« désespoir », définition dans le dictionnaire Littré

désespoir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

désespoir

(dé-zè-spoir) s. m.
  • 1Perte de l'espérance. La reine au désespoir de n'en rien obtenir, Corneille, Rodog. I, 4. Il ne faut pas s'imaginer que cette doctrine mette les hommes au désespoir, Bossuet, Or. 10. Ce qui a damné Judas, ce n'est point proprement la trahison qu'il avait commise, mais le désespoir où il s'abandonna après sa trahison, Bourdaloue, Exhort. s. la trah. de Judas, t. I, p. 450. Pour ne pas vous jeter dans le désespoir, Massillon, Car. Impén. La pénitence n'est plus qu'un désespoir sans confiance, Massillon, ib. Inconst. Ces détails transportèrent de joie Napoléon : crédule par espoir, par désespoir peut-être, il s'enivre quelques instants de cette apparence, et, pressé d'échapper au sentiment intérieur qui l'oppresse, il semble vouloir s'étourdir en s'abandonnant à une joie expansive, Ségur, Hist de Nap. VIII, 10.

    En désespoir de cause, façon de parler adverbiale, tirée des habitudes du barreau, et qui signifie qu'on est à bout de raisons, qu'on a épuisé tous les moyens, qu'on ne peut plus résister à ce qui est demandé. J'ai cédé en désespoir de cause. Nous avons longtemps débattu l'affaire ; j'ai, en désespoir de cause, accepté ses conditions.

    Faire une chose en désespoir de cause, essayer d'un dernier moyen, d'une ressource extrême, sans espérance de succès.

  • 2 Par extension, ce qui désespère comme inimitable, impossible à surpasser. Ce tableau est le désespoir des peintres. Si l'on avait exhumé ce morceau, on en ferait le désespoir des modernes, Diderot, Salon de 1765, Œuvres, t. XIII, p. 340, dans POUGENS.
  • 3Résolution extrême inspirée par un grand péril… Qu'il mourût, Ou qu'un beau désespoir alors le secourût, Corneille, Hor. III, 6. Seigneur, vous emporter à cette extrémité Est plutôt désespoir que générosité, Corneille, Cinna, IV, 3. Souvent les désespoirs [des vaincus] aux vainqueurs sont funestes, Mairet, Mort d'Asdrub. II, 3. Et Rome unique objet d'un désespoir si beau, Racine, Mithr. III, 1. Ce peuple poussé au désespoir recommencera la guerre, Fénelon, Tél. XX. Le désespoir tient lieu de force et de courage, Voltaire, Orphel. III, 4. Par les choses que fit le désespoir dans Carthage désarmée, on peut juger de ce qu'elle aurait pu faire avec sa vertu, lorsqu'elle avait ses forces, Montesquieu, Espr. III, 3.
  • 4Affliction extrême. Cette nouvelle l'a plongé dans le désespoir. Tomber dans le désespoir. Vous avez mis son âme au désespoir, Montesquieu, Cinna, III, 5. Et l'accord que son père a conclu pour ce soir La fait à tous moments entrer en désespoir, Molière, Tart. IV, 2. De quelque désespoir qu'une âme soit atteinte, La douleur est toujours moins forte que la plainte, La Fontaine, Matrone. Partout du désespoir je rencontre l'image, Racine, Bérén. V, 7. Du moins ce désespoir convient à mon malheur, Racine, Mithr. III, 1. Un mortel désespoir sur son visage est peint, Racine, Phèdre, V, 5. Elles [des raisons] doivent être bien faibles, mon père, contre le désespoir où vous me voyez, Boindin, les Trois Gascons, sc. 3.

    Prendre conseil de son désespoir, ne prendre conseil que de son désespoir, se résoudre à toutes les extrémités que le désespoir suggère.

    Faire le désespoir de, désoler, attrister. Ce mauvais sujet fait le désespoir de ses parents.

  • 5 Par exagération, contrariété, déplaisir. Je suis au désespoir de ne pouvoir faire ce que vous désirez de moi. Je suis au désespoir de ne pouvoir me promener avec vous, Voiture, Lett. 79. Ces copies dont je suis au vrai désespoir, Sévigné, 343. Je vois que toutes ces femmes de bien sont au désespoir de ce qu'on m'a honorée de cette qualité, Fontenelle, Jug. de Pluton. Si j'avais des coups de bâton à lui donner, ce serait comme Alcidas à Sganarelle, dans le Mariage forcé, avec de grandes protestations de respect et de désespoir d'y être obligé, D'Alembert, Lett. à Volt. 31 juillet 1762.

    Être au désespoir que… avec le subjonctif. Elle a été au désespoir que vous m'ayez écrit, Sévigné, 4. Il est au désespoir que mon fils ne soit pas député, Sévigné, 592.

    Mettre au désespoir, causer une vive affliction, une grande contrariété.

  • 6 Au plur. Et par les désespoirs d'une chaste amitié Nous aurions des deux camps tiré quelque pitié, Corneille, Hor. III, 2. De mille désespoirs mon cœur est assailli, Corneille, la Place royale, II, 3. La maladie de Flavie, sa mort, et les violences des désespoirs de sa mère, qui se venge, ont assez de justice, Corneille, Examen de Théod. Ses remords en auraient été plus animés et ses désespoirs plus violents, Corneille, 2e discours. La Vallière eut des jalousies et des désespoirs inconcevables, La Fayette, Hist. d'Henr. d'Angleterre, 3e partie. Des avarices insatiables, des désespoirs au milieu du bonheur, Maintenon, Lettre à Mme de Glapion, 26 sept. t. III, p. 192, dans POUGENS. Indigné d'y trouver, dans son sommeil paisible, à mes longs désespoirs la nature insensible, Ducis, Roméo, IV, 5. Et, dans ses désespoirs dont Dieu seul est témoin, S'appuyer sur l'obstacle et s'élancer plus loin, Lamartine, Harm. II, 7. Les séparations et les longs désespoirs N'ont-ils pas éclairci, dis-moi, ses cheveux noirs ? Lamartine, Jocel. 6e époque. Ces lieux de nos bonheurs et de nos désespoirs, Où le drame divin de tout notre jeune âge Avait à chaque site attaché son image, Lamartine, ib. 9e époque.

REMARQUE

Désespoir a été employé au pluriel par Corneille, par Mairet, par Mme de Maintenon, par Mme de La Fayette, par Ducis, par Lamartine. Rien n'empêche de les imiter.

HISTORIQUE

XIIe s. Ainsi me tient amors en desespoir, Couci, IX.

XVIe s. Les saincts n'ont jamais plus grande matiere de desespoir, que quand ils sentent la main de Dieu dressée pour les confondre, Calvin, Instit. 437. L'homme qui se met à mort par desespoir, confisque envers son seigneur, Loysel, 837. Les princes aussi leur doyvent porter telle bienvueillance, qu'un pere à ses enfans, et ne les jetter jamais en telle necessité, qu'ils leur facent embrasser le desespoir, Lanoue, 396. Reduits au dernier desespoir, Lanoue, 451. Ses amis ne l'abandonnerent point en ce desespoir, Amyot, Timol. 7. Quand la fortune en se jouant nous pert, Le desespoir en lieu de raison sert, Ronsard, 631. Le desespoir qui tourne encontre soy les armes, Ronsard, 976. Au desespoir s'oublie l'honneur, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 232. En desespoir vertu croist, Leroux de Lincy, ib. p. 293.

ÉTYMOLOGIE

Dés… préfixe, et espoir ; provenç. et anc. catal. desesper.