« ensevelir », définition dans le dictionnaire Littré

ensevelir

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ensevelir

(an-seu-ve-lir ; comme deux syllabes muettes ne peuvent se suivre immédiatement, on donne à la syllabe se le son de seu ; autrefois on prononçait en-sé-ve-lir, du moins Richelet écrit ainsi) v. a.
  • 1Dans le style élevé. Déposer dans la sépulture. Son corps fut enseveli avec les mêmes honneurs et la même pompe que ceux des rois légitimes, Rollin, Hist. anc. Œuvr. t. v, p. 239, dans POUGENS. J'ensevelis pour toujours dans le sein de la terre ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable, L'Abbé Prévost, Manon Lescaut, 2e part.

    Absolument. Qui tôt ensevelit bien souvent assassine, Et tel est cru défunt qui n'en a que la mine, Molière, l'Ét. II, 3.

  • 2 Par extension, mettre sous quel que chose qui est considéré comme un tas. C'est sous les ruines du trône et du palais de votre vieux tyran qu'il faut l'ensevelir avec tous ses complices, Marmontel, Bélisaire, ch. III. Le chameau mieux instruit, courbé sous la tempête, Dans le sable du moins ensevelit sa tête, Ducis, Abufar, II, 7. Et l'Anio paisible, et l'Eridan fougueux, Qui, roulant à travers des campagnes fécondes, Court dans les vastes mers ensevelir ses ondes, Delille, Géorg. IV.
  • 3Faire disparaître. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce poëme ; tout irrégulier qu'il est, il faut qu'il ait quelque mérite, puisqu'il a surmonté l'injure des temps et qu'il paraît encore sur nos théâtres, bien qu'il y ait plus de vingt-cinq années qu'il est au monde, et qu'une si longue révolution en ait enseveli beaucoup sous la poussière qui semblaient avoir plus de droit que lui de prétendre à une si heureuse durée, Corneille, Ex. de l'Illus. comique. Ne pouvant pas me résoudre à ensevelir ma maison dans celle de Mazarin, et n'estimant pas assez la grandeur pour l'acheter par la haine publique, Retz, Mém. t. II, liv. III, p. 158, dans POUGENS. Il ne tint presque à rien qu'il n'ensevelît tout le parti de M. le prince, Retz, ib. liv. IV, p. 248. Un homme de cour qui n'a pas un assez beau nom doit l'ensevelir sous un meilleur, La Bruyère, VIII. Il veut avec leur sœur ensevelir leur nom, Racine, Phèd. I, 1.
  • 4Cacher comme dans une sépulture. Traître ! tu prétendais qu'en un lâche silence Phèdre ensevelirait ta brutale insolence ? Racine, Phèdre, IV, 2. Ces trésors dont le ciel voulut vous embellir, Les avez-vous reçus pour les ensevelir ? Racine, Brit. II, 3. La gloire des monuments que l'orgueil ou l'adulation ont élevés, sera ou ensevelie dans l'oubli par le temps ou effacée par les censures et les jugements plus équitables de la postérité, Massillon, Petit car. Respect des grands pour la rel. Sur quels bords malheureux, dans quels tristes climats Ensevelir l'horreur qui s'attache à mes pas ? Voltaire, Œdipe, IV, 4. [L'Arabe] Laissait dans ses déserts ensevelir sa gloire, Voltaire, Fanat. II, 5. Le secret qu'en ton sein je dois ensevelir, Voltaire, Orphel. I, 6. Ensevelissons ma vie ainsi que ma douleur dans une éternelle et profonde solitude, Genlis, Mlle de Lafayette, p. 102, dans POUGENS.
  • 5Envelopper le corps d'un mort dans un linceul. C'est une œuvre pieuse que d'ensevelir les morts.

    Par extension, envelopper comme d'un suaire. Voiles, crêpes, habits, lugubres ornements, Pompe où m'ensevelit sa première victoire, Corneille, Cid, IV, 1.

