« étrange », définition dans le dictionnaire Littré

étrange

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

étrange

(é-tran-j') adj.
  • 1Étranger. Messire Jean est-ce quelqu'un d'étrange ? La Fontaine, Jument. Peu de nos chants, peu de nos vers, Par un encens flatteur, amusent l'univers Et se font écouter des nations étranges, La Fontaine, Fabl. XII, 23.

    Vieilli en ce sens.

  • 2Qui est hors des conditions, des apparences communes. Une résolution si étrange donna de la frayeur à tout le monde, Vaugelas, Q. C. liv. III, dans RICHELET. L'autre répondit là-dessus, avec une vanterie étrange, que certes il y avait quelques dames qui l'affectionnaient, Francion, VI, 227. Je fais d'étranges efforts pour m'en empêcher, Voiture, Lett. 21. D'un étrange malheur son destin le menace, Corneille, Cinna, v, 1. Si près de voir mon feu récompensé, ô Dieu ! l'étrange peine ! Corneille, Cid, I, 1. Parmi tant de malheurs mon bonheur est étrange, Corneille, Héracl. v, 8. Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte [le geai], La Fontaine, Fabl. IV, 9. Ah ! vraiment je faisais une étrange sottise, Molière, l'Étour. I, 6. C'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens, Molière, Critique, VII. Ah ! l'étrange chose que la vie ! Molière, l'Amour méd. I, 1. Je sais qu'un tel discours de moi paraît étrange ; Mais, madame, après tout, je ne suis pas un ange, Molière, Tart. III, 3. Peut-on m'attribuer ces sottises étranges ? Boileau, Épît. VI. Un bruit assez étrange est venu jusqu'à moi, Racine, Iphig. IV, 6. Il [ce refus] pourrait me jeter en d'étranges soupçons, Racine, Ath. II, 5. Étrange ambition qui n'aspire qu'au crime, Racine, Théb. IV, 3. Dieux puissants ! quelle étrange pâleur De son teint tout à coup efface la couleur, Racine, Esth. II, 7. Étrange empressement de voir des misérables, Voltaire, Tancr. III, 3.

    Il est étrange qu'il ne soit pas encore venu. Il n'est pas étrange de penser beaucoup et peu juste, Vauvenargues, Fécondité.

    Trouver fort étrange, trouver surprenant et blâmable. Il trouva fort étrange qu'on ne l'eût pas invité. Tous ceux qui lui disent qu'il ne devrait pas y aller [à l'armée] trouveraient fort étrange qu'il n'y allât pas, Sévigné, 345.

  • 3Il se dit aussi des personnes. Votre fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison, Molière, l'Avare, IV, 4. Voici un étrange théologien qui veut toujours qu'un homme que Dieu fait roi ait encore besoin du peuple pour avoir ce titre, Bossuet, Var. 5e avert. § 39. D'un cœur qui s'offre à vous quel farouche entretien ! Quel étrange captif pour un si beau lien ! Racine, Phèd. II, 2. La comtesse : Ne perdez point cela de vue, étrange homme que vous êtes, Marivaux, le Legs, sc. 10.

HISTORIQUE

XIe s. Granz sont les oz [armées] de celle gent estrange, Ch. de Rol. LXXXIV. De plusurs regnes viendront li home estrange, ib. CCV. Alde respont : cest mot m'est mult estrange, ib. CCLXX.

XIIe s. Aler m'esteut [il me faut] mourir en terre estraigne, Couci, XXII. Li sainz huem fu sis ans en estrange contrée, Mal aveit dure vie e sufferte e menée, Th. le mart. 101.

XIIIe s. Que vostre amour m'est trop estrange et fiere, Eustache le Peintre, dans Couci. p. 120. Ne vallet ne meschine, estrange ne privés [étranger ou de la maison], Berte, CXXXII. Et mout doit-on amer mius [mieux] son droit signour que un estraigne, Chr. de Rains, p. 159. Car me [ma] mere est estrange de l'iretage qui me vient de par le pere, Beaumanoir, XIV, 23.

XVe s. [Les murs du châtel] estoient hauts malement et de pierre dure, et ouvrés jadis de mains de Sarrasins, qui faisoient les soudures si fortes et les ouvrages si estranges que ce n'est point de comparaison à ceux de maintenant, Froissart, I, I, 239. Car, sans faillir, ce seroit trop estrange Que bien servir peust ung cueur en maints lieux, Orléans, 1. Si commanda à son varlet qu'il print son escu et le portast à un peintre, et feist faire une congnoissance [armoiries] estrange, car il ne vouloit nullement estre recongneu, Perceforest, t. VI, f° 33. Bailler sans nul engin, comme heritier, Les diz lieus, sans faire l'estrange [sans faire de difficulté], Deschamps, Poésies mss. f° 576, dans LACURNE.

XVIe s. Pourtant, mon Dieu, parmi les gens estranges Te beniray en chantant tes louanges, Marot, IV, 256. Tous ceux qui sont estranges de la religion d'un seul Dieu, Calvin, Instit. 605. S'il y a quelque corps estrange entré dans le nez, Paré, Introd. 2. Nous entendons dire des choses estranges de nous ; car on dit que nous avons esté engendrez miraculeusement, et nourris et allaictez plus estrangement, Amyot, Rom. 9. Elles s'assirent, sans trop se faire semondre, auprès de luy, et furent bien aises quand Cyrus commencea à se jouer à elles et à les taster, en leur disant à chacune quelque mot de joyeuseté en passant ; et ne firent point des estranges, Amyot, Artax. 39.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. étreinge ; bressan, estranze ; Berry, étrange, étranger ; provenç. estranh, estrain, strani ; espagn. estraño ; portug. estranho ; ital. estraneo, estrano, estranio, strano, stranio ; du latin extraneus, de extra, hors, dehors.