« embrasser », définition dans le dictionnaire Littré

embrasser

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

embrasser

(an-bra-sé) v. a.
  • 1Serrer dans ses bras, caresse qui est souvent accompagnée d'un baiser. Il embrassa son père avec effusion. En arrivant, il embrassa sa femme et ses enfants. Mais il me traite en père, il me flatte, il m'embrasse, Corneille, Héracl. V. 2. Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie, Il faut bien le payer de la même monnoie, Molière, Mis. I, 1. J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer, Racine, Brit. IV, 3. J'allais, seigneur, pleurer un instant avec lui ; Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui, Racine, Andr. I, 4.

    Formules de salutation épistolaire. Je vous embrasse de tout cœur. Je vous embrasse tendrement.

    Il se dit, par extension, de tout ce qu'on serre, saisit avec les bras, soit que les bras entourent ou n'entourent pas. Embrasser l'autel. Les uns avec transport embrassent le rivage, Racine, Mithr. IV, 6. Je cherche mon enfant avec des cris funèbres, Pleurant, rampant, hurlant, embrassant les ténèbres, Ducis, Rom. IV, 5.

    Embrasser les genoux, se mettre aux pieds de quelqu'un et lui serrer les genoux pour l'implorer. Seigneur, c'est donc à moi d'embrasser vos genoux, Racine, Iphig. III, 5. Par le salut des Juifs, par ces pieds que j'embrasse, Racine, Esth. III, 5.

    Embrasser son écu, se disait du combattant qui empoignait plus fortement son écu pour se couvrir et attaquer.

    Fig. Qu'un stoïque [un stoïcien] aux yeux secs vole embrasser la mort ; Moi je pleure et j'espère ; au noir souffle du nord Je plie et relève la tête, Chénier, la Jeune captive. Dans toute sa grandeur j'embrassai ma misère, Delavigne, Paria, III, 4.

  • 2Entourer, environner, en parlant des choses. Le lierre embrasse l'ormeau. La mer embrasse la terre. À l'ombre des lauriers qui t'embrassent la tête, Malherbe, I, 4. [Draperie] Qui ne s'y colle point, mais en suive la grâce [du corps], Et sans le serrer trop, le caresse et l'embrasse, Molière, Val-de-Grâce.
  • 3Saisir par la vue, par le regard. Il embrassa rapidement tout le champ de bataille et donna ses ordres. Comme, en considérant une carte universelle, vous sortez du pays où vous êtes né et du lieu qui vous renferme, pour parcourir toute la terre habitable que vous embrassez par la pensée avec toutes ses mers et tous ses pays, Bossuet, Hist. Dessein général. Au delà de leur cours et loin dans cet espace, Où la matière nage et que Dieu seul embrasse, Voltaire, Henr. VII, 61. C'est en vain que ma vue De la terre et des mers embrasse l'étendue, Ducis, Oscar, I, 1.

    Saisir par l'esprit. Aristote a embrassé l'ensemble des connaissances humaines de son temps. Il [la Mothe le Vayer] a tout embrassé dans ses écrits, l'ancien, le moderne, le sacré, le profane, mais sans confusion, D'Olivet, Hist. Acad. t. II, p. 137, dans POUGENS. Le compas d'Uranie a mesuré l'espace ; ô temps, être inconnu que l'âme seule embrasse, Invisible torrent des siècles et des jours, Thomas, Ode, le Temps.

    Saisir par l'imagination. Mon esprit embrassant tout ce qu'il s'imagine, Corneille, Poly. III, 1. Vous qui, de l'Asie embrassant la conquête, Querellez tous les jours le ciel qui vous arrête, Racine, Iphig. IV, 6. Je voudrais embrasser un si doux avenir, Ducis, Oscar, I, 2. Et d'un bonheur prochain embrassez l'espérance, Delavigne, Vêpr. sicil. sc. supprimée.

    Saisir par l'exécution. Dans les grandes affaires, il faut tout envisager, et se contenter de ce qu'on peut exécuter avec succès, sans vouloir embrasser tout à la fois, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. VIII, p. 320, dans POUGENS.

