« dîner », définition dans le dictionnaire Littré

dîner

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

dîner [1]

(di-né) v. n.
  • 1Prendre le repas, qui se prenait jadis et qui se prend encore à la campagne et dans les petites villes, à midi ou un peu avant. Allons dîner. Bien dîner, mal dîner, faire un bon, un mauvais dîner. Le véritable Amphitryon Est l'Amphitryon où l'on dîne, Molière, Amph. III, 5. Compère le renard se mit un jour en frais, Et retint à dîner commère la cigogne, La Fontaine, Fabl. I, 18. Tout est réglé [à Vichy], tout dîne à midi, tout soupe à sept, tout dort à dix, tout boit à six, Sévigné, 356. Alexandre disait que son gouverneur Léonidas lui avait enseigné que, pour dîner agréablement, il fallait se lever matin et se promener, Du Ryer, Suppl. de Quinte-Curce, liv. II, ch. 8, dans RICHELET. Cliton n'a jamais eu, toute sa vie, que deux affaires, qui sont de dîner le matin et de souper le soir, La Bruyère, XI. Je sors de chez un fat qui, pour m'empoisonner, Je pense, exprès chez lui m'a forcé de dîner… Ce matin donc, séduit par sa vaine promesse, J'y cours midi sonnant, au sortir de la messe, Boileau, Sat. III. Nous allâmes l'autre jour prendre l'air à Auteuil, et nous y dînâmes avec toute la petite famille, que M. Despréaux régala le mieux du monde, Racine, Lett. à son fils, 51. J'attends M. de Rennes à dîner, Sévigné, 80. Je donnai hier à dîner à la Troche, Sévigné, 138. Elle aimerait bien à vivre réglément, et à dîner à midi comme les autres, Sévigné, Lett. 6 juill. 1676.

    Dîner-souper, faire un dîner qui serve de souper. Le czar fut de là [de la revue] dîner-souper à St-Ouen, chez le duc de Troesmes, Saint-Simon, 467, 149.

  • 2Aujourd'hui, à Paris et ailleurs, prendre le repas qui se prend de cinq heures à sept heures du soir. Nous dînerons ce soir ensemble. Après que nous aurons dîné, nous irons au spectacle.

    Dîner avec quelqu'un, se trouver à même table que lui. Il a dîné avec les ambassadeurs. Nous sommes engagés à dîner demain chez elle avec Mme Guibert et sa fille, Picard, la Petite ville, II, 1.

  • 3Dîner de, manger à son repas. Nous dînâmes de soupe et de bouilli. L'oiseau n'est plus, vous en avez dîné, La Fontaine, Faucon.

    Cela est plus élégant et plus correct que de dire, employant avec : nous dînâmes avec de la soupe et du bouilli.

  • 4Cet homme dîne bien, il mange beaucoup.

    Dîner par cœur, se passer involontairement de dîner.

    Son assiette dîne pour lui, se dit d'un homme qui, absent d'un dîner de table d'hôte, n'en paye pas moins son dîner.

    Familièrement. Il me semble que j'ai dîné quand je le vois ! Molière, Bourg. III, 3. Locution familière qui s'emploie en parlant d'un homme incommode, ennuyeux.

  • 5Dîner à l'infinitif, pris substantivement. Il a raison de faire grand cas du dîner et du dormir, Voltaire, Lett. Damilaville, 8 nov. 1762.

PROVERBES

Quand Alexandre avait dîné, il laissait dîner ses gens, c'est-à-dire il faut laisser le loisir aux valets de dîner à leur tour.

Qui dort dîne, c'est-à-dire le sommeil tient lieu de nourriture. C'est aussi une manière plaisante de rappeler à quelqu'un que la paresse est le moyen de n'avoir pas à manger.

Qui s'attend à l'écuelle d'autrui a souvent mal dîné, c'est-à-dire on est souvent déçu quand on compte sur l'aide d'autrui.

S'il est riche ou s'il est si riche, qu'il dîne deux fois, se dit d'un riche qui, faisant étalage de ses richesses, ne peut pourtant que dîner une fois comme tout le monde ; se dit aussi dans le sens que la richesse ne donne pas l'appétit et qu'avec une fortune très médiocre on peut être aussi content que les plus opulents.

