« respirer », définition dans le dictionnaire Littré

respirer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

respirer

(rè-spi-ré) v. n.
  • 1Attirer l'air dans sa poitrine, et le repousser dehors. Approchons-nous pour voir si sa bouche respire, Molière, Sganar. 4. L'auditoire qui paraissait pendu et suspendu à tout ce qu'il disait [un prédicateur], d'une telle sorte que l'on ne respirait pas, Sévigné, à Bussy, 25 avril 1687. Il [Condé mourant] attendait sa miséricorde [de Dieu] et implorait son secours, jusqu'à ce qu'il cessa enfin de respirer et de vivre, Bossuet, Louis de Bourbon. À peine osait-on respirer, de peur de troubler le silence, Fénelon, Tél. VIII. Comme ils [les amphibies] ont le trou ovale du cœur ouvert, ils ont la faculté d'y rester longtemps [dans l'eau] sans avoir besoin de respirer, Buffon, Quadrup. t. XI, p. 194. Sa course avait été si rapide, qu'en arrivant dans la chambre d'Oswald elle ne pouvait plus respirer ni prononcer un seul mot, Staël, Corinne, VIII, 1.

    Fig. Elle [l'âme pénitente] se met des bornes de tous côtés… ainsi, resserrée de toutes parts, elle ne peut plus respirer que du côté du ciel, Bossuet, la Vallière.

    Il ne respire plus, il est mort. Il respire encore, il n'est pas encore mort.

  • 2Vivre. Je t'engage ma foi De ne respirer pas un moment après toi, Corneille, Cid, III, 4. Tant qu'il [Britannicus] respirera, je ne vis qu'à demi, Racine, Brit. IV, 3. Seigneur, vous pouvez tout : ceux par qui je respire [mes parents] Vous ont cédé sur moi leur souverain empire, Racine, Mithr. II, 4. Tout se meut, tout respire, et tout existe en Dieu, Voltaire, Phil. Tout en Dieu. Sais-tu jusqu'à quel point ton amant qui ne respire que pour toi, peut te faire aimer la vie ? Rousseau, Hél. III, 16.

    Respirer en quelqu'un, se dit de celui en qui une personne semble revivre. Que dis-je ? Il [Thésée] n'est point mort puisqu'il respire en vous, Racine, Phèd. II, 5.

  • 3 Fig. Se manifester. La sensibilité, l'indulgence, la charité, qui dirigeaient et qui animaient le vertueux prélat [Fléchier] dans la conduite de ce malheureux diocèse, respirent encore dans les mandements et les lettres pastorales qu'il adressait aux réformés, D'Alembert, Éloges, Fléchier.
  • 4Avoir quelque relâche après un travail, une épreuve pénible. Durant quelques moments souffrez que je respire, Corneille, Cinna, I, 1. Vous la replongerez [Rome], en quittant cet empire, Dans les maux dont à peine encore elle respire, Corneille, Cinna, II, 1. Jusqu'à quand différerez-vous de m'épargner et de me donner quelque relâche, afin que je puisse un peu respirer ? Sacy, Bible, Job, VII, 19. Vous ne donnez pas le temps de respirer, Molière, Tart. IV, 5. Et jusqu'au douze qu'elle mourut à midi, elle n'a pas eu un moment pour respirer, Sévigné, 522. Il est donc vrai que vous vous portez mieux… vous pouvez vous représenter si je respire d'espérer que vous allez vous rétablir, Sévigné, 14 juin, 1677. À l'arrivée de la reine, la rigueur se ralentit, et les catholiques respirèrent, Bossuet, Reine d'Anglet. Hercule, respirant sur le bruit de vos coups, Déjà de son travail se reposait sur vous, Racine, Phèdre, III, 5. La nation semblait respirer au sortir d'une longue oppression, Hamilton, Gramm. 6. Un intervalle que nous mettons entre le monde et nous, pour y rentrer avec plus de goût, et respirer un peu de la fatigue, du dégoût, de la satiété, Massillon, Carême, Temps. Les Turcs avaient laissé respirer la Hongrie pendant la guerre de trente ans, qui bouleversa l'Allemagne, Voltaire, Mœurs, 192. Les moutons, comme vous savez, respirent un peu, quand les loups et les renards se déchirent, Voltaire, Lett. d'Alemb. 16 juillet 1764. Notre pauvre France aura vraisemblablement encore un an à respirer, D'Alembert, Lett. au roi de Prusse, 22 sept. 1777.
  • 5Respirer après quelque chose, souhaiter quelque chose ardemment avec passion. Elle respire après le retour de son fils.

