter la résistance, il s'élèverait, ou parce que sa vitesse serait retardée, ou parce que les eaux qui devraient le recevoir, regorgeraient dans les siennes, Fontenelle, Guglielmini. Le sang qui regorgea sous ses mains meurtrières [de Tarquin], De notre obéissance a rompu les barrières, Voltaire, Brutus, I, 2.

    Par exagération et poétiquement, il se dit d'une rivière sur les bords de laquelle il s'est fait un grand carnage. Tant de fois le Rhin et la Meuse Par nos redoutables efforts Auront vu leur onde écumeuse Regorger de sang et de morts, Malherbe, VI, 8. Et le Tibre effrayé regorgeant de carnage, Delille, Én. VI.

  • 3Inversement il se dit des espaces où les eaux regorgent. La Grève est si pleine d'eau, que l'on n'en approche que par bateau ; toutes les rues prochaines en regorgent, Patin, Lett. t. II, p. 378. Toutes les villes et Jérusalem même regorgeaient de sang innocent, comme il arriva sous Manassès, Bossuet, 5e avert. 26.
  • 4 Fig. Avoir une grande abondance de quelque chose, en parlant des personnes. D'éloges on regorge, à la tête on les jette, Molière, Mis. III, 7. Pouvoir à lui seul grossir sa fortune, et regorger de bien, La Bruyère, VI. Ce Saint-Lambert est un esprit froid, fade et faux ; il croit regorger d'idées, et c'est la stérilité même, Mme du Deffand, Lett. à H. Walpole, t. I, p. 343, dans POUGENS. Il est aussi atroce qu'absurde, de voir les uns regorger de superflu, et les autres manquer du nécessaire, D'Alembert, Lett. au roi de Pr. 30 av. 1770.

    Absolument. Tandis que vous regorgez, il est dans la misère.

    Régnier a dit regorger d'ennui : Un longtemps sans parler je regorgeais d'ennui, Sat. X.

  • 5Il se dit, dans le même sens, des choses qui sont pleines. Les maisons des satrapes regorgent d'or, Vaugelas, Q. C. X, 7. …Il faut toujours punir ; Tout regorge dans le Tartare, Lamotte, Fabl. II, 20. De leurs grains les granges sont pleines, Leurs celliers regorgent de fruits, Rousseau J.-B. Odes, I, 8. L'Italie, la Sicile, l'Asie Mineure, l'Espagne, la Gaule, la Germanie, étaient à peu près comme la Grèce, pleines de petits peuples, et regorgeaient d'habitants, Montesquieu, Esp. XXIII, 18. Une campagne qui regorge de biens craint le pillage, elle craint une armée, Montesquieu, ib. XVIII, 1. Il y a les libelles politiques ; les temps de la ligue et de la fronde en regorgèrent, Voltaire, Dict. phil. Libelle. Il [le grand duc] chasse alors avec tant d'activité que son nid regorge de provisions ; il en rassemble plus qu'aucun autre oiseau de proie, Buffon, Ois. t. II, p. 125.

    Absolument. Les magasins regorgent.

  • 6Regorger de santé, jouir d'une forte santé. Votre père, votre oncle, enfin tout le lignage Regorge de santé ; rien ne meurt, dont j'enrage, Hauteroche, le Deuil, 1. Aviez-vous entendu parler d'un médecin nommé la Mettrie, gourmand célèbre, ennemi des médecins, regorgeant de santé ? Voltaire, Lett. d'Argental. 13 nov. 1751.
  • 7Être très abondant. L'avoine regorge cette année.

    Cet emploi est peu usité.

  • 8 V. a. Rendre, restituer par force. Jusqu'à ce que M. son oncle venge sa querelle, et fasse regorger son bien à ceux qui l'ont injustement usurpé, Caquets de l'accouchée, p. 106, dans LACURNE. On lui fera faire cet agréable manége [sortir de prison et y rentrer], jusqu'à ce qu'il ait regorgé le portefeuille qu'il tenait de M. Mayor, Papiers saisis à Bareuth, p. 126.

HISTORIQUE

XVe s. Quand le flux de la mer est en venant, il regorge la riviere si contre mont que nul n'y pourroit passer, Froissart, I, I, 278. Touttes les avenues de Paris…regorgeoient de monde qui vouloit voir ce fameux Bertrand, Mém. s. du G. 31.

XVIe s. Cette alaigresse et vigueur qui regorgeoit de mon adolescence, Montaigne, I, 91. C'est tesmoignage d'indigestion que de regorger la viande comme on l'a avallée, Montaigne, I, 161. Quant à la fertilité [de la France], elle est telle que toutes choses necessaires à la vie humaine y regorgent, Lanoue, 356. Quand Sardanapalus et Darius, remplis d'or jusques à regorger…, Lanoue, 464. Les fleuves et ruisseaux regorgeans de sang et de corps morts, Amyot, Péric. et Fab. comp. 2. La riviere se desbordoit et regorgeoit en la plaine d'alentour, Amyot, Timol. 38. Le sang regorgea par les portes jusques dedans le faulxbourg [dans Athènes mise à sac par Sylla], Amyot, Sylla, 31. Nos chiens sont devenus loups à force de sang regorgé, D'Aubigné, Hist. III, 541. Nous la [la vie] perdons, dissipons, et en faisons marché comme de chose de neant et qui regorge, Charron, Sagesse, I, 36.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, rigorgi ; provenç. regorgar ; ital. ringorgare ; de re…, et gorger.