« soulever », définition dans le dictionnaire Littré

soulever

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

soulever

(sou-le-vé. La syllabe le prend un accent grave quand la syllabe qui suit est muette ; je soulève, je soulèverai) v. a.
  • 1Lever quelque chose de lourd à une petite hauteur. Soulever un fardeau. Il soulevait encor sa main appesantie, Racine, Mithr. V, 4. Ranimant ma force et soulevant ma chaîne, Voltaire, Oreste, I, 2. Avec une force capable de soutenir une livre, vous soulèverez un poids de 100 livres qui sera à un pouce de distance, si vous agissez à une distance de 100 pouces, Condillac, Art de rais. II, 7.

    Fig. J'ai été effrayé de ces questions [sur Dieu] que je me suis faites à moi-même ; c'est un poids immense que je ne puis porter ; pourrai-je au moins le soulever ? Voltaire, Memmius, 3e lett.

    Soulever un malade, lever un peu le haut du corps d'un malade étendu dans son lit. Soulevez-lui un peu la tête. Faites-moi le plaisir de me soulever, et de m'apporter de quoi écrire deux lignes, Marivaux, Marianne, 7e part.

    La marée soulève les navires qui sont sur la vase, elle les met à flot.

  • 2Il se dit, en géologie, des forces centrales du globe qui exhaussent les montagnes, les continents. Je serais tenté de croire que les montagnes volcaniques des Cordillères… qui s'élèvent à plus de 3000 toises, ont été soulevées à cette énorme hauteur par la force de ces feux, Buffon, Min. t. IX, p. 34.
  • 3Agiter, en parlant des flots. Une tempête soudaine Soulève les flots, Quinault, Pers. IV, 2. L'éclair croise l'éclair ; l'air mugit, le ciel gronde, La tempête en hurlant creuse et soulève l'onde, Arnauld, Oscar, III, 1.

    Soulever les vents, agiter l'air par leur souffle. J'ai soulevé les vents, qui, brisant son vaisseau, Dans les flots mutinés ont ouvert son tombeau, Corneille, Tois. d'or, II, 1.

  • 4Soulever la poussière, la faire voler en tourbillon. Le vent soulève la poussière. Tout cet éclat dont la France est si fière, Tout ce savoir qui ne la défend pas, S'engloutira dans les flots de poussière, Qu'autour de moi vont soulever tes pas, Béranger, Chant du Cosaque.
  • 5 Terme rural. Soulever la terre, dans quelques provinces, donner un premier labour aux champs après l'hiver.
  • 6Écarter en partie. Soulever un voile. N'avez-vous jamais soulevé, à minuit, cette jalousie et ce rideau ? Musset, Capr. de Mar. I, 2.

    Fig. Comment soulever le voile qui cache l'avenir ? Dict. de l'Acad.

  • 7 Fig. Donner de la considération, mettre dans le grand ton. Il n'y a rien qui mette plus subitement un homme à la mode, et qui le soulève davantage que le grand jeu, La Bruyère, XIII.

    Donner de l'orgueil. Oui, quand ta vérité l'a bien soumis à toi, Le bien qu'on dit de lui jamais ne le soulève ; Qu'un monde entier le loue, un monde entier achève D'affermir les mépris qu'il a conçus de soi, Corneille, Imit. III, 14.

  • 8 Fig. Exciter à la révolte. Il est le dieu du peuple et celui des soldats ; Sûr de ceux-ci, sans doute il vient soulever l'autre, Corneille, Nicom. II, 1. Par mes émissaires secrets, je soulevai les Gantois contre lui [Charles le Téméraire], Fénelon, Dial. des morts mod. 4. Le jeune Émerik Tekeli, seigneur hongrois, qui avait à venger le sang de ses amis et de ses parents répandu par la cour de Vienne, souleva la partie de la Hongrie qui obéissait à l'empereur Léopold, Voltaire, Mœurs, 192.
  • 9Exciter des sentiments d'irritation contre quelqu'un, avec un nom de personne pour sujet. J'irai, n'en doute point, au sortir de ces lieux, Soulever contre toi les hommes et les dieux, Corneille, Pomp. v, 4. Soulevez vos amis ; tous les miens sont à vous, Racine, Andr. IV, 3. Il [Richelieu] souleva les auteurs contre cet ouvrage [le Cid], ce qui ne dut pas être fort difficile, et se mit à leur tête, Fontenelle, Vie de Corn. Mais la déesse de mémoire, Favorable aux noms éclatants, Soulève l'équitable histoire Contre l'iniquité du temps, Rousseau J.-B. Odes, III, 2. S'il s'agissait des Sirven, des Calas, des Montbailli, je paraîtrais bien hardiment, je soulèverais le ciel et la terre, Voltaire, Lett. d'Argental, 7 nov. 1774.

    Soulever contre soi, ou, simplement, soulever, s'attirer la colère, le ressentiment. Non, non, il n'ira pas par un lâche attentat Soulever contre lui le peuple et le sénat, Racine, Brit. v, 1. Paracelse avait soulevé contre lui toute la médecine, en opposant la pharmacie chimique à la pharmacie galénique, Diderot, Opin. des anc. phil. syncrétistes.

    Soulever pour, exciter des sentiments favorables à quelqu'un. Le Parnasse français, ennobli par ta veine, Contre tous ces complots saura te maintenir, Et soulever pour toi [Racine] l'équitable avenir, Boileau, Épît. VII.

