« étranger », définition dans le dictionnaire Littré

étranger

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

étranger, ère [1]

(é-tran-jé, jê-r') adj.
  • 1Qui est d'une autre nation, qui appartient, qui a rapport aux autres pays. Les coutumes, les mœurs étrangères. Les langues étrangères. Rome par une loi que rien ne peut changer N'admet avec son sang aucun sang étranger, Racine, Bérén. II, 2. La Grèce me reproche une mère étrangère, Racine, Phèd. II, 2. Étrangers dans la Perse, à nos lois opposés, Du reste des humains ils [les Juifs] semblent divisés, Racine, Esth. II, 1. Des hommes étrangers qui venaient de si loin, Fénelon, Tél. II. Il [Newton] a laissé environ 32000 livres sterling… M. Leibnitz, son concurrent, mourut riche aussi… ces deux exemples rares et tous deux étrangers semblent mériter qu'on ne les oublie pas, Fontenelle, Newton. L'hiver était si près de nous, qu'il n'avait fallu qu'un coup de vent de quelques minutes pour l'amener âpre, mordant, dominateur ; on sentit aussitôt qu'en ce pays il était indigène, et nous étrangers, Ségur, Hist. de Napol. IX, 7.

    Affaires étrangères, relations d'un État avec les gouvernements étrangers. Ministre des affaires étrangères, le ministre chargé de diriger les affaires étrangères.

    On dit de même le ministère, le département des affaires étrangères.

    Être étranger dans son pays, ne pas en connaître les usages. Êtes-vous à ce point parmi nous étrangère ? Racine, Athal. II, 4.

    Par extension. Être étranger dans sa famille, ne savoir pas les affaires de sa maison.

    N'être étranger nulle part, avoir ce qu'il faut pour ne se trouver embarrassé nulle part, pour être bien vu, bien accueilli partout.

    Terme de peinture. Lumière étrangère, lumière différente de la principale, et ménagée artistement pour le bon effet du tableau.

  • 2Qui n'appartient pas à. On écarte tout cet attirail qui t'est étranger, pour pénétrer jusqu'à toi qui n'es qu'un fat, La Bruyère, II. Que d'imitateurs votre rang n'a-t-il pas donnés à vos désordres ! …que de crimes étrangers sur lesquels on ne s'avise pas même d'entrer en scrupule ! Massillon, Car. Confess.

    Avec quoi on n'a pas de rapport. Ah ! si sous votre empire on ne m'épargne pas, Si mes accusateurs observent tous mes pas, Que ferais-je au milieu d'une cour étrangère ? Racine, Brit. IV, 2. [Cette cour] Quel séjour étranger et pour vous et pour moi ! Racine, ib. v, 1.

    Qui ne concerne pas. Ces lois sévères Sont faites pour vous seuls et me sont étrangères, Voltaire, Scythes, v, 1.

  • 3En parlant des personnes, qui n'est pas parent. Et les fils de ce roi, Quoique nés de mon sang, sont étrangers pour moi, Racine, Athal. II, 7. Il fut assassiné par des mains étrangères, Voltaire, Œdipe, IV, 1.
  • 4Qui ne se mêle point d'une chose, qui n'y a point de part, qui n'y prend point de part. Il n'est pas étranger à cette émeute. Je ne suis pas assez étranger aux affaires publiques pour ignorer…, Raynal, Hist. phil. XVIII, 43. Si la reine étrangère à la publique ivresse, Lemercier, Agamemn. III, 3.

    Absolument. Voyant avec des yeux étrangers ce qui se passe ici-bas, Massillon, Av. Disp.

    Être étranger à une science, à un art, n'en avoir aucune notion.

    Être étranger à une compagnie, n'en pas faire partie.

    Être étranger à toute humanité, n'avoir aucun sentiment d'humanité.

  • 5Qui n'a point de liaison, d'intimité avec. Nous sommes devenus absolument étrangers l'un à l'autre, Genlis, Ad. et Théod. t. III, lett. 7, p. 38, dans POUGENS.
  • 6Qui n'a aucun rapport, aucune conformité avec l'objet dont on parle. Une dissertation étrangère au sujet. Des citations étrangères à la cause.

    Qui n'est pas naturel ou propre à une personne ou à une chose. Se montrer sous des dehors étrangers. Cette voie est basse, indigne et étrangère, Pascal, Pens. I, 3. Tout est étranger dans l'humeur, les mœurs et les manières de la plupart des hommes, La Bruyère, XI. Dans quelques républiques anciennes, où le peuple en corps avait le débat des affaires, il était naturel que la puissance exécutrice les proposât et les débattît avec lui ; sans quoi, il y aurait eu dans les résolutions une confusion étrangère, Montesquieu, Espr. XI, 6.