    Respirer de, avec ne …que et un infinitif, se dit dans le même sens. Je meurs d'envie de savoir de vos nouvelles ; dès que j'ai reçu une lettre, j'en voudrais tout à l'heure une autre ; je ne respire que d'en recevoir, Sévigné, 18 févr. 1671. Il [Saint-Aubin] ne souhaite que l'éternité, il ne respire plus que d'être uni à Dieu, Sévigné, 17 nov. 1688.

    On a dit aussi : respirer à, avec un infinitif. Votre Majesté sent et plaint les maux de ses peuples ; elle ne respire qu'à les soulager, Bossuet, Panég. sainte Thérèse, 3.

    Il se conjugue avec l'auxiliaire avoir.

  • 6Activement. Attirer par la respiration. Le premier air que nous respirons nous sert à tous indifféremment à former des cris, Bossuet, Gornay. De quel front cet ennemi de Dieu Vient-il infecter l'air qu'on respire en ce lieu ? Racine, Athal. III, 5.

    Par extension. Énée en ce moment, couvert d'épais rameaux, Respirant la fraîcheur et de l'ombre et des eaux, Delille, Énéide, VIII.

    Fig. Arrachez-vous d'un lieu funeste et profané Où la vertu respire un air empoisonné, Racine, Phèdre, V, 1. C'est dans le vide et dans le silence de sa maison qu'une femme de mon âge respire le poison de l'ennui, Marmontel, Contes mor. Bon mari.

    Aller respirer l'air natal, retourner dans le pays où l'on est né.

    Poétiquement. Respirer le jour, avoir la vie. Albe, où j'ai commencé de respirer le jour, Corneille, Hor. I, 1. Quoi ! vous à qui Néron doit le jour qu'il respire…, Racine, Brit. I, 1.

  • 7Exhaler. La Provence odorante et de Zéphyre aimée Respire sur les mers une haleine embaumée, Chénier, Hymne à la France. Des lèvres demi-closes Respirent près de nous leur haleine de roses, Chénier, Élég. II, 1.

    Fig. Mes crimes désormais ont comblé la mesure ; Je respire à la fois l'in ceste et l'imposture, Racine, Phèdre, IV, 6.

  • 8Avoir la vive apparence de, annoncer. Je fus une heure dans cette chambre [de Mme de Montespan, qui venait d'écarter une rivale] ; on n'y respire que la joie et la prospérité, Sévigné, 14 juin 1677. Je voulais parier, quoique tout respirât la noce [entre Mademoiselle et Lauzun], qu'elle ne s'achèverait pas, Sévigné, 31 déc. 1670. Le madrigal, plus simple et plus noble en son tour, Respire la douceur, la tendresse et l'amour, Boileau, Art poét. II. Tout respire en Esther l'innocence et la paix, Racine, Esth. II, 7. Tout respirait les bons mots et les contes agréables, Hamilton, Gramm. 8. Quelques odes galantes d'Horace respirent les grâces, comme quelques-unes de ses épîtres enseignent la raison, Voltaire, Dict. phil. Grâce. Son livre du Traité des études [de Rollin] respire le bon goût et la saine littérature presque partout, Voltaire, Temple du Goût.
  • 9Souhaiter avec ardeur. Au bout de trois jours, à Vitré, je ne respirais que les Rochers, Sévigné, 16 mars 1672. Il disait en parlant de cette prison malheureuse, qu'il y était entré le plus innocent de tous les hommes, et qu'il en était sorti le plus coupable : Hélas ! poursuivait-il, je ne respirais que le service du roi et la grandeur de l'État, Bossuet, Louis de Bourbon. On ne respire à Saint-Cyr que simplicité, obéissance, humilité, Maintenon, Lett. au card. de Noailles, 26 févr. 1702. Une cour qui ne respirait que les fêtes et la galanterie, Hamilton, Gramm. 6. Les Lacédémoniens ne participèrent point à cette délibération : ils ne respiraient alors que la paix, les Athéniens que la guerre, Barthélemy, Anach. Introd. part. II, sect 2.

