« soûler », définition dans le dictionnaire Littré

soûler

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

soûler

(sou-lé) v. a.
  • 1Rendre soûl, gorger. Il aime le gibier, on l'en a soûlé.

    Fig. Ils [Minos et Tantale] mangeaient à sa table [de Jupiter], avalaient l'ambroisie, Et des plaisirs du ciel soûlaient leur fantaisie, Régnier, Sat. XI. Il le fallait de la sorte, afin que le Fils de Dieu fût soûlé d'opprobres, comme l'avait prédit le prophète, Bossuet, 2e sermon de la Passion, 1.

  • 2Particulièrement et populairement. Enivrer. On l'a tant fait boire qu'on l'a soûlé.
  • 3 Fig. Satisfaire jusqu'à satiété un sentiment, une passion. Et soûlant du butin son avare appétit, Mairet, Sophon. II, 4. Et, sous un faux semblant de libéralité, Soûler et ma vengeance et ton avidité, Corneille, Méd. IV, 1. Ô justice divine, tu as voulu des supplices, en voilà ; soûle ta vengeance ; voilà assez de sang, assez de carnage, Bossuet, 2e sermon, Démons, 2. Jeux sanglants et dignes de bêtes farouches, où ils [les Romains] soûlaient leurs faux dieux de spectacles barbares et de sang humain, Bossuet, 1er sermon, Vertu de la croix, 1.

    Soûler ses yeux de sang, de carnage, prendre plaisir à voir répandre le sang.

    Absolument. Même beauté, tant soit exquise, Rassasie et soûle à la fin, La Fontaine, Pâté.

  • 4Se soûler, v. réfl. Se gorger. J'aime ce mets, je m'en suis soûlé. Vous vous soûlerez, sur ma table, de la chair des chevaux et de la chair des cavaliers les plus braves et de tous les hommes de guerre, dit le Seigneur Dieu, Sacy, Bible, Ézéchiel, XXXIX, 20. J'enivrerai mes flèches de leur sang, et mon épée se soûlera de leur chair, Sacy, ib. Deutéron. XXXII, 42.
  • 5S'enivrer. Enfin, à force d'avaler, ils se soulèrent, Scarron, Rom. com. I, 11. Pour l'oublier, il se soûla, Et la scène finit par là, Vadé, Pipe cassée, IV.
  • 6 Fig. Il se dit de ce qui soûle, gorge au moral, comme font au physique les aliments, le vin. … Les soldats, ennemis de la paix, Qui de l'avoir d'autrui ne se soûlent jamais, Régnier, Sat. VI. …Son œil semble encore à longs traits se soûler Du sang des malheureux qu'elle vient d'immoler, Corneille, Théod. v, 8. La reine ne se peut soûler, Et de les voir et d'en parler, Scarron, Virg. I. En cet endroit où il [Homère] fait pleurer Achille et Priam… il dit qu'ils se soûlent de ce plaisir, La Fontaine, Psyché, I, p. 96. Se soûler de carnage, Delille, les Trois règnes, VIII. Que… Ce roi bigot [Louis XI], pour se soûler de crimes, Mette sa vierge entre le diable et lui, Béranger, Censeur.

    Se soûler de plaisirs, de toutes sortes de plaisirs, prendre toutes sortes de plaisirs avec excès. Ceux qui croient que le bien de l'homme est en la chair, et le mal en ce qui le détourne des plaisirs des sens, qu'ils s'en soûlent et qu'ils y meurent, Pascal, Pens. XVI, 15, éd. HAVET.

REMARQUE

On voit par les exemples que se soûler, condamné par Voltaire dans le Cid comme n'étant plus du style élevé, peut encore trouver sa place. Bossuet, Pascal, Delille et Béranger en offrent des exemples.

HISTORIQUE

XIIIe s. De li [sa fille] baisier ne puet [la mère] estre bien saoulée, Berte, CXXVI. Hé ! dist li masenghe [mésange], se tu me mangoies, tu ne seroies gaires saoulés de mi ; car je suis une petite cose, Chron. de Rains, 236. Vous ne fustes onkes soelés d'or ne d'argent ; mais je vous en soelerai encore anqui, ib. 112. Tu vodras moult ententis estre à tes yex saouler et pestre, la Rose, 2352. Nus ne se pooit soeler De l'esgarder se il fust liés, Fl. et Bl. 2855. Je euz faim, vous me saoulastes ; Et si eus soif, vous m'abruvastes, J. de Meung, Tr. 1417.

XVIe s. Les choses presentes ne nous saoulent point ; non qu'elles n'ayent assez de quoy nous saouler ; mais…, Montaigne, I, 385. Et pour se souler encore d'avantage de faire le pis qu'il pouvoit aux Lacedemoniens, Amyot, Philop. 28.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, sôlé ; bourguig. sôlai ; provenç. sadollar ; ital. satollare ; du lat. satullare, qui vient de satullus (voy. SOÛL).