« étourdir », définition dans le dictionnaire Littré

étourdir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

étourdir

(é-tour-dir) v. a.
  • 1Causer dans le cerveau un ébranlement qui en trouble et en suspend les fonctions. Une balle morte le frappa à la tête et l'étourdit.

    Étourdir un bœuf avant de le tuer, lui ôter le sentiment en lui donnant entre les cornes un violent coup de masse.

    Fig. La pesanteur du coup souvent nous étourdit, Corneille, Rodog. III, 6. Elle accusa sa sœur du plus énorme crime, Sut à force d'audace étourdir sa victime, Ducis, Lear, I, 4.

  • 2Il se dit de ce qui cause une sorte d'ivresse. Le tabac étourdit l'homme. Il but quelques verres de vin qui l'étourdirent.

    Absolument. L'opium étourdit.

  • 3Fatiguer par le bruit. Vous nous étourdissez par votre caquet. Ces enfants nous étourdissent. Qui donc est le coquin qui prend tant de licence Que de chanter et m'étourdir ainsi ? Molière, Amph. I, 2. Pendant que les violons étourdissaient les autres, Hamilton, Gramm. IV.

    Familièrement. Importuner, fatiguer par du bavardage. Vous nous venez encore étourdir la tête, Molière, G. Dand. II, 9. Il semble que vous m'étourdissiez par vos discours, Sévigné, 377.

    On dit de même étourdir les oreilles. Il y venait tous les jours des poëtes, qui ne manquaient pas de nous étourdir les oreilles de leurs disputes et de leurs vers, Lesage, Estev. Gonz. 37.

    Étourdir quelqu'un de quelque chose, le lui répéter d'une manière fastidieuse. Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous nous étourdissez tous les jours, Molière, Critique, 7. Les âmes végétatives, sensitives, dont on nous a tant étourdis, Voltaire, Phil. v, 308.

    Par extension. Étourdir les bois, les faire retentir de grands bruits. En ses filets quand la proie est surprise, De son triomphe il étourdit les bois, Millevoye, la Différence.

  • 4Étourdir une douleur physique, faire qu'elle soit moins sensible. Ce remède ne guérit pas, il ne fait qu'étourdir la douleur.

    Fig. et familièrement. Étourdir la grosse faim, la calmer en mangeant quelque peu.

    Étourdir, s'est dit pour étouffer une affaire, empêcher qu'elle n'éclate. L'avis du lieutenant fut d'étourdir la procédure, en obtenant un arrêt qui fît défense de poursuivre l'instruction du procès, Guyot de Pitaval, Causes célèbres, I, 227.

    Étourdir une douleur morale, faire que l'esprit en soit moins occupé. Il aime mieux étourdir le sentiment qu'il a de ses fautes que d'avoir le chagrin de les connaître, Bossuet, Connaiss. I, 16. Il délassait des longs ouvrages, Du pauvre étourdissait les maux, Béranger, Violon brisé.

    Étourdir quelqu'un, l'empêcher par toutes sortes de distractions, de réfléchir. Il faut étourdir Angélique à force de jeux, d'amusements et de petites fêtes, et tâcher, s'il se peut, d'empêcher qu'elle continue de réfléchir à l'engagement que j'exige d'elle, Dancourt, Colin-maillard, sc. 4. Jamais les cœurs sensibles n'aimèrent les plaisirs bruyants ; vain et stérile bonheur des gens qui ne sentent rien et qui croient qu'étourdir la vie, c'est en jouir, Rousseau, Ém. v.

  • 5Causer étonnement, stupeur. Cette nouvelle les a tous étourdis. … Pour un temps les extrêmes douleurs Étourdissent l'esprit et restreignent les pleurs, Mairet, Soliman, v, 2. Un tel événement étourdit ma prudence, Regnard, Démocr. v, 5.
  • 6Étourdir la viande, la cuire à demi.

    Étourdir l'eau, la chauffer légèrement.

  • 7S'étourdir, v. réfl. S'occuper follement. Il s'étourdit de chimères.