HISTORIQUE

XIIe s. En un chalant entra quant fu dignez [cum fuit coenatus, quand il eut dîné], Bat. d'Aleschans, V. 7011. Li poples, jesque il vienge, ne mangera, kar il la viande benistrad, puis od ses hostes se dignerat, Rois, 30. Se li poples se fust disné, dun ne serreit de mielz aisied ses enemis à pursievre ? ib. 49. Respundi li fals prophetes, li fel viellarz : vien od mei, à mun ostel, kar od [avec] mei te digneras, ib. 288. Venu sunt al quint jur de la nativité à Cantorbire cil, quant gent orent digné, En l'endemain que furent innocent decolé, Th. le mart. 137.

XIIIe s. Devant le roy [ils] enmainent le mes [messager], là [il] a disné, Berte, LXVII. En males mains vos ai gité, à Brun l'ors, qui est sanz pité ; Demain de vos se disnera, Ce disner moult me costera, Ren. 15703.

XIVe s. Il n'est tampz ne saison qu'on ne voie passer ; Legierement le passent chil [ceux] qui ont à disner, Baud. de Seb. VIII, 760.

XVe s. Quand ils [les Anglais] se furent dinés, ils chevaucherent tous contreval la riviere de Tuide, Froissart, II, II, 19. Il n'y eut jamais de si bonnes nopces qu'il n'y en eust de mal disnez, Commines, I, 14. Dimanche vous ne pouvez faillir d'estre mieux diné, Louis XI, Nouv. XCIX.

XVIe s. Pour ce l'on dit en un commun langaige : En toute feste en a de mal disnez, Marot, J. V, 92. Ils s'assemblent pour disner de luy [le manger], Montaigne, I, 244. Qui se pourroit disner de la fumée du rost, feroit il pas une belle espargne ? Montaigne, III, 364. Ils disneront devant le jour au temps des plus longues nuicts, afin que dès l'aube du jour chacun se renge à sa besongne, De Serres, 32. Disne honnestement et soupe sobrement, Dors en hault et vivras longuement, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 195. C'est bien disnés, quand on eschappe En torchant son nez à la nappe, Sans desbourcer pas un denier Et dire adieu au tavernier, Leroux de Lincy, ib.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. daignai ; provenç. dinar, dinnar, disnar, dirnar ; anc. catal. disnar ; catal. mod. dinar ; ital. desinare, disinare. Mot très controversé. On a proposé le grec δειπνεῖν ; le sens serait très convenable ; mais on ne trouve nulle part un p dans les anciennes formes, et surtout on ne voit pas comment ce mot grec, qui n'est ni dans la latinité classique ni dans la basse latinité, serait entré dans les langues romanes. Comme dignare, domine sont les premiers mots d'une prière latine qui se dit au commencement du repas, on a pensé que le dîner en avait pris son nom ; le fait est qu'on trouve digner dans les anciennes formes ; et cette orthographe montre que les gens qui s'en servaient admettaient en effet dignare comme l'origine du mot dîner. Mais, quelque ancienne que soit cette orthographe, puisqu'elle appartient à des textes du XIIe siècle, cependant il y en a une encore plus ancienne, c'est disnare, qui se trouve dans des textes du IXe siècle : disnavi me ibi, dans les Gloses du Vatican, publiées par W. Grimm. Cette s est dans l'italien, et on la voit reparaître dans plusieurs formes du provençal et du vieux français. Cela ne peut être écarté ; et il faut chercher une étymologie qui comporte l's. Diez a proposé decœnare ; de ayant le sens qu'il a dans de-vorare, depascere. Cœnare est en effet très probable ; il aura donné un composé de-cœnare ou dicœnare. Que cœnare puisse se changer en ciner (ital. disinare, desinare), c'est ce que prouve l'ancien français re-ciner, faire un second repas ; que di-cœnare puisse se changer en disner, disnar, c'est ce que prouve l'italien busna, de buccina. M. Scheler, qui donne son assentiment à dicœnare, cite l'italien pusignare, collationner après souper, qui vient de post, après. et cœnare, et qui offre un exemple du changement de cœnare en signare. On peut encore citer, à l'appui du changement de co latin en s, le mot suivant : Deicola, nom d'un Irlandais compagnon de saint Gall dans le VIe siècle, devenu Desle dans la langue vulgaire. Dicœnare a pris le sens actif : donner le repas appelé cœna, sens déjà fourni par le latin, cœnatus, celui qui a dîné ; c'est ainsi que dès le IXe siècle on a dit disnavi me, j'ai dîné. Tout cela rend la conjecture de Diez extrêmement probable.