« enchaîner », définition dans le dictionnaire Littré

enchaîner

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

enchaîner

(an-chê-né) v. a.
  • 1Attacher avec une chaîne. Enchaîner un criminel, un animal féroce. Tandis que l'ennemi par ma fuite trompé… Et, gravant en airain ses frêles avantages, De mes États conquis enchaînait les images, Racine, Mithr. III, 1.

    Par extension. Le froid enchaîne les eaux, les ruisseaux, c'est-à-dire il en glace la surface qui cesse de couler. L'hiver, qui si longtemps a fait blanchir nos plaines, N'enchaîne plus le cours des paisibles ruisseaux, Rousseau J.-B. liv. III, ode 6. Mon front est blanchi par le temps ; Mon sang refroidi coule à peine, Semblable à cette onde qu'enchaîne Le souffle glacé des autans, Lamartine, Méd. I, 9.

    Fig. Maudit soit le premier dont la verve insensée… Voulut avec la rime enchaîner la raison ! Boileau, Sat. II. L'homme en ses passions toujours errant, sans guide, A besoin qu'on lui mette et le frein et la bride ; Son pouvoir malheureux ne sert qu'à le gêner ; Et, pour le rendre libre, il le faut enchaîner, Boileau, ib. X. Heureux si cette vie [du roi] était enchaînée de travaux qui roulassent sur lui ! D'Argenson, Mémoires, t. III, p. 86, 1861. Certain de ma vertu, je conçois l'espérance D'enchaîner l'avenir, de triompher du dieu, Chénier M. J. Œdipe roi, III, 4.

    Enchaîner la victoire, être constamment victorieux ; enchaîner la fortune, avoir des succès constants. Et ne rien hasarder qu'on n'ait de toutes parts Autant qu'il est possible enchaîné les hasards, Corneille, Attila, I, 1. Quand on tiendrait dans son camp la victoire comme enchaînée, Fénelon, Tél. XI. Quand Philippe à Bovine enchaînait la victoire, Voltaire, Zaïre, II, 3. Nous avons, par nos soins et par nos artifices, Du sort, autant qu'on peut, enchaîné les caprices, Lafosse, Manlius, II, 2.

    Enchaîner à son char, devenir le maître de, rendre esclave (voy. CHAR). Une coquette enchaîne de nombreux amants à son char.

  • 2Subjuguer, dompter, asservir. Lorsque son bras enchaîne et ravage la terre, Voltaire, Fanat. I, 1. Va, si tu crois si beau d'enchaîner l'univers…, Masson, Helv. I.
  • 3Attacher par des liens moraux. Mais si vous m'enchaînez à ce que j'ai promis, Corneille, Sert. IV, 3. Et le seul hyménée Peut rompre le silence où je suis enchaînée, Corneille, Sur. II, 3. Quel ordre a pu du trône exclure la jeunesse ? Quel astre à nos beaux jours enchaîne la faiblesse ? Corneille, Pulch. IV, 2. Sa valeur [de Henri IV] les [les ligueurs] vainquit, sa vertu les enchaîne, Voltaire, Henr. VIII. Qu'as-tu fait des saints nœuds qui nous ont enchaînés ? Voltaire, Alz. III, 4. Il [Louis XIV] avait séduit l'innocence, il avait enchaîné une coquette ; il lui restait à conquérir une femme aussi spirituelle que vertueuse, Genlis, Mme de Maintenon, t. I, p. 218, dans POUGENS. Quel indigne lien vous enchaîne en ces lieux ? Ducis, Lear, I, 5. Mêmes goûts, mêmes soins, la commune habitude, Tout semble m'enchaîner dans cette solitude, Ducis, Abufar, I, 5.
  • 4Unir par des liens logiques, coordonner. Enchaîner des propositions, des preuves, des faits, des chapitres.
  • 5Suspendre l'activité, le mouvement habituel. La surprise et la peur enchaînent ses pas. Enchaîner les vents. Il [le respect] arrête les vœux, captive les désirs, Abaisse les regards, étouffe les soupirs, Dans le milieu du cœur enchaîne la tendresse, Corneille, Oth. III, 1. Il me semble qu'un dieu descendu parmi nous, Maître de mes transports, enchaîne mon courroux, Voltaire, Œdipe, III, 5. Il fallait enchaîner les discordes civiles, Chénier M. J. Charl. IX, III, 1. On te déchire [mon habit], et cet outrage Auprès d'elle [Lise] enchaîne mes pas, Béranger, Mon hab.
  • 6S'enchaîner, v. réfl. Se mettre soi-même à la chaîne. Voilà donc le triomphe où j'étais amenée ! Moi-même à votre char je me suis enchaînée, Racine, Iphig. II, 5.

    Être lié l'un à l'autre. Les prospérités s'enchaînent comme les revers. Les vérités s'enchaînent les unes aux autres. L'art de voir est l'art d'apercevoir les rapports, et tout s'enchaîne aux yeux du génie, Bonnet, Consid. corps organ. Œuvres, t. v, p. 260, dans POUGENS.

HISTORIQUE

XIe s. Ours et lions et veltes [chiens] enchainez, Ch. de Rol. IX. Si l'enchaeinent autresi come un ours, ib. CXXXV.

XIIIe s. Corborans prist congié, s'ala en sa contrée, Avoec lui enmena no gent encaenée, Ch. d'Ant. I, 648. Il demenent tel bruit com chiens encaenés, ib. II, 288. Car leur feu ne se puet estaindre, Ne leur tormenteours refraindre, Qui les tiennent enchaiennez, J. de Meung, Tr. 4458.

XIVe s. Fist li rois venir ses prisons [prisonniers], Cinq contes tous enchaïnnez, Guiart, Royaux lignages, 7027.

XVIe s. Il lui estoit grief de voir tant de chrestiens encadenez et menez esclaves et traittez miserablement pour jamais, Brantôme, Cap. estr. t. II, p. 95, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

En 1, et chaîne ; provenç. et espagn. encadenar ; portug. encadear ; ital. incatenare.