  • 6S'ensevelir, v. réfl. Laisser tomber sur soi ce qui est comparé à une sépulture. S'ensevelir sous les ruines de la place, la défendre jusqu'à la mort. Je m'ensevelirai sous ma propre ruine, Corneille, Sert. v, 7.

    Fig. Je suis Héraclius, je suis fils de Maurice ; Sous ces noms précieux je cours m'ensevelir, Corneille, Héracl. v, 2.

  • 7Se cacher. S'ensevelir dans la retraite, dans la solitude, se retirer du monde. Moi, renoncer au monde avant que de vieillir, Et dans votre désert aller m'ensevelir ! Molière, Mis. v, 7.

    Par extension, s'absorber, se plonger. S'ensevelir dans les livres, dans la débauche, dans le chagrin. La belle chose de… s'ensevelir pour toujours dans une passion, Molière, D. Juan, I, 2.

SYNONYME

ENSEVELIR, ENTERRER. Ensevelir, c'est envelopper un corps mort dans le drap appelé linceul. Enterrer, c'est mettre en terre le corps mort. L'historien suisse Ruchat s'est donc exprimé incorrectement dans la phrase suivante : " Calvin mourut le 27 mai (1564) et fut enseveli tout simplement au cimetière commun de Plainpalais. " Il fallait dire, enterré ou inhumé, HUMBERT, Gloss. génev. Il faut distinguer : le fait est que ensevelir a eu de tout temps et a encore le sens de donner la sépulture ; mais il ne l'a que dans le style élevé ; et l'on dira fort bien : il fut enseveli à côté de ses aïeux. Mais, hors de ce style, ensevelir signifie couvrir du linceul ; et c'est pour cela que l'on ne dit pas bien ensevelir au cimetière, et que Humbert a critiqué justement la phrase de Ruchat. Il faut remarquer aussi que toutes les acceptions figurées procèdent de la signification donner la sépulture.

HISTORIQUE

XIIe s. Pristrentle corps, si l'ensevelirent el sepulcre sun pere en Bethleem, e Joabe si cumpaignum errerent tute la nuit, Rois, p. 128. Puis morut e fud enseveliz en un hort de sun palais, ib. 421.

XIIIe s. E fu ensevelis en la mere eglise, Chr. de R. p. 17. Moult auroies isnel cheval, Se ne te puis livrer estal, Tant que je t'auré trangloti Et de mon ventre enseveli, Ren. 7748. Plusor en cest fleuve s'en entre, Non pas seulement jusqu'au ventre, Ains i sunt tuit enseveli, Tant se plongent es flos de li, la Rose, 6077. Dariere celi qui tenoit les trois coutiaus, avoit un autre qui tenoit un bouqueran entorteillé entour son bras, que il eust presenté au roy pour li ensevelir, se il eust refusée la requeste au vieil de la montagne, Joinville, 259. Cuer qui la fin de ce damaige [la mort] N'a tousjours devant son visaige Est presqu'enseveli en fiens [fumier], J. de Meung, Tr. 1333.

XIVe s. Pour l'ame la royne dont li corps fu murdris, à l'eglise où son corps estoit ensevelis…, Guesclin. 8922.

XVIe s. Le peuple qui reçoit oppression des soldats, ne les excusera pas tant, pour ce qu'ils le defendent, comme il les maudira pour ce qu'ils le devorent : ensevelissant le souvenir du bien dans le sentiment des maux, Lanoue, 190. Timandra alla prendre le corps, qu'elle enveloppa et ensepvelit des meilleurs draps qu'elle eust, Amyot, Alc. 80. La vertu et l'honesteté de Democles est digne de n'estre passée ny ensepvelie en silence, Amyot, Démétr. 30. Combien de belles actions particulieres s'ensepvelissent dans la foule d'une bataille ? Montaigne, III, 15.

ÉTYMOLOGIE

En 1, et l'anc. français. sevelir, du latin sepelire (voy. SÉPULTURE).