    Il se dit quelquefois avec un pronom personnel pour régime. Nous avons ri du soin que vous prenez de me dire d'envoyer querir la Garde et l'abbé de Grignan : hélas ! les pauvres gens étaient au guet et ne respiraient que moi, Sévigné, 2 nov. 1673. Chacun, plein de mon nom, ne respirait que moi, Boileau, Lutr. VI.

  • 10Se respirer, v. réfl. Être respiré. Le bonheur se respire autour de vous, comme s'il était dans l'air qui vous environne, Staël, Dict. de DOCHEZ.

REMARQUE

D'Olivet (Rem. Rac. § 34) prétend qu'au sens de souhaiter, respirer ne se dit guère qu'avec la négative, et qu'on ne dirait pas aussi correctement : vous respirez les plaisirs, vous respirez la guerre. Fausse remarque, comme le prouvent les exemples suivants : Ton ardeur criminelle à la vengeance aspire, Ta bouche la demande, et ton cœur la respire ! Corneille, Hor. IV, 5. On m'en veut plus qu'à vous ; c'est ma mort qu'ils respirent, Corneille, Pomp. IV, 5. La fille le veut bien, son amant le respire, Racine, Plaid. III, 4. De toutes les tragédies françaises, Mithridate était celle qui lui plaisait davantage [à Charles XII], parce que la situation de ce roi vaincu et respirant la vengeance était conforme à la sienne, Voltaire, Charles XII, 5. Pourquoi, fils de Morni, ton âme respirait-elle les combats ? Chateaubriand, Gaul.

SYNONYME

RESPIRER, SOUPIRER APRÈS. Ces mots désignent figurément le désir, l'ardeur, la passion dont le cœur est si plein qu'il semble l'exhaler, ou par une respiration forte, ou par des soupirs répétés. Mais respirer marque un désir plus ardent, une passion plus violente, que ne fait soupirer après.

HISTORIQUE

XIIIe s. La force de l'odeur du moust qui estoit es tonniax qui respiroient [exhalaient] et separoient les mouz, Miracles St Loys, p. 143. Ledit enfant gisoit estendu à terre ausi come mort, ne ne le veoit on respirer, ib. p. 144.

XVIe s. Chascun pour sauver sa vie et respirer une ame precaire se faisoit bourreau de son compagnon, D'Aubigné, Hist. II, 122. Me voiant exilé de France, j'ai pris à deux mains les occasions qui se sont presentées pour me faire respirer l'air auxquel je suis nai, D'Aubigné, ib. II, 131. Il y eut bien de la peine à faire partir du giste Lanoue, ne respirant que la bonté de Monsieur, les bons desirs du roi, D'Aubigné, ib. II, 239. La reyne mere du roy, qui ne respiroit que le bien du roy et de l'estat…, Casteln. 149. Tenir tous-jours ses tonneaux très bien bouchés, sans respirer aucunement, De Serres, 204. …les vaisseaux et recipiens bien lutés en semble, à fin que l'esprit ne respire [s'évapore], Paré, XXVI, 12.

ÉTYMOLOGIE

Berry, respirer se dit d'une terre perméable à l'air : cette terre est trop compacte, elle ne peut respirer ; provenç. et espagn. respirar ; ital. respirare ; du lat. respirare, de re, et spirare, souffler (voy. ESPRIT).