    Distraire son esprit de ce qui l'occupe, l'inquiète. Vous devez vous étourdir et détourner le cours de vos pensées, Bossuet, Lett. abb. 30. Je ne puis plus soutenir ces grandes paroles par lesquelles l'arrogance humaine tâche de s'étourdir elle-même pour ne pas apercevoir son néant, Bossuet, Duch. d'Orl. Je tâchais de m'étourdir par l'ébranlement de mes passions, Fénelon, Tél. VIII. Pressé d'échapper au sentiment intérieur qui l'oppresse, il semble vouloir s'étourdir en s'abandonnant à une joie expansive, Ségur, Hist. de Nap. VIII, 10.

    S'étourdir sur quelque chose, y penser le moins possible, s'en distraire. Pour nous étourdir sur le sentiment intérieur, Massillon, Myst. Incarn. Pour s'étourdir sur les vérités les plus terribles du salut, Massillon, Carême, Samar. Si l'on peut s'étourdir sur son état en y pensant peu, Rousseau, Hél. IV, 13.

    Chercher à s'étourdir, chercher à étourdir sa douleur, à distraire son chagrin, ses inquiétudes, etc. Mécontent, malheureux, cherchant à m'étourdir, Genlis, Veillées du chât. t. III, p. 396, dans POUGENS.

HISTORIQUE

XIIe s. Tant l'en donnerent [du vin], tot le font estordir, Bat. d'Aleschans, v. 4552.

XIIIe s. Li prestres a la noise oïe, Et si avoit les sainz [les cloches] oïz ; De son lit saut toz estordiz, Ren. 3410. [Il] Hausse l'espée, et puis fiert Honte, Tel cop qu'à poi qu'il ne l'afronte ; Honte en fu trestoute estourdie, la Rose, 15703.

XVe s. Espoir, confort des malheureux, Tu m'estourdis trop les oreilles De tes promesses nompareilles, Dont trompes les cueurs doloreux, Orléans, Chans. 14. Quant elle estoit estourdie de chanter, veiller et jeusner, elle se reposoit, Lancelot du Lac, t. I, f° 28. Vrayement la teste m'estourdit De confesser ; c'est trop grant peine, Rec. de farces, p. 152.

XVIe s. Pensent ils qu'une apoplexie n'estourdisse aussi bien Socrates qu'un portefaix ? Montaigne, II, 20. Il eut depesché cela en moins qu'une horloge aurait sonné dix heures ; car il ne faisoit qu'estourdir ses morceaux, Despériers, Contes, LXXV.

ÉTYMOLOGIE

Norm. étaudi (Villedieu, étaui) ; provenç. stordit, étourdi, dans du Cange, au mot stordatus ; anc. espagn. estordir ; ital. stordire ; bas-lat. stordatus. Le latin classique fournit stolidus ; mais la forme ne convient pas ; l'allemand fournit stürzen, étonner, confondre ; mais la forme ne convient pas non plus. L'espagnol et le portugais ont aturdir, étourdir, qui indique un radical turd, que Covarruvias rattache à turdus, grive, prise ici pour un type de sottise, comme l'étourneau l'est lui-même ; de sorte que es-tourdir serait le même mot avec un autre préfixe. Diez approuve cette étymologie, qui paraît en effet tout à fait probable. Le bas-latin stordatus indique une conjugaison estourder, qui n'a pas laissé d'autre trace. D'un autre côté, on a mis en avant le kymri twrdd, bruit, tonnerre, qui serait acceptable, si, comme le remarque Diez, une étymologie latine ne devait pas, en qualité de plus prochaine, avoir la préférence. On a dit aussi estormir pour étourdir : XIVe s. Cui [il] ataint à plain cop, pour voir, le fait dormir ; Pierre de Mont-Raboy [il] a si fait estormir Que jus chiet [tombe] du cheval…, Girart de Ross. v. 1781. Ce doit être une confusion, si la leçon est bonne, avec estormir, combattre.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ÉTOURDIR. Ajoutez :
8S'étourdir, perdre le sentiment, la sensibilité. Quand le mal est aux nerfs, aux jointures, c'est là qu'il nous traite cruellement ; mais ce sont parties qui s'étourdissent bientôt, Malherbe, Lexique, éd. L. Lalanne.