« désespérer », définition dans le dictionnaire Littré

désespérer

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désespérer

(dé-zè-pé-ré. La syllabe pé prend l'accent grave quand la syllabe qui suit est muette : je désespère, excepté (exception inconséquente) au futur et au conditionnel : je désespérerai, je désespérerais) v. n.
  • 1Perdre l'espoir. Désespérer du succès de ses efforts. Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes, Que pressent de mes lois les ordres légitimes, Et qui, désespérant de les plus éviter, Si tout n'est renversé ne sauraient subsister. Corneille, Cinna, V, 1. Ils ont désespéré de pouvoir vaincre l'erreur publique, Bossuet, Hist. II, 5. Les Romains n'ont jamais désespéré de leurs affaires, Bossuet, ib. III, 6. Dans la plus grande fureur des guerres civiles, jamais on n'a douté de sa parole ni désespéré de sa clémence, Bossuet, Reine d'Anglet. Vous n'avez rien à craindre que de désespérer de ses bontés [de Dieu], Bossuet, Anne de Gonz. Ainsi de le fléchir Messala désespère, Voltaire, Brutus, III, 2. Par quel asservissement désespérerions-nous de voir éclore de nouveaux prodiges de l'esprit humain, de nouveaux genres de beautés et de plaisirs, de nouvelles créations ? Gresset, Disc. de réception à l'Acad. On verra que l'ardeur du Français est peut-être également prompte à s'allumer et à s'éteindre ; qu'il espère tout lorsqu'il commence, qu'il désespère de tout lorsqu'il est arrêté par un obstacle, Raynal, Hist. phil. XVIII, 50.

    Désespérer, suivi de que et du subjonctif. Quelque ardeur qu'un chrétien fasse paraître pour la cause de son Dieu, je me défierai toujours, ou plutôt je désespérerai toujours que de la délicatesse des repas, des habits, de l'équipage et du train, il accepte de passer à la rigueur des prisons, des roues et des chevalets, Bourdaloue, Carême, t. I, p. 232.

    Absolument. Que de sujets de craindre et de désespérer ! Corneille, Cinna, IV, 5. Ne désespère point du vivant de Caton, Corneille, Pomp. II, 2. Le véritable zèle de la charité ne désespère jamais, Massillon, Confér. Zèle c. l. vices.

  • 2Désespérer de quelqu'un, ne pas espérer qu'il tourne à bien, qu'il revienne à bien. Corrigez votre enfant et n'en désespérez pas, et ne prenez pas une résolution qui aille à sa mort, Sacy, Bible, Prov. de Salom. XIX, 18.

    Désespérer de quelqu'un, ne plus espérer qu'il réussisse.

    Désespérer d'un malade, regarder sa mort comme inévitable.

  • 3 V. a. Réduire au désespoir, causer une vive douleur. Hélas ! ton intérêt ici me désespère, Corneille, Cid. III, 4. Ô devoir qui me perd et qui me désespère ! Corneille, Poly. II, 2. Désarmez les vaincus sans les désespérer, Racine, Alex. III, 7. Il met tout son plaisir à vous désespérer, Racine, ib. IV, 1. Elle aime mon rival, je ne puis l'ignorer ; Mais je mettrai ma joie à le désespérer, Racine, Brit. II, 8. Ne désespérez point une amante en furie, Racine, Baj. II, 1. J'ai pu désespérer le cœur de son amant, Voltaire, Zaïre, IV, 1.
  • 4Se désespérer, v. réfl. S'abandonner au désespoir, à la plus vive douleur. Quand il sut ce qui était arrivé, il se désespéra. Son maître était jusqu'au cou dans les boues… Il acheva de se désespérer, Lorsque la neige, en lui donnant aux joues, Vint à flocons, et le vent qui fouettait, La Fontaine, Orais. Vous saurez que ma maîtresse a perdu un petit chien qu'elle aime éperdument, qu'elle s'en désespère et qu'elle en met la faute sur moi, Hauteroche, Crispin médecin, II, 7.

REMARQUE

Après désespérer, v. n. précédé de ne et suivi de la conjonction que, la phrase complémentaire qui suit demande qu'on mette ne et le subjonctif : On ne désespérait pas que vous ne devinssiez riche. Cependant on peut aussi supprimer le ne.

HISTORIQUE

XIIe s. Comment que je me desespoir, Bien m'a amours guerredonné, Couci, III. Dun ne sez que quant l'um de vie se despeired, que l'um se met en grant peril, Rois, 127. E nostre sires ferid le enfançunet que David out engendred de la feme Urie, e en maladid e fud desesperez, ib. 160.

XIIIe s. Li desconfort m'a si desesperé Que je ne sai que puisse devenir, Le Comte D'Anjou, Romancero, p. 124. Or se despoire, or se deshaite Cil qui cuidoit avoir tout pris, Lai de l'ombre. Et se vous en pechié manez [demeurez], Onques ne vous desesperez, Lai du conseil.

XVe s. Fais ce que je dis, dit le chevalier, nous serons bien d'accord, et si laisse ce mechant desesperé clerc, Froissart, II, III, 22. Et quand il vit son malefice descouvert, il s'enfuit isnellement de la cité de Paris, comme desesperé, Monstrelet, I, 47.

XVIe s. Je suis quelquefois huit jours sans le sentir [l'enfant] et à l'heure [alors] desesperée [n'espérant plus] de l'estre [enceinte], Marguerite de Navarre, Lettre 119. Tout le monde, fors moy seulement, estoit desesperé de sa vie, Marguerite de Navarre, ib. 47. Où desperé d'avoir mieux, Je m'en iray rendre hermite, Du Bellay, J. VII, 10, verso. Si est-il à craindre que la honte les desespere, Montaigne, I, 56. Pour s'estre estonné et desesperé du premier refus, Montaigne, I, 97. Virius, desesperé du salut de la ville assiegée par les Romains, et de leur misericorde, Montaigne, II, 36. Les academiciens ont desesperé de leur queste, et jugé que la verité ne se pouvoit concevoir par nos moyens, Montaigne, II, 230. C'est un coup desesperé, auquel il fault abandonner vos armes pour faire perdre à vostre adversaire les siennes, Montaigne, III, 312. Lors M. de Bourbon se desespera de trouver grace envers le roy, Du Bellay, M. 85. Desesperant de pouvoir jouir de ses amours, il se noya ; de quoy Thesaeus estant adverty, et aussi de la cause pour laquelle il s'estoit ainsi desesperé, en fut fort dolent et marry, Amyot, Thésée, 32. Une audace desesperée, Amyot, Numa, 13. Une mauvaistié effrontée, et desesperée mechanceté, Amyot, Alc. 20. Si le pria de ne vouloir rien faire temerairement, ny à la desesperée, Amyot, Nicias, 38. C'est une impudence trop desesperée à lui, de tirer ainsi par les cheveux le passage du pseaume, Calvin, Inst. 1091. C'estoit un crime abominable, voire aux plus desesperez brigands du monde, Calvin, ib. 831. Un mal desesperé, Calvin, ib. 870. Le corps du desesperé [suicide] est traîné à la justice comme convaincu et condamné, Loysel, 838. Avec ung bruict desesperé d'harquebuzades, trompettes…, Carloix, IX, 6. Ils font des cures desesperées, Paré, Introd. 1. Je suis desesperé [sans espoir] De parvenir au bien tant desiré, Ronsard, 819.

ÉTYMOLOGIE

Dés… préfixe, et espérer ; provenç. et espagn. desesperar ; ital. disperare.