  • 4Adopter, suivre. Il embrassa les opinions des novateurs. Je veux, comme il souhaite, embrasser la douceur, Tristan, M. de Chrispe, II, 7. Non, non, n'embrassez pas de vertu par contrainte, Corneille, Hor. II, 3. Embrasse ma vertu pour vaincre ta faiblesse, Corneille, ib. IV, 7. Impatients désirs d'une illustre vengeance… Que ma douleur séduite embrasse aveuglément, Corneille, Cinna, I, 1. Il est ce que tu dis s'il embrasse leur foi, Corneille, Poly. III, 2. J'embrasse comme vous ces nobles sentiments, Corneille, Rodog. I, 5. J'embrasse un bon avis, de quelque part qu'il vienne, Corneille, Perthar. I, 4. Il est temps de tourner du côté du bonheur, De ne plus embrasser des destins trop sévères, Corneille, ib. IV, 5. Il n'embrassa point de secte particulière, mais il prit ce qu'il y avait de bon en chacune, Perrot D'Ablancourt, Lucien, t. II, dans RICHELET. Qui d'une sainte vie embrasse l'innocence Ne doit point tant prôner son nom et sa naissance, Molière, Tart. II, 2. Il embrasse la religion chrétienne, Bossuet, Hist. I, 10. Un autre secours encore, mais le plus efficace qu'il pût opposer à ses adversités, ce fut la dévotion solide, qu'il embrassa pour le reste de ses jours, et même, si cela se peut, avec quelque sorte d'excès, D'Olivet, Hist. Acad. t. II, p. 92, dans POUGENS. Je chéris la vertu, mais j'embrasse le crime, Voltaire, Brut. IV, 3. J'embrassai les vertus qu'exigeait mon malheur, Voltaire, Mérope, V, 1. Je l'aimai, je connus ce premier esclavage Qu'embrasse avec transport une âme encor sauvage, Delavigne, Paria, I, 1.

    Se charger de, se mettre du côté de. Vous saurez embrasser bien mieux son intérêt, Corneille, Hor. V, 3. Je ne veux point douter que la vertu romaine N'embrasse avec chaleur l'intérêt de la reine, Corneille, Nicom. I, 1. Du timon qu'il embrasse il se fait le seul guide, Corneille, Othon, III, 4. Il faut premièrement Me rendre un bon office, et nous verrons en suite Si je dois de vos vœux embrasser la conduite, Molière, l'Étour. III, 5. Régner et de l'État embrasser la conduite, Racine, Phèd. III, 1. Vous seul pouvez contre eux embrasser sa défense, Racine, ib. II, 5. Pour oser de ton peuple embrasser l'intérêt, Racine, Esth. I, 4. Les vrais apôtres de notre Seigneur, selon la tradition de tous les Pères, afin de n'être occupés que de Dieu et de l'Évangile, quittaient leurs femmes pour embrasser le célibat, Bossuet, Var. II, § 25. Les Athéniens, commandés par Démosthène et Hippocrate, étaient entrés en Béotie, dans l'espérance que plusieurs villes embrasseraient leur parti dès qu'ils se montreraient, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. III, p. 581, dans POUGENS. Ayant pour cette dame, en quelque différend Et dans l'occasion, embrassé sa querelle, Legrand, Roi de Cocagne, I, 2. J'ose encore embrasser tes projets, tes malheurs, Lemercier, Agam. IV, 4.

    Par extension, saisir, ne pas laisser échapper. À lui rendre service elle m'offre une voie Que tout mon cœur embrasse avec excès de joie, Corneille, Sertor. II, 5. J'ai embrassé cette occasion-ci de me mettre à mon aise, Molière, le Mar. for. 12. L'occasion est belle, il la faut embrasser, Racine, Phèd. V, 1.

  • 5Contenir en soi. Ce royaume embrasse plusieurs provinces. La chimie embrasse un vaste domaine. Un empire qui embrassait tant de nations, Bossuet, Hist. III, 6. Telle a été l'origine de ces fameux empires qui embrassaient une grande partie du monde, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. I, p. 6, dans POUGENS.