  • 10Exciter l'indignation, la colère, avec un nom de chose pour sujet. Son insolence souleva tout le monde. Votre conduite, en un mot, qui m'offense, Qui me soulève, et qui choque mes yeux, Voltaire, Nanine, I, 1.
  • 11Provoquer un léger mouvement d'emportement. Quand je trouvais en lui des mouvements impétueux à réprimer, je les lui reprochais avec une franchise qui le soulevait quelquefois, mais qui ne l'irritait jamais, Marmontel, Mém. X.
  • 12 Fig. Soulever une question, la proposer, en provoquer la discussion.
  • 13Soulever le cœur, provoquer des nausées. Dans les cuisines le sang et la graisse coulaient ; les peaux des quadrupèdes, les plumes des oiseaux et leurs entrailles pêle-mêle amoncelées soulevaient le cœur et répandaient l'infection, Voltaire, Lett. Amabed. Tout cela soulève le cœur ; mais le tableau du genre humain doit souvent produire cet effet, Voltaire, Mœurs, 146.
  • 14 V. n. Le cœur lui soulève, il a mal au cœur, il a envie de vomir. Le cœur lui soulevait contre l'affreuse proie, Lamotte, Fabl. II, 15.

    On dit de même : Cela fait soulever le cœur. Comment leur odeur [des chairs des animaux tués] ne lui fit-elle pas soulever le cœur [à l'homme] ? Rousseau, Ém. II.

    Fig. Et le cœur me soulevait à ce seul souvenir, Rousseau, Confess. I.

    Fig. Cela fait soulever le cœur, cela cause du dégoût. Cela fait frissonner d'horreur, ou soulever le cœur de dégoût à celui qui a le moindre sentiment de l'élégance, de la noblesse, de la grâce, Diderot, Salon de 1767, Œuv. t. XV, p. 108.

  • 15Se soulever, v. réfl. Être soulevé. De tels fardeaux ne se soulèvent qu'à grand'peine.

    Fig. C'est dans ce moment seul qu'un poids qu'il avait sur le cœur se soulevait et le laissait respirer à l'aise, Staël, Corinne, XIX, 3.

  • 16Se lever, s'élever avec effort. Il ne peut se soulever. Faible, et se soulevant par un dernier effort, Voltaire, Olymp. IV, 8. Quand je la vois [Marianne], ma gorge se serre, et j'étouffe, comme si mon cœur se soulevait jusqu'à mes lèvres, Musset, Capr. de Mar. I, 1.
  • 17Il se dit de la mer, des vents qui s'agitent. Les flots se soulevaient. Assuré sur la face de la mer calmée, il lâche le gouvernail et laisse aller le vaisseau à l'abandon ; les vents se soulèvent, il est submergé, Bossuet, Panég. saint Benoît, 3.
  • 18Se mettre en insurrection, en hostilité. Les étrangers se sont soulevés contre lui, Sacy, Bibl. Ecclésiastiq. XLV, 22. Je fais rompre la trêve, J'excite le soldat, tout le camp se soulève, Racine, Théb III, 6. Les esclaves des anciens devaient haïr leurs maîtres ; aussi se soulevèrent-ils souvent, Condillac, Étud. hist. I, 3.

    Avec ellipse du pronom personnel. Il m'ôtera l'ardeur qui me fait soulever, Corneille, Héracl. IV, 1.

  • 19 Fig. Il se dit de certaines passions qui s'irritent. Quand il vous fallut prendre la plume et faire l'humble aveu d'une malheureuse folie, aveu qui cependant vous aurait honoré, votre diable d'orgueil se souleva, Marmontel, Mém. VIII.

    Le cœur se soulève, il est ému, troublé. Mon cœur, qui se soulève, en forme un noir augure, Corneille, Œdipe, v, 4. Ce jeune cœur se soulève ; le premier sentiment de l'injustice y vient verser sa triste amertume, Rousseau, Ém. II.

    On dit dans un sens analogue : Le sang se soulève. Avez-vous pu, cruels, l'immoler aujourd'hui, Sans que tout votre sang se soulevât pour lui ? Racine, Andr. v, 3.

    En un autre sens, le cœur se soulève, on est saisi de dégoût. Elle ne disait donc pas : ce péché est véniel, elle disait : il est péché, et son cœur innocent se soulevait, Bossuet, Mar.-Thér.

  • 20Éprouver le sentiment de l'indignation. Toute l'Angleterre s'est soulevée contre le jugement qui a condamné Lalli ; on l'a regardé comme une injustice barbare, Voltaire, Lett. Schomberg, 31 oct. 1769.

HISTORIQUE

XIe s. Les dras [il] suzlevet dunt il esteit cuvert, St Alexis, LXX.

XIIIe s. Nostre sires Dieux umilie le povre et le sozlieve, Psautier, f° 182. Fors que defors [je] voi souslever Des mameletes son bliaut, Lai d'Ignaurès. Puis dist : Renart, se Diex t'avant, Cà vien, si susleve la huche, Ren. 2759.

XVIe s. Il sublieve la coingnée d'or, il la reguarde, et la treuve bien poisante, Rabelais, Pant. IV, Nouv. prol. Elle fut poignardée et jettée en l'eau, et, comme la riviere la soulevoit, on courut de tous costez l'assommer à coups de bastons et de pierres, D'Aubigné, Hist. II, 20. Les Ilotes se soubleverent contre eulx avec les Messeniens, et feirent beaucoup de maulx en tout le païs, Amyot, Lyc. 59. L'aigle le soublevant en l'air l'emporta bien loing, Amyot, Thém. 48. Cratesiclea, en l'embrassant et baisant, sentit que le cueur luy soublevoit et fendoit de regret et de douleur, Amyot, Agis et Cléom. 52. À tel object l'estomach se soubleve, Montaigne, II, 283.

ÉTYMOLOGIE

Prov. et esp. solevar ; ital. sollevare ; du lat. sublevare, de sub, sous, et levare, lever.