  • 7En parlant des choses, ignoré de. Cette science lui est tout à fait étrangère. Avez-vous quelque notion de physique et d'histoire naturelle ? Rien de tout cela ne m'est étranger, Genlis, Veillées du chât. t. I, p. 515, dans POUGENS.

    Ignoré, en parlant des sentiments. La bienveillance lui est étrangère. La haine lui est étrangère. Tout autre sentiment nous doit être étranger, Voltaire, Tancr. IV, 1.

    Absolument. Parler à un homme intéressé de faire des largesses aux pauvres, c'est lui tenir un langage étranger, Bourdaloue, Pensées, t. 1, p. 341.

  • 8Qui est inconnu. Les traits de cet homme ne me sont pas étrangers. Ma voix ne t'est pas étrangère, Racine, Esth. Prol.
  • 9 Terme de chimie. Qui n'est pas de même nature que le corps auquel il est uni, allié. Des métaux purifiés de tout corps étranger.

    Terme de chirurgie. Corps étranger, toute chose qui se trouve engagée contre nature dans les parties vivantes. Une balle, une esquille sont des corps étrangers qui compliquent souvent les plaies.

  • 10 S. m. Un peuple étranger. L'étranger est en fuite et le Juif est soumis, Racine, Athal. v, 6. L'étranger envahit la France Et je maudis tous ses succès, Béranger, Ma dern. chans.
  • 11Les pays étrangers. Vivre à l'étranger. Les ouvrages français qui s'impriment à l'étranger.

    Passer à l'étranger, s'expatrier.

    Ce que nous disons l'étranger, se disait, au XVIIIe siècle, le pays étranger. S'il était possible qu'elle [l'Encyclopédie] s'imprimât dans le pays étranger, en continuant, comme de raison, à se faire à Paris…, D'Alembert, Lett. à Volt. 28 janv. 1757.

  • 12Caractère d'étranger. Quoiqu'avec beaucoup d'étranger dans ses expressions et dans son accent, il [Law] s'exprimait en fort bons termes, Saint-Simon, 441, 147.
  • 13Ce qui est étranger, non naturel. Par l'addition de l'étranger et du superflu, vous effacez souvent le propre et l'essentiel, Guez de Balzac, Socr. chrét. Disc. 7.
  • 14 S. m. et f. Étranger, étrangère, une personne qui n'est pas du pays où elle se trouve. Songez qu'un même jour leur ravira leur mère Et rendra l'espérance au fils de l'étrangère, Racine, Phèd. I, 3. Huit ans déjà passés, une impie étrangère…, Racine, Athal. I, 1. La règle, c'est qu'étant obligés de vivre comme étrangers sur la terre et de n'aimer ni le monde, ni les choses qui sont dans le monde, nous devons craindre tout ce qui nous rendra notre exil trop aimable, Massillon, Car. Confess.

    Celui, celle qui n'est pas d'une famille. Il a légué presque tout son bien à des étrangers. Il ne faut pas que les étrangers voient les papiers ni sachent les secrets de notre famille. Le moineau du voisin viendra manger le nôtre ! Non, de par tous les chats ! entrant lors au combat, Il croque l'étranger…, La Fontaine, Fabl. XII, 2.

HISTORIQUE

XVe s. Tuit estrangier l'ament et ameront [Paris] ; Car pour deduit, et pour estre jolis, Jamais cité tele ne trouveront ; Rien ne se puet comparer à Paris, Deschamps, Sur les beautés de Paris.

XVIe s. Ces exemples estrangiers ne sont pas estranges si nous considerons…, Montaigne, I, 106. Par ce moyen ne pouvoient les Lacedemoniens achepter marchandises estrangeres, Amyot, Lyc. 14. Banni de son pays, estranger en province estrange, Amyot, Sert. 1. Mais comment voudriez-vous la France abandonner, Quand tous les estrangers y veulent sejourner ? Ronsard, Élég. 13.

SYNONYME

ÉTRANGE, ÉTRANGER. Ces deux mots ont été primitivement synonymes. Aujourd'hui ils sont distincts, et signifient, l'un ce qui est hors des conditions naturelles, l'autre ce qui est hors de la nation, du pays. Dans le figuré, les significations se rapprochent beaucoup ; cependant elles ne se confondent pas complétement ; voy. ci-dessus le n° 6.

ÉTYMOLOGIE

Nivernais, étranzé ; bourguig. étraingé ; provenç. estrangier, estranher ; catal. estranger ; espagn. extrangero ; portug. estrangeiro ; ital. straniere ; du latin fictif extranearius, d'extraneus, (voy. ÉTRANGE).