    Confondre. Nous ne devons point la tirer [la censure de la comédie] des bornes qu'elle s'est données, l'étendre plus loin qu'il ne faut, et lui faire embrasser l'innocent avec le coupable, Molière, Préf. de Tart.

  • 6Tenir, occuper, remplir. On voyait les colonnes russes se prolonger et se retrancher sur cette pente rase, d'une demi-lieue de rayon, d'où elles dominaient et embrassaient tout par leur nombre et leur position, Ségur, Hist. de Napol. IX, 2.
  • 7 Terme de manége. Un cheval embrasse la volte ou, simplement, embrasse, quand ses pas embrassent l'espace d'environ un pied et demi.

    Embrasser bien son cheval, le serrer avec les cuisses pour être plus ferme.

  • 8S'embrasser, v. réfl. Se presser dans les bras l'un de l'autre. Femmes, vieillards, enfants, s'embrassant avec joie, Racine, Athal. V, 6.

    PROVERBE

    Qui trop embrasse mal étreint, se dit de celui qui, entreprenant beaucoup, réussit mal à chaque chose.

REMARQUE

1. Racine a dit : Et qu'affectant l'honneur de céder le dernier, L'un ni l'autre ne veut s'embrasser le premier, Racine, Théb. IV, sc. dern. Le second vers est incorrect ; on s'embrasse l'un l'autre, mais on n'est pas le premier à s'embrasser l'un l'autre.

2. On lit parfois dans les auteurs contemporains : il lui embrasse la main. C'est mal parler ; il faut dire : il lui baise la main. Embrasser c'est non appliquer la bouche, mais serrer dans les bras.

HISTORIQUE

XIe s. Contre son piz puis si [il] l'ad embracet, Ch. de Rol. CLIX. De son destrier le col il enbraçat, ib. CCL.

XIIe s. Parmi les flans [il] le courut enbracier, Ronc. p. 97. Ne sunt pas fil Jesu, ainz sunt tuit forslignié ; N'erent una [ne seront cette année], s'il poent, pur Deu crucifié ; Mult enviz perdereient ço qu'il unt enbracié, Th. le mart. 127. E maistre Edwart Grim l'aveit forment saisi, Embracié par dessus, quant l'orent envaï, ib. 149.

XIIIe s. Sa fille [elle] a embracie, si la baise en la chere, Berte, XI. Et li troi serjan l'ont par les flans embracié [saisi], ib. XX.

XIVe s. L'utilité de sa curvation [de l'humérus] fu que il peust miex [mieux] embrachier les choses, H. de Mondeville, f° 20, verso.

XVe s. Si [le varlet] embrassa l'escuyer qui estoit travaillé de longuement combattre et le tourna et l'abattit sous lui à la lutte, Froissart, II, III, 9. Tant embrasse-on que chet la prise, Villon, Ball. Le roy Gadiffer brocha premier, picquant des esperons son cheval, qui print à embrasser la terre comme un fouldre, Perceforest, t. II, f° 46.

XVIe s. Si vous avez prins garde au bransle de mes quatre saisons, elles embrassent l'enfance, l'adolescence, la virilité et la vieillesse, Montaigne, I, 86. Si nous embrassons la vertu d'un desir trop aspre et violent, Montaigne, I, 223. Nous embrassons tout, mais nous n'estreignons que du vent, Montaigne, I, 230. Si les princes et la cour du parlement de Paris veulent sans feintise embrasser l'œuvre de la reconcillation, petit à petit elle se parfera, Lanoue, 36. Faillir à embrasser l'occasion de faire un grand exploit, Amyot, Pér. et Fab. comp. 7. Il atendit le plus qu'il peut les ailes de sa gendarmerie pour embrasser le plus de païs, Amyot, Marcell. 8.

ÉTYMOLOGIE

En 1, et bras ; bourguig. ambrassié ; provenç. embrassar ; anc. esp. embrazar ; ital. imbracciare.