« gourmander », définition dans le dictionnaire Littré

gourmander

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

gourmander

(gour-man-dé)
  • 1 V. n. Se livrer à la gourmandise. Et quoi donc ? dirons-nous que la nature, qui nous a fait le corps si petit, nous ait donné des ventres insatiables, afin que les animaux les plus vastes et les plus voraces qui soient au monde, nous cèdent la gloire de gourmander ? nullement, Malherbe, les Épît. de Sénèque, LX.

    Ce sens, qui est encore usité dans la conversation, n'est pas dans le Dictionnaire de l'Académie.

  • 2 V. a. Fig. Réprimander avec dureté ou vivacité, par extension du sens de ronger comme un gourmand qu'a ce verbe. Alexandre, voyant ses gens en déroute, les gourmande et les ramène au combat, Vaugelas, Q. C. IV, 15. Moi, la plume à la main, je gourmande les vices, Boileau, Disc. au roi. Ou bien quand Juvénal de sa mordante plume Gourmandait en courroux tout le peuple latin, Boileau, Sat. VII. C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots, Boileau, Art p. III.

    Par extension. Ces philosophes chagrins accusent et gourmandent sans cesse la nature, Dict. de l'Académie. Que la chair te gouverne, que dans les plus nobles exercices de ton âme elle vienne te gourmander par un sentiment brutal, qu'elle ne te donne aucune trêve ni aucun relâche…, Bourdaloue, Carême, Sur l'impureté. La vertu qui n'admet que de sages plaisirs Semble d'un ton trop dur gourmander nos désirs, Racine L. la Relig. I. Ainsi cette Circé, qui savait dans son temps Disposer de la lune et des quatre éléments, Gourmandant la nature au gré de son caprice, Changeait en chiens barbets les compagnons d'Ulysse, Voltaire, Ép. XCVIII. Je représente un père austère et sans faiblesse Qui d'un fils libertin gourmande la jeunesse, Piron, Métrom. III, 5.

  • 3Gourmander un cheval, le manier rudement de la main. Il ne faut pas gourmander ce cheval de la main, il a la bouche tendre. Les meilleurs écuyers, en dressant les jeunes chevaux qui leur plaisent le plus, se gardent bien de les gourmander, de peur de leur faire perdre cette gentillesse qu'ils tâchent de leur augmenter par caresse, Le Chev. de Méré, Des agréments, dans RICHELET. Un cavalier qui gourmande la bouche de son cheval en fait bientôt une rosse, Fénelon, Lett. spirit. 193.

    Fig. Je crains aussi que l'air de Grignan ne vous gourmande et ne vous tourbillonne : ah ! plût à Dieu qu'il fût comme celui-ci, qui est parfait ! Sévigné, 544.

  • 4Contenir, dominer (par extension du sens de réprimander). Je prétends gourmander mes propres sentiments, Et me soumettre en tout à vos commandements, Molière, Cocu imag. III, 11. Tu ne peux gourmander un penchant trop fatal, Homme pusillanime, imbécile, brutal, Regnard, Démocr. IV, 4.

    Braver. Morguent la destinée et gourmandent la mort, Contre qui rien ne dure et rien n'est assez fort, Régnier, Sat. VI.

    Chateaubriand l'a dit dans le sens de commander, en parlant d'un fort. De jeunes hommes viennent en foule peupler de leur fructueux exil le fort qui gourmande le Meschacébé, Chateaubriand, Natch. I.

  • 5Couper les branches gourmandes.
  • 6 Terme d'horticulture. Se gourmander, v. réfl. Se nuire, se gêner.

HISTORIQUE

XIVe s. Le jour devant que icellui prestre trespassast, il avoit beu et gormandé partout le jour, Du Cange, gorgia.

XVe s. …Trop fort redoute Celle qui ainsi me reboute, Qui me fait le visaige maigre, Et qui m'est vers la nuit si aigre Qu'elle vient toudiz sans mander, Pour mon corps nuire et gourmander, Deschamps, Poésies mss. f° p. 422.

XVIe s. Abonder en toutes delices et gourmander à plaisir, Calvin, Instit. 1001. Ce vilain souvenir de son inconvenient le gourmandant et tyrannisant, Montaigne, I, 94. Il ne me laissoit qu'à la desrobée gourmander [lire avidement] ces livres, Montaigne, I, 197. Cette gallere gourmandée d'arquebusades fut prise avec l'aide des forçats, D'Aubigné, Hist. I, 326. Il est temps d'accuser ceux-là qui ne font rien, Sinon vendre leur rente et gourmander leur bien [le manger crapuleusement], Ronsard, 909. Car l'avare est aux richesses, non elles à luy ; et il est dict avoir des biens comme la fievre, laquelle tient et gourmande l'homme, non luy elle, Charron, Sagesse, I, 22.

ÉTYMOLOGIE

Gourmand. Le sens propre est manger en gourmand ; puis, comme on voit dans le second exemple d'Eustache Deschamps, nuire, ronger, tourmenter ; d'où les sens subséquents. Diez au contraire le fait venir de gourmer, au sens de mettre une gourmette à un cheval ; il est certain que le participe gourmant aurait pu donner gourmander. Mais ce mot, qui est déjà ancien, n'a jamais dans l'historique le sens de mettre une gourmette ; on y trouve au contraire une transition entre gourmand et réprimander impérieusement.