« heur », définition dans le dictionnaire Littré

heur

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

heur

(eur) s. m.
  • Bonne fortune, chance heureuse. Rendant tout l'univers de son heur étonné, Malherbe, II, 1. Ils tiennent à grand heur de ce que tes ancêtres…, Régnier, Sat. VI. Je ne craindrai pas de dire que je pense avoir eu beaucoup d'heur de m'être rencontré dès ma jeunesse en certains chemins qui m'ont conduit à des considérations et des maximes dont j'ai formé une méthode…, Descartes, Méth. I, 3. Si j'ai ci-devant trouvé quelques vérités dans les sciences…, je puis dire que ce ne sont que des suites et des dépendances de cinq ou six principales difficultés que j'ai surmontées, et que je compte pour autant de batailles où j'ai eu l'heur de mon côté, Descartes, ib. VI, 4. Qui l'eût dit ? Que notre heur fût si proche et sitôt se perdît, Corneille, Cid, III, 4. Tu t'en souviens, Cinna ; tant d'heur et tant de gloire Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire, Corneille, Cinna, V, 1. Puisse le juste ciel, content de ma ruine, Combler d'heur et de jours Polyeucte et Pauline ! Corneille, Poly. II, 2. Ne vous offensez pas si cet heur de vos armes, Qui me rend tant de biens, me coûte un peu de larmes, Corneille, Pomp. V, 5. Le prince Antiochus, devenu nouveau roi, Sembla de tous côtés traîner l'heur avec soi, Corneille, Rodog. I, 1. L'heur de vous obéir flattera sa douleur, Corneille, ib. III, 4. …Je puis fermer par l'heur de ses exploits Le temple qu'un même heur n'a fermé qu'une fois, Rotrou, Bélis. V, 6. Expliquez-vous, Ascagne, et croyez par avance Que votre heur est certain, s'il est en ma puissance, Molière, Dép. am. II, 2. Je vous épouse, Agnès, et cent fois la journée Vous devez bénir l'heur de votre destinée, Molière, Éc. des f. III, 2. Heur se plaçait où bonheur ne saurait entrer ; il a fait heureux qui est français et il a cessé de l'être, La Bruyère, XIV. Ce mot d'heur, qui favorisait la versification, et qui ne choque point l'oreille, est aujourd'hui banni de notre langue, Voltaire, Rem. sur Corn.

    Il se dit, en parlant des personnes, de celle qui fait le bonheur de. Reine, l'heur de la France et de tout l'univers, Qui voyez chaque jour tant d'hommages divers Que présente la muse aux pieds de votre image, Malherbe, IV, 8. Ah ! mon heur, il est vrai, si tes désirs secondent Cet amour qui paraît et brille dans tes yeux, Je n'ai rien désormais à demander aux dieux, Corneille, Mélite, V, 4.

PROVERBES

Il n'y a qu'heur et malheur en ce monde, c'est-à-dire ce qui fait la fortune des uns cause la ruine des autres ; et, plus souvent, tout dépend de la chance.

Il a plus d'heur que de sagesse, plus d'heur que de science, se dit d'un homme qui, malgré son peu d'industrie ou de prudence, ne laisse pas de réussir.

REMARQUE

Quoique ce mot soit peu usité, comme il reste dans la locution heur et malheur, il n'est pas impossible de le bien employer en poésie ou dans la prose élevée.

SYNONYME

HEUR, BONHEUR. L'heur, qui a le sens de chance heureuse ou malheureuse, comme le prouve malheur, n'a plus que celui de bonne chance ; le bonheur est la continuité de l'heur. Cette nuance se trouve bien marquée dans ces vers : Je découvre sans peine… Qu'un péril suit souvent la conquête d'un cœur, Et que l'heur d'être aimé n'est pas toujours bonheur, Quinault, Amalasonte, IV, 6.

HISTORIQUE

XIIe s. Eürs, servirs et talens [désir] Me porront encor valoir, Couci, XI. Si j'atendrai… Joie d'amour, se bon eür m'i maine, ib. XI.

XIIIe s. [Que] Dame Diex par sa grace lui renvoit bon eür, Berte, XLI. Le roy les fist apeler, et leur demanda que il leur sembloit de cest heur [aventure], Joinville, 286.

XIVe s. Hercules, estendue sa main, dist que il acceptoit bien celi aür [augurium], Bercheure, f° 9, verso. Force, hardiment d'eschever [je] Li doin pour son eur eslever, Machaut, p. 22.

XVe s. Quant il fut né, je sceus que son heur ne gisoit point en Bretaigne ; car mesadventure luy fust advenue pour luy et pour ses amys, Perceforest, t. IV, f° 141. Il sembloit que toutes choses allassent à son plaisir, mais aussi son sens luy aydoit bien à luy faire venir cest heur, Commines, VI, 6.

XVIe s. Dieu vous doint la fortune et l'heur, Meilleur que n'a esté le mien, Marot, II, 188. Nous navigasmes par troys jours ; on quatriesme, en bon heur, approchasmes de Lanternoys, Rabelais, Pant. V, 32. Rapportants leur heur ou malheur à la raison divine, Montaigne, I, 248.

ÉTYMOLOGIE

Wall. aweure, chance heureuse ou malheureuse, présage ; provenç. auguri, augur, agur ; espagn. agüero ; portug. agouro ; ital. augurio ; du lat. augurium (voy. AUGURE 1). Aux conjectures proposées à l'article d'augure, ajoutez que certains étymologistes tirent augurium de avis, oiseau, et d'un radical qui est dans le latin garrire, bavarder, et dans le sanscrit, gar ou gri, crier. Certains étymologistes ont tiré heur de hora, heure ; mais les anciennes formes, qui sont toutes dissyllabiques, ne permettent pas une pareille étymologie ; le sens primitif de présage était encore si persistant, qu'au XIVe siècle Bercheure traduit augurium par aür. Le premier exemple de heur monosyllabe est, dans notre historique, au XIVe siècle, chez Machaut.