« passionner », définition dans le dictionnaire Littré

passionner

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

passionner

(pa-sio-né ; en vers, de quatre syllabes) v. a.
  • 1Exciter la passion, un vif intérêt chez quelqu'un. Il est vrai néanmoins que les personnes passionnées nous passionnent, et qu'elles font dans notre imagination des impressions qui ressemblent à celles dont elles sont touchées, Malebranche, Rech. vér. II, III, 1. Il fallait tous les artifices de la rhétorique pour passionner des juges indifférents et étrangers à la cause qu'on porte à leur tribunal, Barthélemy, Anach. ch. 58.
  • 2Inspirer un vif attrait. La musique le passionne.
  • 3Désirer (sens vieilli). Si je passionnais moins le succès de cette affaire, Mascaron, Lett. à Mlle de Scudéry, 5 sept. 1675. Mme de Maintenon crut que Capres viendrait à bout de la chose du monde qu'elle passionnait le plus démesurément, Saint-Simon, 344, 2.

    Passionner quelque chose n'est pas un bon mot, bien qu'on dise se passionner, Chifflet, Gramm. p. 98. Cet emploi de passionner, qui est maintenant hors d'usage subsiste encore dans quelques provinces, à Genève, par exemple, où Humbert le condamne dans son Glossaire.

  • 4Donner un caractère animé, et qui marque de la passion. Passionner sa voix, son chant. Passionner se dit depuis quelques années pour réciter avec ardeur, mettre de la passion dans ses paroles ; on dira : Il est froid, il ne passionne rien, d'un mauvais comédien ; elle passionne tous les airs, d'une personne qui chante, Bouhours, Remarques. Vous embellissez et vous passionnez toute la nature, Fénelon, Dial. des morts anc. 48 (Horace, Virgile). La voix de Mentor n'avait aucune douceur efféminée ; mais elle était flexible, forte, et elle passionnait jusqu'aux moindres choses, Fénelon, Tél. VIII. Il est vrai que l'un de ses charmes était ce naturel brûlant qui passionnait son langage, Marmontel, Mém. VII.
  • 5Se passionner, v. réfl. Se préoccuper par l'effet de quelque passion. Quoi ! les noms de Descartes et de Newton deviendront des mots de ralliement ! et on se passionnera toujours quand il ne faut que s'instruire ! Voltaire, Physique, Défense du newtonian.

    Avoir une passion pour quelque chose. Tous les amusements dont nous nous passionnions successivement nous tenaient ensemble occupés dans la maison, Rousseau, Confess. I. C'est ainsi qu'aveugle et confiant dans mes espérances, je me suis toujours passionné pour ce qui devait faire mon malheur, Rousseau, ib. X.

    S'éprendre d'amour. À laquelle je ne fis pas alors une grande attention, mais dont je me passionnais huit ou neuf ans après, et avec raison ; car c'était une charmante fille, Rousseau, ib. IV.

    Se laisser aller à la colère. Ne vous passionnez donc point, Molière, Mal. imag. I, 6.

HISTORIQUE

XVe s. [La jeunesse] de laquelle tout sens bien ordonné doit avoir compassion comme de chose passionnée de divers desirs et assaults natureulz, Christine de Pisan, Charles V, I, 11. Dont, passionné en cuer, ne s'en est peu taire, et a osé mettre la campane au chat [attacher le grelot], Chastelain, Expos. sur vérité mal prise. Notre Seigneur fut mort et passionné, Petit Jeh. de Saintré, p. 73. dans LACURNE. À quoy le conte de Charolois par plusieurs fois voulut respondre comme fort passionné de ceste injure qui se disoit de son amy, Commines, I, 1. Les plus sages errent très souvent pour estre passionnez aux matieres de quoy l'on parle, Commines, II, 2.

XVIe s. Les anciennes accointances et amitiez saisissent nostre imagination, et la passionnent pour l'heure, Montaigne, I, 272. Ames actives qui embrassent tout et se passionnent de toutes choses, Montaigne, I, 280. Cette vieille Rome m'interesse et me passionne, Montaigne, IV, 140. Ne te passionne point [ne te tourmente pas], ma femme, pour ce que tu ne me peus donner ce que je te demande, La Boétie, 170. Mais quoy, diront quelques passionnez catholiques, comment pourrions-nous exterminer ceux de la nouvelle opinion ? Lanoue, 83. …Le tout representé si vifvement, que nous nous en trouvons passionnez de joye, de pitié, de peur et d'esperance, ne plus ne moins presque, que si nous estions sur le faict, Amyot, Préf. XIV, 42. Il reputoit ceux-là seuls estre moquez, qui se passionnent et se troublent pour des moqueries, Amyot, Fab. 23. Concluant pour blasmer l'injustice de ceux qui, estans sans passions, vouloient regler toutes les demarches d'un homme passionné, D'Aubigné, Vie, XCI. Et n'y a pas un de ceux-là qui ne se soit monstré aussi passionné que Paul Jove, tous-jours en protestant contre la passion, D'Aubigné, Hist. préf. 5. Vous me dites un soir comme passionnée : Je vous aime, Ronsard…, Ronsard, 265. Avec extresmes douleurs, et principalement la nuit, qui passionnent et font quasi desesperer les pauvres verollés, Paré, XXIV, 32.

ÉTYMOLOGIE

Passion ; prov. passionar, tourmenter ; ital. passionare.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

PASSIONNER. - HIST. Ajoutez : XIIIe s. Ave, dame, tes cuers moult fu passionnez [affligé], Quant veïs que tes filz fu apassionnez, Gautier de Coinsy, les Miracles de la sainte Vierge, p. 745, éd. abbé Poquet.