« apercevoir », définition dans le dictionnaire Littré
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apercevoir
- 1Commencer à voir ; découvrir. Les objets qu'on peut apercevoir. Vapeur si subtile qu'on ne peut l'apercevoir. Se laisser, se faire apercevoir. Apercevoir de loin.
Il n'a pas aperçu Jeannette
, Molière, l'Étour. IV, 7. - 2 Fig. Apercevoir ce qu'il y a de vrai dans chaque chose. Il aperçut qu'on le trompait.
Si vous apercevez que j'y manque d'un mot
, Molière, l'Étour. II, 1. - 3Suivi d'un infinitif, voir.
Mais j'aperçois venir sa mortelle ennemie
, Racine, Phèd. V, 6.Je sais… mais Vinius, que j'aperçois venir…
, Corneille, Othon, I, 1. - 4 Absolument, en termes de métaphysique, recevoir des perceptions. Apercevoir est un des degrés de la connaissance.
S'APERCEVOIR, v. réfl.
- 5Se voir imparfaitement. Je me suis aperçu dans la glace. Ils se sont aperçus de loin, ils se sont aperçus l'un l'autre.
- 6Remarquer, connaître. L'ennemi s'aperçut du départ. De sorte qu'on s'aperçut de son arrivée avant que… Je m'aperçois que tu as fait beaucoup de progrès. Sans qu'on s'en aperçoive. On vieillit sans s'en apercevoir.
[Les saintes femmes au tombeau] Croyant parler à l'homme, chose étrange, Leurs regards dessillés s'aperçurent de l'ange
, Lamartine, Joc. III, 108.La Perse s'aperçut bientôt que…
, Bossuet, Hist. I, 8.Avec suppression, comme en quelques autres verbes, du pronom se.
Maulevrier eut soin de la laisser apercevoir [la princesse des Ursins] des privances…
, Saint-Simon, 157, 57. - 7Être aperçu.
Il ne se passe nuit que les morts ne s'aperçoivent avec des formes étranges et un attirail épouvantable
, Guez de Balzac, le Prince, ch. VII.
REMARQUE
1. L'Académie écrit apercevoir par un seul p. Voyez la remarque là-dessus, à APAISER.
2. D'après Laveaux et quelques grammairiens, on devrait écrire : Elle s'est aperçu de son erreur. Aujourd'hui l'usage est établi, et l'on écrit sans conteste : Elle s'est aperçue de son erreur ; ils, elles se sont aperçus, aperçues de leur erreur ; comme on écrit : Elle s'est tue ; elle s'est écriée. Mais le fait est que s'apercevoir de reste une locution difficile à expliquer. S'apercevoir veut dire voir soi. Comment voir soi peut-il signifier remarquer ? Voici l'explication de cette difficulté : on comprend que, si apercevoir a été pris au sens neutre, il aura pu se conjuguer avec le pronom réfléchi, comme tant de verbes neutres, se taire, s'écrier, se pâmer, etc. Or, si on ne trouve pas d'exemple d'apercevoir au sens neutre, on en trouve, ce qui est équivalent, de percevoir : Qu'on ne perciust de son iestre [qu'on ne s'aperçût de son être], Ph. Mouskes, v. 28448. Apercevoir de, puis s'apercevoir de, afin de lui donner le sens réfléchi, si naturel avec ces verbes, se taire, s'écrier, se pâmer, etc. En un mot, s'apercevoir de est fait comme se connaître en, s'entendre à ; et ceux-ci à leur tour sont faits comme les verbes neutres réfléchis, se taire, et, dans l'ancienne langue, se dormir, se gésir. On remarquera que s'apercevoir de est une locution très ancienne ; il est certain, à cause de cet emploi du pronom réfléchi, qu'on n'aurait pas pu la former dans les temps modernes, pas plus qu'on ne peut former se gémir sur le modèle de se taire.
3. Les poëtes peuvent supprimer l's à la 1re personne du présent. Ce discours te surprend, docteur, je l'aperçoi
, Boileau, Sat. VIII. Cette orthographe, qu'ils prennent pour la rime, est non une licence, mais un archaïsme.
SYNONYME
APERCEVOIR, S'APERCEVOIR. Apercevoir marque le fait en lui-même et l'action de voir ; s'apercevoir y ajoute l'idée de remarque, d'observation. Il aperçut qu'on le suivait, il vit qu'on le suivait. Il s'aperçut qu'on le suivait, il remarqua qu'on le suivait.
HISTORIQUE
XIe s. Ainz que Rolanz se seit aperceüt
, Ch. de Rol. CL. Li amiralz auques s'en aperceit
, ib. CCLIX.
XIIe s. Trois manieres de sainteit poons apparzoivre en cez trois festes
, Saint Bernard, p. 542. Et si nos eswardons la cause de nostre exil, tost par aventure porons aperzoyvre cum covenaule chose soit ke nos fussiens delivreit maiment [mêmement] par lo fil
, Saint Bernard, p. 522. Ne voloit pas qu'il fust aperceü
, Ronc. p. 103. Au matin par som l'aube, quand aperçut le jour
, ib. p. 198.
XIIIe s. Si tost com il porent apercevoir le jor, cueillirent leur voiles
, Villehardouin, CXLVIII. La serve l'aperçoit, plus n'i a sejourné
, Berte, X. Quant Berte l'aperçut, mout fut espoentée
, ib. XLVI. Bien [il] s'aperçoit comment Berte lui fut changie
, ib. X. Mès qu'il ne puissent aparçoivre Que vous li beés à deçoivre
, la Rose, 7455. S'il avient que tu aperçoives T'amie…
, ib. 2403. Dès le commencement que il vint à son royaume tenir et il se sot aparcevoir [se reconnaître], il commença à edefier moustiers et pluseurs mesons de religion
, Joinville, 298. Gel connois bien à cel senblant, Que vos en alez repentant ; Orainz m'apercui au plorer
, Parth. de Blois, 6437.
XIVe s. Il prendront et apercevront [percevront] chascun an sur les lieus qui s'ensuivent
, Du Cange, accipere.
XVe s. Et quand elles [les rentes du roi de Hongrie] seront retournées et recouvrées… il plaise vous savoir qu'il y pourvoira si grandement que vous vous en apercevrez
, Froissart, III, IV, 59. Se logerent tout environ [Auberoche], tellement que nul ne pouvoit entrer en la garnison qu'il ne fust aperçu
, Froissart, I, I, 227. Car bien pevent apparcevoir, Ce n'est que miracles d'Amours
, Orléans, Bal. 18. L'abbesse, qui veoit clair et estoit bien apercevante, connut tantost à ses reponses…
, Louis XI, Nouv. XLVI.
XVIe s. Il fut apperçeu par…
, Montaigne, I, 49. Lors il s'appercevoit de ses eschauldures et meurtrisseures
, Montaigne, I, 93. Les ouïes des creatures de ça bas ne le peuvent appercevoir [percevoir]
, Montaigne, I, 107. Ayants apperceu que les Portugais usoient d'une aultre…
, Montaigne, I, 239. S'appercevants combien son usage estoit pernicieux
, Montaigne, I, 380.
ÉTYMOLOGIE
À et percevoir ; bourguig. éporsu, apperçu ; Berry, aparcevoir ; picard, aperchevouer ; provenç. apercebre, apercepre ; espagn. apercebir ; portug. aperceber.